Gérontocratie ?

 Bureau de vote.

Par Chem Assayag - Cadre dirigeant dans l’univers du numérique, auteur (poésie et nouvelles), essayiste et blogueur (blog Neotopia).

Le vieillissement de la population française est une donnée de temps long, mais il y a parfois des chiffres symboliques : ainsi les dernières donnés de l’INSEE parues la semaine dernière indiquent qu’en 2025 les plus de 50 ans deviennent majoritaires dans le corps électoral et en constituent 51,6 %, soit environ 25,6 millions d’électeurs, une première historique qui marque un tournant dans le paysage politique.

A l’autre bout du spectre électoral les 18-34 ans représentent 24,5% du corps électoral. Ces simples données suffisent déjà à comprendre que les élections se jouent essentiellement avec le vote d’une population « âgée ».

L’autre dimension à prendre en compte pour le vote est le taux de participation moyen par classe d’âge. On sait que, globalement, plus on est vieux plus on vote. Si on prend les chiffres de l’INSEE pour les élections présidentielles de 2022 les 18-24 étaient 52,5% à voter aux deux tours, les 25-29 ans 57,2%, tandis que les 60-64 ans votaient à 78% et les 65-69 ans à 78,5%. Un écart vertigineux de plus de 20 points entre « jeunes » et « vieux ». Pour les législatives, toujours en 2022, seuls 28 % des moins 30 ans ont voté au second tour des législatives, contre 59 % des 65 ans ou plus, soit 31 points d’écart. C’était « seulement » 25 points en 2002 (45 % contre 70 %).


Cette propension à voter accroît encore l’importance du vote des plus de 50 ans dans le résultat d’une élection ; en caricaturant on pourrait presque affirmer qu’il suffit de s’intéresser à cette catégorie de la population pour remporter le scrutin. D’ailleurs en 2022 ce sont eux qui ont assuré la victoire d’Emmanuel Macron, en le qualifiant pour le second tour. Désormais de façon un peu provocante on pourrait parler de « gérontocratie ».

Cette situation a des effets très importants sur le débat politique et surtout sur les politiques qui sont menées, en effet les préoccupations des plus de 50 ans – évidemment il s’agit ici d’évoquer des tendances car ils ne constituent pas une catégorie homogène – sont spécifiques : les problématiques liées à la retraite, à la sécurité, à la santé, au pouvoir d’achat, au régalien, sont plus importantes pour eux, tandis que les « jeunes » sont plus sensibles aux thématiques de l’environnement, de la justice sociale, du logement ou encore de l’accès à l’emploi. Au final les plus âgés votent plutôt à droite et les jeunes plutôt à gauche. Ainsi aux législatives de 2024 près de la moitié des jeunes de 18 à 24 ans (48%) choisissait le NFP, pendant le RN réalisait un score de 31% chez le retraités.

Dans ce contexte, les partis politiques – à l’exception peut être de LFI – mettent en avant des mesures, puis mettent en œuvre des politiques, qui sont avant tout en lien avec les préoccupations des seniors et qui leur sont plutôt favorables.

Ici, soyons très clair, la question n’est pas celle du choix partisan des électeurs mais de dynamiques globales qui nous semblent très préoccupantes pour notre pays. En effet une société dont les décisions majeures sont, in fine, calées sur les souhaits des plus âgés ne peut pas se projeter réellement dans l’avenir, réaliser des choix audacieux, bâtir des politiques sur le long terme. Elle est condamnée à des arbitrages de court terme, des choix tactiques, des ambitions moyennes.

Il y a ici un réel paradoxe : par définition les seniors ont une espérance de vie moindre que celle des autres catégories de la population mais avec ce phénomène de «surreprésentation» dans le vote ils vont décider pour tous leurs concitoyens, tout en étant ceux qui en subiront le moins dans le temps les effets des choix qu’ils vont privilégier.

Dès lors un enjeu fondamental et démocratique est celui du retour aux urnes des plus jeunes et pour cela plusieurs pistes peuvent être évoquées.

On pourrait tout d’abord rendre le vote obligatoire. Cela existe déjà dans d’autres pays comme la Belgique ou l’Australie. Cela aurait un double effet positif : mécaniquement la participation aux élections serait plus forte rendant ainsi beaucoup plus légitimes ceux qui seraient élus et d’autre part le vote obligatoire pousserait fortement les jeunes à s’inscrire sur les listes électorales ce qui éviterait la sous-représentation chronique de cette catégorie de l’électorat aux élections.

