Les dépouilles royales face à la vérité scientifique : ce que disent les cœurs de nos souverains sur notre modernité

 Louis XIV et les plans de la Maison royale de Saint-Louis à Saint-Cyr, Nicolas-René Jollain © Getty - Heritage Images / Contributeur.

Par Sevan Gérard

Il est frappant de constater combien les conclusions historiques peuvent bénéficier des avancées scientifiques. Ce qui semblait définitivement inscrit dans les récits nationaux peut se trouver régulièrement complété par un microscope, un scanner ou un séquençage. Les dépouilles royales et les restes, réels ou supposés comme tels, en sont une illustration singulière : elles font converger l’imaginaire politique, la mythologie nationale et les apports des sciences contemporaines.

Les recherches autour de Louis XIV offrent aujourd’hui un cas d’école. Elles révèlent la tension entre deux temporalités : celle du récit riche, cohérent, presque confortable et celle de la science. Cette tension n’est pas anecdotique : elle dit quelque chose de notre rapport à la vérité, à l’autorité et à la connaissance.

Il y a quelques années, des travaux sur l’interprétation des données issues du séquençage à haut débit de l’ADN menés par une équipe internationale et pluridisciplinaire, le READ (Researchers Enhancing Alzheimer’s Diagnostic), avaient démontré la puissance des nouvelles technologies dans l’identification des liens familiaux méconnus. Ces avancées avaient ouvert la voie à un rapport renouvelé entre sciences du vivant, histoire (médicale) et mémoire collective par la confirmation de la survivance de la descendance agnatique de Charles X, c’est-à-dire de la branche ainée des rois Bourbon.

La science mettait en évidence que le plus proche parent agnatique de Louis XVI n’était pas un médiatique prétendant à un quelconque trône disparu, mais un homme discret, président d’un Corps Consulaire normand.

Dans ce contexte, la publication en 2023 d’un article du Point avait attiré l’attention : il présentait les investigations du docteur Philippe Charlier autour d’un tableau d’Alexandre Pau de Saint-Martin, « Vue de Caen » peint en 1810. Le constat était que l’un des pigments utilisé pour peindre le tableau avait été élaboré avec l’apport de tissus musculaire. Selon cet article, le Dr Charlier aurait apporté la preuve de l’origine cardiaque du pigment et trouvé des stigmates de gangrènes. « Cela correspond aux causes exactes de la mort de Louis XIV en 1715 », relevait Philippe Charlier, « La légende disait donc vrai… ». Le micro-CT scanner y révélait « des calcifications au niveau des valves et valvules, très fréquentes chez les personnes âgées » et « des traces évidentes de gangrène infectieuse », confirmant ainsi le récit traditionnel de l’agonie du Roi-Soleil.

Mais voilà que deux ans plus tard, en 2025, un article du Parisien remet l’ensemble dans une nouvelle perspective. Une équipe menée par le même docteur Charlier a, cette fois, examiné un fragment d’un cœur momifié, supposé du Roi-Soleil, conservé à la basilique Saint-Denis. Les nouvelles analyses suggèrent une tout autre hypothèse pour expliquer son trépas : celle d’une chromoblastomycose, une infection fongique rare, possiblement contractée lors d’un voyage en Afrique ou par l’exposition à des végétaux exotiques présents dans les jardins royaux.

Ce diagnostic contredit frontalement l’hypothèse de la gangrène. Il instaure un paradoxe, mais qui n’a en rien freiné l’enthousiasme de la journaliste ni de l’expert interrogé. Sur X (anciennement Twitter), on pouvait lire un post d’un descendant de Louis XIV : « J’ai toujours plaisir à constater que la recherche historique sur les Rois de France évolue, notamment grâce aux progrès scientifiques et technologiques. »

Il convient de garder à l’esprit deux choses avant de tirer la moindre conclusion des propos en apparence contradictoires des conclusions de l’expert. Premièrement l’usage supposé d’extraits de cœurs des monarques bourbons n’est pas isolé. Ainsi, « Intérieur de cuisine » de Martin Drölling, peint 5 ans plus tard, intègre des fragments du cœur de Louis XIII, selon des anecdotes familiales transmises. Cette pratique, marginale en ce qui concerne les cœurs royaux, est liée à la tradition très en vogue pour le coup, à la fin du XVIIIe siècle et au début du XIXe, du pigment brun-ocre, dit « mumie », tiré de fragments de momies égyptiennes macérés dans une décoction d'alcool et malaxés avec de l'huile, prisé pour sa fluidité et son glacis, parfois remplacée par des restes de cadavres humains ou animaux quand les reliques étaient trop rares. Deuxièmement, rien ne prouve que le pigment du tableau d’Alexandre Pau de Saint-Martin – comme celui de Martin Drölling du reste – provienne des cœurs de Louis XIV (ou de Louis XIII), si ce n’est une tradition. Pour pouvoir l’affirmer avec certitude, il eût fallu, si cela avait été seulement possible, ce qu’a infirmé le docteur Charlier, extraire l’ADN de ces pigments, en réaliser le séquençage à haut débit et comparer les données obtenues à celles issues de l’ADN des descendants agnatiques vivants connus de ces monarques à l’aide de la méthode de la congruence génétique et généalogique développée par READ DNA.

On touche là le point central du sujet : l’écriture de l’histoire est un palimpseste soumis aux progrès technologiques. Dans ce contexte, l’ADN inaugure une ère sans cesse renouvelée. La congruence génétique et généalogique portée par READ DNA permet de reconstituer des généalogies, d’éclairer des filiations méconnues et de repérer des liens familiaux insoupçonnés entre cas apparemment sporadiques de maladies neuro-évolutives, et ce à l’échelle de lignages entiers.

Mais cette puissance appelle une responsabilité éthique qui sera développée dans un autre article.

L’histoire n’est pas un laboratoire neutre. Elle est un terrain de pouvoir, de mémoire et d’identité.

À l’arrivée, le dossier « Louis XIV » dit bien plus que la mort d’un monarque. Il expose l’enjeu central de notre modernité la place de la science. Entre gangrène et champignon tropical, une conclusion demeure : face à la nature, face à la vérité biologique, face au temps, face à la finitude de l’existence, le plus grand des monarques n’est qu’un homme comme les autres.

Du reste, il importe de se souvenir du propos de Louis XIV à Madame de Maintenon : « J’ai toujours ouï-dire qu’il est difficile de mourir. Pour moi qui suis sur le point de ce moment redoutable aux hommes, je ne trouve pas que cela soit si difficile. » Elle vient sceller l’image d’un souverain lucide, stoïque face à son destin.

Cette égalisation radicale, rendue possible par les outils scientifiques de notre époque, constitue peut-être la véritable révolution intellectuelle de notre siècle. Elle nous oblige à regarder autrement les puissants, les récits fondateurs et les héritages. Elle souligne, implicitement, qu’aucun pouvoir, même absolu, n’échappe à l’absolu du principe de réalité.

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