On a du mal à parler de Trump, à l’estimer, étant donné qu’il y a des fluctuations imprévisibles de ses positions, pourtant une vulgate s’établit dans les commentaires autorisés, que ce soit Thierry Breton ou Luc Ferry : il serait malgré tout un « homme de paix ». Plus raisonnable qu’on ne le dit, pas fou ni crétin, il chercherait partout à atténuer les conflits et à étouffer les flambées de violence.
Laissons de côté Gaza, qui ne flambe pas seulement physiquement, mais fait aussi flamber LFI, de Villepin, et bien d’autres. Qui trouverait une solution ? On parle de deux états, dont un serait Israël, mais précisément les palestiniens contestent son existence même. En donnant Israël au Hamas, de la rivière à la mer, on aurait une drôle de paix, tellement sanglante qu’on n’y songe pas. Reste à inventer une Palestine sans Hamas, sans Frères musulmans, et cette solution recule à mesure qu’on avance, on ne trouve personne.
Mais en Ukraine, la paix est à portée de main, et en effet vingt-quatre heures suffiraient : on donne, on rend l’Ukraine à Poutine et à sa fédération, comme il a récupéré la Biélorussie insurgée, la Tchétchénie ravagée et les provinces russophones de Géorgie. On lui cède et il se calme, jusqu’à nouvel ordre. Se ranger du côté du plus fort est la raison même et on a la paix, si c’est le but. J’ai toujours vu dans le journal L’Humanité qu’il fallait la paix, partout, et que ceux qui disent le contraire sont les fauteurs de guerre, de ce fait les accords de Munich auraient été productifs en septembre 38. Staline l’a pensé et l’a fait, en signant un pacte avec le plus fort.
Trève de sarcasmes ! Une solution « équilibrée » n’a pas de sens, quel équilibre trouver entre une puissance qui envahit et celle qui la contient, la combat ?
Négocier veut dire trouver un équilibre entre deux volontés. Celle de Poutine est claire : il a la fameuse « volonté de volonté », commentée à propos de Nietzsche et de sa « volonté de puissance ». Il veut que sa volonté soit faite et fasse loi. Le Notre Père lui dicte sa conduite, le monde est sa chose, il règne. Le vilain petit bonhomme du KGB est devenu Tsar, comme le livre à succès d’Empoli, Le mage du Kremlin l’explique si bien.
L’Ukraine, dirigée héroïquement par Zelensky, veut être une puissance indépendante et le rester, et disposer des moyens de toute puissance indépendante. Poutine tolèrerait une Ukraine ravagée, terre en friche aux marges de cette Eurasie imaginaire qu’il gouverne, « neutralisée » et pour toujours coupée de l’Europe malfaisante qu’il maudit.
Or, l’appartenance de cette Ukraine martyrisée à notre Europe est un point décisif. Il y a deux éléments de fixation du Tsar Poutine sur des « menaces » ou perçues comme telles : la dissuasion nucléaire, puisqu’il s’est procuré un arsenal dissuasif capable de ravager plusieurs planètes, dont il se vante à toute occasion, et une armée conventionnelle capable de lui résister sur le terrain. Ces deux éléments ont un nom, la France et la Grande-Bretagne pour le premier point, si les Etats Unis s’effacent, et l’Ukraine elle-même pour le second. L’Europe ne peut se permettre de perdre une Ukraine armée, qui est le fer de lance de sa puissance conventionnelle, son élément le plus fiable dans des situations défensives.
Plus globalement, la menace que craint Poutine est autre, c’est la séduction exercée sur ses propres sujets russes par le modèle des démocraties occidentales, séduction qui a poussé tous ses anciens vassaux vers nous. Il est écœuré qu’un mélange des « races » soit réalisé en Europe, sauf que la fédération de Russie est pluriethnique, avec une hiérarchie des ethnies. Tous les nouveaux droits des minorités lui font peur, parce qu’ils sont un foyer de contagion, dans un pays dominé en fait par des maffias et des élites corrompues. La corruption qu’il voit chez nous est la déformation onirique de la réalité russe.
Le Général Jakovleff voit clair lorsqu’il décrit le scénario d’une victoire de Poutine en Ukraine : Poutine rime avec Katyn, ce serait l’assassinat de toute l’élite occidentalisée d’Ukraine, un nouvel Holodomor armé, un génocide à la Khmer rouge. Ou encore, une Tchétchénie, où les résistants « terroristes » sont « flingués jusque dans les chiottes », dixit Vladimir Poutine. C’est ce qu’il appelle depuis des années une « dénazification ».
On peut chercher une paix juste, l’imposer si possible, ou bien, on peut vouloir « avoir la paix », c’est-à-dire, ne plus entendre parler d’un conflit. Le pacifisme de Trump est-il un désir de justice, ou une lassitude devant ce qu’il ne veut pas arbitrer, et qui appellerait un arbitrage des plus énergiques ?
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