Si le vote est rendu obligatoire il faut aussi admettre que l’électeur puisse exprimer l’inadéquation des choix qui lui sont proposés avec ses aspirations, et dès lors le vote blanc doit être comptabilisé. Cela aurait aussi un effet vertueux puisque le vote blanc est un signe fort, tangible, mesurable, qui est envoyé à ceux qui se présentent au suffrage pour leur signifier qu’ils ne répondent pas à ce que souhaitent les citoyens, notamment les plus jeunes.

Le couple vote obligatoire et comptabilisation du vote blanc rend dès lors les résultats des élections plus significatifs et reflète plus fidèlement la réalité des choix du corps électoral.

La deuxième piste est celle de l’abaissement de l’âge du vote ; l’âge de 16 ans est régulièrement évoqué. Cela aurait un effet – cela représente une population d’environ 1,6M électeurs supplémentaires - mais qui resterait faible au vu des taux de participation qu’on peut anticiper dans cette catégorie d’âge.

On peut aussi imaginer des pistes de réformes plus radicales liées à la comptabilisation des votes en fonction de l’âge. Par exemple à partir d’un certain âge (55 ans ? 60 ans ?) le vote serait pondéré. Prenons l’exemple d’un vote pondéré à partir de 60 ans : à partir de 61 ans mon vote ne vaut plus un vote plein mais par exemple 95% d’un vote, et ce pourcentage baisse par paliers jusqu’à un plancher de 50%, par exemple à 80 ans. Une autre variante plus simple pourrait être : de 60 à 70 ans le vote vaut 0.8, de 70 à 80 ans 0.6 et au-delà de 80 ans 0.4. Symétriquement on pourrait plutôt imaginer une surpondération du vote des plus jeunes qui vaudrait plus qu’un vote plein jusqu’à un certain âge.

L’idée ici est de faire en sorte que le vote de ceux pour lesquels les politiques mises en œuvre vont avoir le plus d’incidence sur la durée – je pense notamment aux sujets qui engagent pour un futur plus lointain comme les enjeux de lutte contre le réchauffement climatique, ou aux sujets comme le temps de travail ou l’âge de la retraite – aient une voix qui compte plus, et à l’inverse ceux qui sont moins concernés – voient leur poids électoral relatif diminuer.

On me dira que je déroge ici au principe « un homme (ou une femme), une voix », mais ce n’est pas vrai car par construction tous ceux qui deviendront vieux auront été plus jeunes auparavant et sur la durée d’une vie tout le monde aura été logé à la même enseigne.

Enfin on peut espérer (rêver ?) que les partis politiques prennent conscience du problème et s’intéressent de façon beaucoup plus forte aux préoccupations des plus jeunes, et que mécaniquement ceux-ci se mettent à voter de façon plus massive. Mais cela prendra du temps et ne permettra pas de contrebalancer complètement l’évolution démographique de la population française.

C’est bien un ensemble de mesures, y compris fortes comme le vote obligatoire, qui permettra d’éviter la pente dangereuse de cette « gérontocratie » qui s’affirme. C’est une partie de l’avenir de notre pays qui ici est en jeu.

1 Commentaires

  1. Je retrouve bien là une idée bien ancrée en France comme quoi les vieux sont bons à jeter. Dans d'autres pays d'Europe, les vieux sont considérés comme une richesse à cause de leur expérience.

    Et puis tant qu'à faire pourquoi s'arrêter aux vieux ? Chaque groupe socioculturel peut avoir des préoccupations qui lui sont propres. Alors, pourquoi pas aussi pondérer les musulmans, les juifs, les noirs, les lgbt, les csp+, les gros salaires, les chômeurs,... Je trouve ce genre d'idée extrêmement dangereuse pour la démocratie !

    L'idée même de donner un poids au vote, et donc une certaine forme de poids à une catégorie de la population, en fonction de son appartenance socioculturelle, rappelle des temps que l'on ne souhaite plus revoir. Relire "animal farm" de Jorge Orwell. All the animals are equal but some are more equal than others.

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