Du courage en politique

 Assemblée nationale, bancs des ministres (©Assemblée Nationale).

Le grand sujet du moment en matière de politique intérieure c’est la préparation du budget 2026, et elle paraît très mal engagée, à tel point que le gouvernement Bayrou pourrait tomber lors de sa présentation. Le chiffre régulièrement cité est celui de 40 milliards à trouver, et évidemment ça impressionne. Au risque d’être provocateur ce n’est pourtant pas si compliqué.

Concrètement comment fait-on ?

Tout d’abord il faudrait que Bercy évite de venir au secours de ceux qui optimisent leur fiscalité et ce à la limite de la légalité. Ainsi on a appris qu’une instruction fiscale de Bercy publiée sous la pression du lobby bancaire, a vidé de sa substance le dispositif anti « CumCum » qui permettait à des actionnaires étrangers de sociétés françaises de contourner l’impôt sur les dividendes. Eric Lombard, le Ministre de l’Economie a d’ailleurs du venir se défendre le 8 juillet devant la commission des Finances de l'Assemblée nationale pour expliquer cette étrange décision. Manque à gagner pour les finances publiques du feuilleton « CumCum » : de 1,5 à 3 milliards d’euros par an.

Dans la même veine, en 2024 le Ministère des Finances, via Laurent Martel, le directeur de la législation fiscale, et ce à rebours d’une loi votée fin 2023 par l’Assemblée Nationale avait pérennisé une niche fiscale dite « Airbnb ». Manque à gagner pour les finances publiques : entre 600 millions et 1 milliard, et une plainte déposée par l’Association de défense écologiste de la démocratie et des libertés visant M Martel pour « concussion » ou encore « corruption passive ».

On imagine sans peine qu’on pourrait trouver d’autres exemples de ce type pour illustrer la connivence, certains préfèreront parler d’oreille attentive, entre Bercy et certains lobbies se traduisant par des milliards de recettes envolées pour l’Etat.

Ensuite en matière de recettes on pourrait mettre en œuvre la fameuse taxe Zucman qui a été beaucoup médiatisée ces derniers jours et qui est soutenue notamment par 7 prix Nobel d’économie. Rappelons qu’on parle ici de taxer 1800 contribuables disposant d’un patrimoine de 100 millions d’euros au minimum, soit 465 fois le patrimoine net moyen des français. Les recettes espérées seraient de l’ordre de 20 milliards par an, mais le Sénat dans une défense touchante de ces très grandes fortunes a retoqué l’initiative alors que l’Assemblée Nationale l’avait adoptée.

Et puis on pourrait peut être aussi demander aux retraités de faire un effort, retraités qui ont un niveau de vie désormais supérieur à celui des actifs ! Pour cela il faudrait soit supprimer l'abattement fiscal de 10% dont ils bénéficient tous – gain pour les finances publiques 4,5 milliards -, soit arrêter l’indexation des pensions sur l’inflation – entre 3 et 6 milliards d’économies selon les options retenues. Mais dans un régime politique qui s’apparente de plus en plus à une gérontocratie on peut penser que nos représentants ne voudront sûrement pas froisser leurs chers électeurs.

Mais nous avons gardé le meilleur pour la fin : la commission d’enquête sénatoriale sur l'utilisation des aides publiques aux grandes entreprises et à leurs sous-traitants a rendu son rapport en ce début de semaine. Et ses conclusions sont proprement surréalistes. Tout d’abord on apprend qu’il a fallu un énorme travail pour savoir quel était le montant de ces aides, finalement arrêté à 211 milliards d’euros pour 2023, soit l’équivalent de 4 fois le budget de l’Education Nationale et à peine moins que l’ensemble des dépenses de l’Assurance Maladie. A l’ère de la donnée et de l’IA on ne savait donc pas combien de dizaines de milliards on distribuait exactement !

Et surtout personne ne semble réellement savoir à quoi ces milliards ont dépensés, si les critères d’attribution et de conditionnalité, par exemple en matière de délocalisation, sont respectés, ou encore si leur versement ne relève pas d’un seul effet d’aubaine. Le constat est tel que les sénateurs plaident « pour un choc de transparence et de rationalisation ». On peut sans grand risque penser qu’une réduction de ces aides de 3 ou 4% (8 milliards) n’aurait pas une grande incidence sur la santé de nos entreprises, mais on peut aussi penser qu’on va longtemps attendre ce choc.

Au final les mesures que nous avons identifiées et qui pourraient entrer en vigueur très rapidement représentent entre 30 et 38 milliards d’euros. Soit 75 à 95% des sommes à trouver et ce sans parler d’autres pistes (remise en cause de la flat tax, conditionnalité de ressources pour les allocations familiales, remise à plat – indispensable – de la fiscalité des héritages, renforcement de la lutte contre la fraude avec l’embauche de quelques dizaines d’agents de contrôle du fisc sachant qu’il y a une corrélation directe entre le nombre de ces agents et les sommes recouvrées, …). En outre appliquer ces mesures ne dispenserait pas d’une réflexion sur nos dépenses publiques, leur optimisation, voire leur baisse dans certains domaines, mais cela permettrait de le faire sereinement et sans la pression constante des agences de notation, de Bruxelles, ou des marchés.

Mais… car il y a un mais, un énorme mais, cela ne peut se faire qu’à une seule condition : le courage.

En effet pendant longtemps on pouvait penser que faire de la politique c’était défendre l’intérêt général au détriment des intérêts particuliers, y compris les siens. Or cela suppose du courage, une vertu qui semble désormais aussi introuvable qu’un été sans canicule. Le courage de froisser certains électeurs, le courage de ne pas céder à la pression des lobbies, le courage de ne pas penser à sa carrière y compris dans des logiques de pantouflage, le courage d’aller à l’encontre de la doxa (« il ne faut pas augmenter les impôts »), le courage de reconnaître qu’on s’était trompé.

Si nos représentants et/ou nos gouvernants n’ont pas ce courage, les conséquences seront dramatiques, car ce qui va se passer c’est la mise en oeuvre d’une réduction des dépenses publiques sans réelle vision,, ce qui veut dire une couverture sociale moins forte, des services publics (police, école, justice) moins performants, des inégalités accrues et au final la paupérisation d’une grande partie de nos concitoyens.

C’est la fameuse logique de la « stratégie du choc » de Naomi Klein, avec l’épouvantail de la dette et/ou du déficit budgétaire dans le rôle du facteur déclenchant.

Sans ce courage notre pays continuera alors à s’enfoncer dans un marasme économique et social qui ne présage rien de bon.

Laissez-nous un commentaire

Plus récente Plus ancienne