■ Donald Trump menace de poursuivre la chaîne pour 5 milliards de dollars.
Ainsi en 1978 dans la préface de la version française il indiquait « « L'objet de ce livre est d'aider à la défense de la liberté et de la démocratie. Je n'ignore rien des difficultés et des dangers inhérents à la démocratie, mais je n'en pense pas moins qu'elle est notre seul espoir. Bien des exemples montrent que cet espoir n'est pas vain ». Mais cette société ouverte a des ennemis et l’une des questions les plus ardues à résoudre est celle du combat contre ces ennemis, et de la possibilité de mener ce combat sans renier les valeurs qui la fondent. C’est ce que Popper appelle le « paradoxe de l’intolérance », ou comment être tolérant avec les intolérants. Le risque, et il faut l’avoir bien en tête, étant que la démocratie, pour rester fidèle à ses principes, finisse par disparaître sous les coups de ceux qui veulent la voir à terre faute d’avoir réellement combattu.
Cette semaine un exemple me semble particulièrement frappant pour illustrer cette tension qui est au cœur de nos démocraties et que j’appellerai l’affaire de la BBC.
L’affaire entre la BBC et Donald Trump a été révélée par le journal britannique conservateur The Daily Telegraph le 12 novembre dernier, qui a publié une enquête détaillée sur le montage controversé du documentaire Panorama de la BBC diffusé avant l’élection présidentielle américaine de 2024. Le journal a exposé comment des extraits du discours de Trump du 6 janvier 2021, au moment de l’assaut contre le Capitole, avaient été assemblés de manière à présenter l’ancien président comme incitant à la violence.
Concrètement dans le reportage de la BBC on voit Donald Trump dire à ses partisans : « Nous allons marcher jusqu'au Capitole. Je serai à vos côtés, et on va se battre comme des diables. » Il s'agit de deux phrases bien prononcées par Donald Trump, mais à deux moments différents de son discours. Leur juxtaposition et l'omission de « pacifiquement » ont été jugées trompeuses.
Cette affaire a créé une onde de choc en Grande-Bretagne : le directeur général de la BBC Tim Davie et sa directrice de l’information Deborah Turness ont démissionné, pendant que Trump se réjouissait de ces démissions, accusant la BBC de vouloir influencer l’élection. Dans la foulée les avocats de Trump ont envoyé une mise en demeure à la BBC, l’accusant d’un montage trompeur et Trump a menacé de poursuivre la chaîne publique pour un milliard de dollars pour diffamation si le documentaire n’était pas corrigé ou retiré. Face à la polémique, le président du conseil de la BBC, Samir Shah, a reconnu une erreur de jugement et présenté des excuses à la Maison-Blanche.
De son côté, le Premier ministre britannique est intervenu pour défendre la BBC face aux critiques, réaffirmant l’importance d’un service public fort et indépendant.
Ici il est indéniable que la BBC a commis au mieux une maladresse et au pire une faute en réalisant ce montage des propos de Trump. Mais il est tout aussi indéniable que Trump a bien soutenu les assaillants du Capitole. Par ailleurs la BBC a reconnu son erreur, s’est excusée et de hauts responsables ont été contraints à la démission. Cette vénérable institution, connue pour sa rigueur et ses exigences en matière de journalisme, et à ce titre pilier de la société britannique assume donc la responsabilité de son non-respect des règles dans une société démocratique et en tire les conséquences. On devrait donc en rester là.
Mais dans un retournement pervers les défenseurs de la démocratie – ici la BBC et ses soutiens – apparaissent comme les fautifs, et ce d’autant plus qu’ils reconnaissent leur erreur pour rester fidèles à leur éthique, permettant à leurs adversaires, qui eux se fichent bien de quelque principe que ce soit, d’en tirer avantage.
Ainsi Donald Trump qui lui ne respecte aucune règle, ment, propage des fake news, insulte et moque ses adversaires, ne tient aucun compte de la séparation des pouvoirs, utilise sa fonction pour servir des intérêts privés... peut se présenter comme la victime et agiter la menace d’un procès pour intimider (rappelons qu’il a déjà obtenu et/ou réclame plusieurs dizaines de millions à plusieurs milliards de dollars de dédommagement sur la base de telles menaces envers ABC, le New York Times ou encore CBS News aux Etats-Unis). En somme celui qui peut être vu comme l’ennemi de la démocratie utilise toutes les ficelles – en usant et abusant de son pouvoir, y compris en obtenant de la Cour Suprême une immunité élargie dans le cadre de ses fonctions – pour la combattre. Et évidemment Trump ne reconnaîtra jamais une erreur, suivant en cela les principes enseignés par son mentor Roy Cohn, et ne s’excusera jamais, et laissera les défenseurs de la démocratie s’égosiller en leur riant au nez.
En laissant ainsi prospérer ses ennemis, notamment à l’heure des réseaux sociaux et des manipulations massives de l’opinion, la société démocratique prend donc le risque de s’autodétruire en ne faisant rien. Dès lors la question vertigineuse qui nous est posée est celle de moyens qu’elle peut mettre en œuvre pour lui permettre à la fois de se protéger, tout en ne dévoyant pas ce qui fait identité notamment à travers la notion d’état de droit (liberté d’expression, séparation des pouvoirs, respect des minorités…).
Une première piste pourrait consister à sanctionner beaucoup plus rapidement et plus durement tous ceux qui émettent, propagent ou laissent propager des informations fausses, mensongères ou diffamatoires, rejoignant en cela la vision de Popper où la vérité occupe une place centrale. Cela ne sera bien sûr pas suffisant, surtout à l’ère de la post-vérité et des simulacres, mais cela peut être un début et c’est bien un arsenal complet d’auto-défense de la démocratie qu’il va nous falloir rapidement imaginer, sous peine de la voir tout simplement disparaître.

Enregistrer un commentaire