Les Chroniques terriennes de Michel Dray : « Tonton pourquoi tu ne tousses plus ? »

 Michel Dray.

Montaigne aimait à dire qu’il n’enseignait pas, mais racontait. Avec sa « chronique terrienne » Michel Dray en sa qualité d’historien raconte « son » XXème siècle avec humour et parfois avec dérision.

Aujourd’hui : « Tonton pourquoi tu ne tousses plus ? »

En 1962, Fernand Raynaud fait rire toute la France avec « Tonton pourquoi tu tousses ? », racontant comment un trafiquant de drogue découvre que sa poudre… n’est que du sucre. Moins risible, débarquent des centaines de milliers de « pieds-noirs » dont l’accent impayable, comme en équilibre entre Marius et Olive, frise l’exotisme pour les oreilles métropolitaines. Et puis c’est l’apogée du Grand-Charles, qui, à chaque visite officielle de par le monde se fend d’une petite phrase dans la langue du pays visité. C’est fortiche question com’. Il faut dire que l’économie française a la pêche. On est à mi-chemin des Trente Glorieuses, fortes d’une croissance économique qui, aujourd’hui, ferait rêver même les plus avertis.

1981 : changement de décor. Fernand Raynaud a trouvé la mort sur la route huit ans plus tôt. C’est un autre humoriste, Coluche qui tient le haut du pavé. Mais que serait cette première année des eighties sans évoquer l’avènement de Mitterrand, lui, qui, après avoir furieusement combattu la Constitution de la Vème République, s’est gentiment aperçu que, tout compte fait, elle était plutôt bonne fille et pas bégueule. Baptisé « tonton » parles satiristes et « Florentin » par la classe politique, Mitterrand a été à la fois pour les journalistes le fameux tonton, guignolisé sur Canal + à partir de 1988, et pour le monde politique un politicien particulièrement madré. Comme dit ma concierge Mam’ Truc « avec tonton y’en a pour tous les goûts »

Il n’empêche. Entre de Gaulle et Mitterrand, l’Histoire n’hésite pas : les deux hommes sont bel et bien les deux derniers monarques de la France. Lettrés autant qu’incroyables stratèges, ils sont désormais deux mythes réconciliés par-delà la mort. Le premier a inventé le gaullisme ; le second s’est forgé une attitude « très gaullienne » — même s’il détestait qu’on le lui rappelât. Sans la guerre, y aurait-eu un De Gaulle ? Mais sans De Gaulle, y aurait-il eu un Mitterrand ? Étrange duo en vérité ! Mais l’histoire a ses raisons que la raison ne connaît pas. Ainsi, le Grand-Charles récupéré par une extrême-droite jadis sa farouche ennemie ; ainsi, Tonton bien décidé à rester présent par l’esprit. Ne l’a-t-il pas dit lors de ses derniers vœux, ultime adieu aux vivants ? Bref, ces deux trépassés ont sacrément la vie dure !

De Gaulle et Mitterrand, sont des mythes qu’on se plaît à dépoussiérer à chaque élection. Fichtre, que leurs mannes doivent frétiller, ces deux monarques de la République ! La gauche républicaine de 2025 ressemble à une sorte de Marguerite Gauthier, fascinante dame au camélia traînant d’un chapitre à l’autre non sa romantique tuberculose mais sa pitoyable rose fanée dont il ne reste que les épines. Quant à la droite républicaine de 2025, elle ressemble au Géronte des Fourberies de Scapin, tant elle se demande à hue et à dia ce que la France est allée faire dans cette galère extrême-droitière. Ces deux-là, si d’aventure ils ressuscitaient, se diraient pour l’un « la voilà la chienlit des partis » et pour l’autre « J’ai joué le Pen contre Chirac en 1983, eh bien c’est à vous de tousser maintenant. »

Le fait est qu’en 1981, le Front National arrivait péniblement à 3%. Le scrutin à la proportionnelle imaginé par Mitterrand dans le seul but d’empêcher le RPR de rafler la mise aux municipales, a laissé entrer le loup dans la bergerie. Et la Crise a fait le reste. Le parti socialiste embourgeoisé et usé s’est coupé du peuple ; le parti communiste, fracassé par l’effondrement de l’URSS, s’est coupé des ouvriers ; quant à l’UDF, Les Républicains, après avoir assassiné le RPR, sont assez loin d’un gaullisme appellation contrôlée. La politique ayant horreur du vide, les populistes s’éclatent dans la curée. Au terme d’une chasse à courre longue d’un peu plus de quarante ans, la France, tel un vieux cerf portant haut et grand ses bois majestueux, est si fatiguée qu’elle se laisse dévorer son flanc gauche par la meute LFiste, et son flanc droit par la meute extrême-droitière.

Dis-moi France, pourquoi tu ne tousses plus ?

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