Un budget Frankenstein


Dans le roman éponyme de Mary Shelley paru en 1818 Frankenstein est un être vivant crée de toutes pièces, qui a la particularité d’être constitué de chairs mortes. Il est une créature monstrueuse, une espèce de patchwork organique horrifique qui pourtant réussit à vivre.

Le budget 2026 tel qu’il se bâtit sous nos yeux ressemble en ce sens au personnage du roman : il est hideux, constitué d’un assemblage invraisemblable de mesures hétéroclites, sans aucune ligne directrice, sans colonne vertébrale pour rester dans le registre corporel.

D’ordinaire le budget est l’acte fort d’un gouvernement, la traduction concrète des grandes orientations sociales et économiques, à travers les choix d’allocations des ressources de la collectivité, ce qui définit les priorités du pays d’une part et en creux les thématiques moins importantes d’autre part. Or, à partir du moment où, dans la configuration actuelle, la survie du gouvernement Lecornu II dépend uniquement de la bonne volonté des différents groupes de l’Assemblée Nationale dans une logique de calcul politicien (survie, dissolution et/ou élections présidentielles), il n’y a plus aucun cap fixé, aucun horizon tracé. Le premier Ministre semble accepter, résigné, son sort de capitaine de navire ne tenant plus aucune barre et se contentant de temps en temps de sonner une corne de brume.

Dans l’hémicycle, au gré d’alliances qui peuvent changer de jour en jour voire d’heure en heure des mesures peuvent être votées par des coalitions improbables, et des mesures totalement contradictoires peuvent être votées par d’autres coalitions ou les mêmes le lendemain, sans que plus personne ne comprenne vraiment ce que défendent les uns et les autres. Pendant ce temps le gouvernement soutient ou s’oppose aux différentes propositions sans que les députés, y compris ceux membres d’un bloc central désormais zombifié, ne semblent y prêter une quelconque attention.

Le budget s’élabore ainsi, mort vivant déjà en sursis – à la merci d’une nouvelle censure et de l’examen par le Sénat -, laissant les Français assez perplexes sur les vertus d’un parlementarisme soi-disant (re)vivifié, et sans doute bien incapables de comprendre ce que cela voudra dire concrètement pour eux.

Prenons l’exemple du nouvel impôt sur la fortune improductive, à la fois étrange invention sémantique et création fiscale indéterminée.

Au départ la « gauche » défendait le principe de la taxe Zucman. On peut débattre de sa pertinence – mon avis sur le sujet est connu - mais elle avait un mérite, celui de la simplicité en ciblant une infime fraction de la population. Après le totem sur la suspension de la réforme des retraites – qui s’avère comme chacun l’aura compris une mesurette de décalage de la réforme à ce stade – le PS en avait fait un nouveau cheval de bataille pour justifier une non-censure du gouvernement ; mais devant la réalité des rapports de force du moment la taxe était retoquée et le PS se retrouvait à nouveau pris à défaut dans son rôle d’opposant résolu au gouvernement.

C’est alors qu’un amendement présenté le vendredi 31 octobre par le député Jean-Paul Mattei (MoDem), puis remanié par le socialiste Philippe Brun, soutenu par une alliance baroque entre le RN, le PS, le MoDem et le groupe Liot a instauré une transformation de l'impôt sur la fortune immobilière (IFI) en impôt sur la fortune improductive. Formidable aubaine pour le PS qui pouvait alors publier des communiqués de presse triomphants parlant d’un retour de l’ISF. Mais si l’on garde les mêmes initiales entre l’IFI version Macron et ce nouvel IFI, cet impôt censé cibler « les riches » est d’une absence de clarté assez affolante ; son périmètre exact est totalement imprécis – quels biens sont réellement concernés ? -, les exemptions floues, et plus grave son rendement réel parfaitement inconnu, potentiellement inférieur à celui de l’IFI actuel !

En gros les députés proposent des mesures dont ils ne savent absolument pas quel est l’impact, jouant aux apprentis sorciers, bricolant la loi tels des savants fous obnubilés par des postures de communication et leur éventuelle survie politique. Ici ce qui est triste et inquiétant ce n’est pas le fait de voter un nouvel impôt mais de le voter sans en déterminer précisément les objectifs, les contours, et les résultats attendus. Seule certitude on passe de la taxe Zucman ciblant 1800 personnes à un IFI qui en ciblera 100 fois plus, et qui ne traite donc pas la problématique de taxation des milliardaires. Par ailleurs on peut penser que cette mesure qui devra passer par le Sénat ne survivra pas à la navette parlementaire.

On pourrait donner d’autres exemples de dépenses ajoutées par ci, de taxes ajoutées par-là, ou au contraire d’économies sorties du chapeau, au gré des humeurs des uns ou des plateaux TV des autres sans qu’aucune cohérence ne se dégage. Pour finir le monstre budgétaire poursuit son chemin, sans que nul ne sache à quoi il ressemblera à la fin du processus parlementaire. On peut douter qu’il se transforme d’ici là en prince charmant et rappelons que dans le roman du XIXème la fin de Frankenstein n’est pas très heureuse.

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