Michel Dray est un proche de Boualem Sansal depuis plusieurs années. Il a beaucoup écrit sur cet écrivain. Pour Le Contemporain, il nous livre un portrait inédit de l’écrivain franco-algérien.
Par Michel Dray - Co-auteur dans l’ouvrage collectif « Il est une fois Boualem Sansal » éditions Franz Fanon, Paris,
Co-auteur dans l’ouvrage collectif « Critique de la Déraison antisémite » (éditions Intervalle, Paris).
Merci au peuple allemand
Un avion aux couleurs allemandes se pose sur le tarmac de l’aéroport de Berlin : le genre d’image qui vous réconcilie avec la nature humaine. Car, quel plus grand symbole que de voir un écrivain bardé d’un extraordinaire courage, placé durant une longue année au complet isolement dans un prison d’Alger, délivré par une Allemagne qui, voilà 80 ans en finissait avec sa propre et sanglante dictature ! L’histoire nous réserve parfois de bonnes surprises.
Un homme est toujours la proie de ses vérités
Cette pensée d’Albert Camus serait sans doute un bon sujet de philo ! Vérités, ah qu’en ton nom beaucoup de massacres on été perpétrés. Le mot est beau, grandiose même, mais ô combien dangereux entre les bouches mal intentionnées, tant il demande audace, courage et abnégation pour que de cette idée magnifique on construise un monde plus fraternel. Sansal s’est toujours méfié des intellectuels un peu comme Desproges qui disait « Vivre en théorie ? ce pays n’est pas fait pour moi, on y marche qu’au pas. » Et s’il y a bien une chose que Sansal déteste, c’est bien de marcher au pas. Il ne supporte pas le verbiage ethno-centré. Les certitudes ne sont pas sa tasse de thé.
« Je suis athée… ô grâce à Dieu ! »
Qui n’a pas en mémoire cette chanson sulfureuse de Mouloudji. Je conseille d’ailleurs aux jeunes générations de l’écouter, ils constateront à quel point les Boris Vian, les Mouloudji, les Brassens, les Brel et consorts sont fichetrement actuels, et surtout très respectueux de la langue. Le combat que mène Sansal pour dénoncer l’obscurantisme islamiste n’a qu’un objectif : faire entre les Lumières même par les plus petits interstices de l’histoire. La laïcité n’est pas une vertu mais la condition essentielle pour vivre en liberté, chacun respectant la croyance — ou la non croyance — de l’autre.
« Les mots sont mes armes, la liberté ma patrie »
Victor Hugo écrit ces mots en 1881 (1) Il résume Sansal tout entier. Serait-il devenu écrivain si l’Algérie n’avait pas été ensanglantée par dix ans de guerre civile opposant islamistes et militaires … avec le peuple comme dindon de la farce ? J’en suis persuadé. En 1999, paraît sous son vrai nom « Le Sang des Barbares »,(2) un roman que je qualifie de dostoïevskien. Sansal sait que, désormais il est un opposant au régime, avec tous les risques que cela implique. Car « le Sang des Barbares » raconte l’histoire d’un inspecteur de police, proche de la retraite et à qui on confie une enquête sans intérêt. Larbi est un policier consciencieux mettant au jour une société algérienne gangrenée par les trois plaies qui, trente ans après la parution du livre, sont plus que jamais purulentes : l’islamisme, la corruption et la pression totalitaire des militaires.
« Nous voulons rassembler ceux qui aspirent à un avenir humain, et non à l’apocalypse ; ceux qui aspirent à l’esprit, mais pas à la barbarie et à un Moyen-Âge fallacieux, crispé et pernicieux. Ceux qui veulent servir la pensée, qui aspirent à son élévation, à sa légèreté et à ses exigences, à son travail, à son service, et non au pas cadencé des parades militaires qui mènent à la mort par asphyxie et servent les intérêts d’aventuriers de la pire espèce » Ces mots sont écrits par Klaus Man, le fils de Thomas Mann en 1933. Je le lui avais fait découvrir. « Je crois que Klaus et moi, on se ressemble » m’avait-il répondu. J’ai toujours pensé que tous les résistants se ressemblent, chacun luttant avec les armes qu’il maîtrise le mieux ; pour Sansal ce sont les mots.
La langue française est ma patrie (Albert Camus)
On a accusé Boualem Sansal d’être une espèce de chantre du colonialisme français sous prétexte d’écrire en français. Il a toujours admis que s’exprimer dans la langue de Molière est un acte de résistance au cœur d’un pays pour qui l’arabisation est une manière d’en finir avec la France. Pour autant, l’écrivain ne s’est jamais opposé à l’arabisation mais, comme il l’explique clairement dans le dialogue avec le psychanalyste Boris Cyrulnik et publié sous le titre très évocateur de « France-Algérie, la résilience » (3) reconnaître l’importance de la France dans la culture algérienne signifie la conciliation entre un passé indélébile et un avenir de coopération où tout le monde trouverait son compte.
La dystopie comme champ exploratoire
Sansal aime la science-fiction. Elle est à ses yeux le parfait réceptacle pour explorer les latitudes philosophiques les plus audacieuses. Paru en 2015, « 2084 la Fin du Monde » (4), peut-être son roman le plus célèbre, il nous enseigne combien la Bête immonde sait faire son nid là les peuples ont baissé la garde tant à l’extrême gauche stalino-mélanchoniste qu’à l’extrême droite zémmourienne. Dix ans après le massacre des attentats de novembre 2015, les 132 jeunes vies brutalement effacées auxquelles il faut ajouter les dizaines d’autres de l’attentat de Nice, sans oublier toutes les victimes d’attentats en Europe ; bref, tout ce monde assassiné sous les cris d’Allah Hou Akbar nous hantera longtemps. Marches blanches ? pourquoi pas. Cérémonies qui unissent les générations dans une même souvenance ? indispensable. Mais ce que nous enseigne Boualem Sansal, Kamel Daoud, Yasmina Kadra et tant d’autres aujourd’hui en exil, c’est de ne jamais baisser la garde tant la Bête immonde n’attend qu’une occasion pour nous dévorer.
Notes
- Cri lancé par Victor Hugo dans un article adressé en 1881 aux journaux pour sensibiliser l’opinion sur les pogroms en Russie.
- « Le Sang des Barbares » Gallimard, 1999
- « France-Algérie, la résilience » Odile Jacob, 2020
- « 2084, la Fin du Monde » Gallimard, 2015

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