■ Julie Budria incarne sainte Marguerite-Marie Alacoque dans Sacré Cœur, le docu-fiction réalisé par Sabrina et Steven Gunnell, coproduit et distribué par Saje.
I - Tu ne porteras pas de faux témoignage ni ne mentiras
Réalisé par un ancien membre du boys band Alliage et sa compagne, le film « Sacré-Cœur », sous-titré « son règne n’a pas de fin », est présenté comme un docufiction en raison de quelques scénettes illustrant les propos des intervenants. Tout juste passable en raison d’une mise en scène scolaire et d’une écriture fragile, le film aurait dû rapidement sombrer dans un oubli somme toute mérité. Et pour cause, s’il suffisait d’exhumer la figure de sainte Marguerite Marie – aussi emblématique soit-elle – à travers une reconstitution sommaire pour remplir les salles de cinéma, nombreux seraient les cinéastes amateurs à emboîter le pas à l’ancienne starlette. Ainsi pouvons-nous légitimement nous demander les raisons de l’omniprésence de ce docu-fiction au sein des médias Bolloré et affiliés. Le financement partagé entre les milliardaires d’extrême droite Pierre-Édouard Stérin, Vincent Bolloré et la société Ze Watchers de Chantal Barry ainsi qu’un casting discutable lèvent le voile sur ce mystère.
Il semblerait qu’en y regardant de plus près, le très moyen “Sacré-Cœur” se révèle un film prosélytique qui place au devant de la scène des protagonistes à la moralité douteuse et aux idées réactionnaires. Nous retrouvons l’abbé Matthieu Raffray, prêtre traditionnaliste devenu influenceur agréé par Progressif Média, l’agence de communication du groupe Vivendi et de Ze Watchers, société de Chantal Barry, amie et mentor de Vincent Bolloré, dont le dessein a longtemps été d’évangéliser la télé-réalité.
Celui-ci évoque régulièrement la croisade à laquelle il se prépare sur son compte Instagram suivi par près de 200 000 abonnés tout en tenant des propos antirépublicains et/ou blasphématoires au sein de formats digitaux promus par Progressif Média. Sur ces supports, nous pouvons l’entendre comparer Jean-Marie Le Pen au Messie ou encore le pape François à un père de famille alcoolique. L’abbé Raffray, proche de personnalités d’extrême droite comme Éric Zemmour ou encore Jordan Florentin, avec ses saillies contre l’immigration et ses obsessions contre le “gauchisme”, tend à banaliser, à l’instar de ses soutiens, l’extrémisme promu par la droite radicale. Il incarne la promotion d’un catholicisme identitaire aux relents maurassiens qui jette l’opprobre sur l’ensemble de la communauté chrétienne tout en prétendant la défendre et l’honorer.
Aussi, comment ne peut-on pas s’alarmer de la présence d’un prêtre qui prône le rejet de l’autre dans un film censé représenter l’amour divin ? Est-il possible de ne pas y voir un moyen détourné de promouvoir un catholicisme identitaire, opposé aux valeurs véhiculées dans la première exhortation apostolique de notre pape Léon XIV ? Pire encore, devant un personnage dont la soutane s’avère – pour les moins connaisseurs – un gage de respectabilité, comment peut-on ne pas plaindre l’ignorant qui – associant ce long-métrage au christianisme – le défendrait aveuglément ?
Si le docu-fiction met également en scène le Père Joël Guibert, habitué des plateaux Cnews, la présence du Père Étienne Kern, membre de la communauté de l’Emmanuel interroge. Comment ce Lorrain de cinquante ans, ordonné par Mgr Vingt-Trois en 2005, désormais recteur du sanctuaire de Paray-le-Monial, a-t-il pu se compromettre, lui-même et son ordre, au sein d’un projet au financement douteux ? Peut-être qu’à l’image de nombreux Français se laissant duper par le travestissement d’un outil de récupération politique en film à la gloire du Christ, l’homme d’Église s’est vu instrumentalisé par la droite radicale. Peut-être a-t-il eu envie de soutenir ce projet qui prétendait rendre hommage à l’amour inconditionnel de Jésus-Christ parce qu’il y a perçu un écho à sa mission évangélique. Peut-être qu’en tant qu’homme sensible qui a choisi de consacrer sa vie à la prêtrise, on a davantage envie de croire en la beauté de l’humanité plutôt qu’en ses mauvais côtés et que, de ce fait, il est plus facile de se laisser manipuler.
Dans le jeu du travestissement du message et de l’information, nul n’est épargné. C’est pourquoi il est primordial de nous montrer particulièrement vigilants ; et si, d’aventure, nous venions un jour à nous laisser duper, puissions-nous faire preuve de suffisamment de clairvoyance pour retrouver les sentiers de la vérité et nous en excuser.
Dans le cas qui nous occupe, les indices d’une campagne de désinformation sont d’emblée présents, reprenant les mécanismes habituels.
Jordan Florentin, journaliste au Média d’extrême droite “Frontières” (anciennement “Livre noir”), proche de l’abbé Raffray, de soutiens d’Alain Soral et de personnalités rattachées au groupe Vivendi, a donné le ton au lendemain de la sortie du film. Le jeune homme s’est positionné comme “prêt à tout” pour promouvoir “Sacré-Cœur”, ultime rempart contre “l’halalisation” (sic) de la société. Dans le monde de la fachosphère, une pareille prise de position n’est ni accidentelle ni neutre. Elle revient à une participation active à une désinformation massive, autrement dit à un rôle prédéfini dans la banalisation de l’ultradroite et du catholicisme identitaire. Idem sur Cnews. Quand l’animateur condamné pour corruption de mineurs et harcèlement sexuel, Jean-Marc Morandini, s’insurge de façon théâtrale contre la supposée mise à l’index du film, ce n’est ni plus ni moins qu’un procédé de manipulation visant à toucher la corde sensible de son auditoire. Dans une chaîne où chaque sujet est pesé et où les intervenants sont “briefés” en amont pour les besoins de la ligne éditoriale, il va sans dire que les états d’âme sont à proscrire… à moins qu’ils ne servent son projet idéologique.
Bientôt le film voit son affiche boycottée par la SNCF et la RATP pour atteinte à la laïcité, chose qui permet aux hérauts du groupe Vivendi d'inscrire sa volonté d'utiliser “Sacré-Cœur” à des fins propagandistes. Des plateaux CNews à son annexe officieuse "Tout beau tout neuf” (anciennement “Touche pas à mon poste”) sans oublier les contenus relayés par les influenceurs Progressif Média, le film bénéficie d'une promotion exceptionnelle reposant sur sa prétendue éviction. Un procédé qui n'est pas sans rappeler celui utilisé lors de la disparition de C8 en février dernier, où la chaîne avait été présentée comme victime malheureuse de l'acharnement somme toute gratuit de l'ARCOM.
II – Tu aimeras ton prochain comme toi-même.
Stéphane Ravier, sénateur Reconquête !, récemment condamné à un an d’inéligibilité pour prise illégale d’intérêts, a gagné la bataille juridique l’opposant à Benoît Payan, maire de Marseille. “Sacré-Cœur” sera donc diffusé au château de la Buzine, établissement géré en régie municipale par la ville. Le second acte de la mise en scène autour du film se politise et dépasse bientôt les frontières de la cité phocéenne. De victime du boycott d’entreprises privées à celui d’une mairie présentée comme christianophobe, la promotion du film semble s’apparenter au chemin de croix.
Le 25 octobre, le tribunal administratif de Marseille ordonne la reprogrammation du long-métrage. Cette victoire surprise de l’extrême droite suscite l’envie des élus LR qui, à l’image de Martine Vassal, présidente de la métropole et candidate aux municipales de 2026, tentent de récupérer la polémique en prenant le train en marche. Un opportunisme électoral qui pose des questions quant à l’éthique de certaines personnalités politiques mais qui s’avère, hélas, fort commun en la matière.
Si l’ordonnance du juge repose sur le fait que “Sacré-Cœur” ne soit diffusé que dans « un seul cinéma de la ville » et que « la programmation d’un film à caractère religieux ne porte pas atteinte au principe de laïcité », elle ne traite pas du fond du problème. En effet, le film dont le financement – et donc l’existence – repose sur le soutien de l’extrême droite et de ses hérauts médiatiques prend en otage l’ensemble des catholiques, du corps ecclésiastique aux fidèles, de Rome aux paroisses plus modestes de notre province. Le rejet de l’autre, l’extrémisme et tous les idéaux mortifères de la droite radicale ne doivent en aucun cas s’incarner dans un docu-fiction traitant de l’amour inconditionnel de Dieu. Il est moralement impossible de travestir la haine la plus crue en œuvre religieuse tout comme il est incompatible avec notre condition d’homme de demeurer impassible face à une telle prise d’otage.
L’instrumentalisation des racines chrétiennes à des fins réactionnaires n’a pas disparu avec l’éradication de Civitas. Elle se retrouve dans chaque post de l’abbé Raffray, dans chaque homélie qui résonne dans les murs de Saint-Nicolas-du-Chardonnay, dans le noir des soutanes et désormais dans chaque mention de “Sacré-Cœur” au sein des médias Bolloré. Cette peste, nous avons pu la percevoir dans la campagne de dénigrement et de désinformation orchestrée par les mêmes médias contre Mgr Aveline, archevêque de Marseille et figure d’une foi tournée vers la modernité, en réponse à sa nomination à la tête de la Conférence des évêques. Si désormais elle tend à s’immiscer dans les paroisses qui programment le film, dans les diocèses qui se réjouissent du nombre d’entrées et dans chaque foyer ne mesurant pas l’ampleur de sa dangerosité, il ne faut pas perdre de vue que tout fléau a un remède. Et dans le cas présent, l’antidote se trouve dans les fondements de notre foi, dans l’amour inconditionnel que le Christ nous porte et surtout dans notre capacité à demeurer coûte que coûte à son image.
En tant que catholique, il est impossible de ne pas se positionner quant à l’immonde souillure que représente le détournement du Sacré-Cœur de Jésus à des fins propagandistes et plus largement la récupération de la foi chrétienne pour nourrir l’extrême droite. La promotion d’un catholicisme identitaire qui s’incarne dans le rejet de l’autre va à l’encontre de nos valeurs chrétiennes et ce, y compris lorsque le sous-titre est appétant. Semer la confusion entre notre religion et son pendant le moins reluisant est indigne de commanditaires qui se revendiquent croyants.

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