Chine vs Etats-Unis : la bataille de l’IA. Partie 1 : le paysage

 Illustration Gemini.

On sait que l’intelligence artificielle va constituer un (le ?) champ de bataille technologique majeur des prochaines années entre les Etats-Unis et la Chine. L’idée implicite est que la suprématie dans ce domaine conférerait à l’Etat qui la détient un avantage décisif en matière économique, militaire et stratégique. La bataille est donc féroce entre les deux géants pour prendre la tête de la course.

Ici il faut comprendre que l'intelligence artificielle, entendue comme un système computationnel capable de résoudre des tâches complexes bien plus efficacement et rapidement que l’être humain, repose sur un ensemble de technologies, de ressources et de compétences. Nous allons schématiquement en décrire les différents éléments, ce qu’on appelle la chaîne de valeur, sachant que la maîtrise de chacun d’entre eux est fondamentale dans la performance globale d’un écosystème d’IA.

Tout d’abord il faut de la matière grise, c’est-à-dire des ingénieurs informatiques – notamment spécialisés en algorithmie – capable d’écrire les programmes qui font tourner les modèles logiciels à la base de l’intelligence artificielle. Dans le cas des intelligences artificielles dites génératives comme ChatGPT ces modèles sont appelés des LLM pour Large Language Model.

Pour entraîner ces modèles, car ils sont basés sur l’apprentissage, il faut des données – des millions d’images de chats pour qu’une IA reconnaisse un chat, tout le web dans le cas des IA génératives pour que vous puissiez converser avec ChatGPT ou Gemini – et l’entraînement se fait en faisant fonctionner d’immenses fermes de serveurs (data centers) qui fournissent de la puissance de calcul. Ces centres de données vont aussi gérer les requêtes – on parle d’inférence – formulées par les centaines de millions d’utilisateurs qui utilisent désormais quotidiennement l’IA. Pour ces fermes il faut de l’espace, de l’électricité, beaucoup d’électricité, des systèmes de refroidissement, et des serveurs, beaucoup de serveurs. C’est là que ça va devenir intéressant.

Ces serveurs ce sont de gros ordinateurs spécialisés pour l’IA dans lesquels sont assemblés des processeurs. La société qui fabrique aujourd’hui les serveurs les plus puissants et performants du monde s’appelle Nvidia, car elle dispose d’une avance technologique indéniable en matière de processeurs et notamment ceux qu’on appelle les GPU pour Graphical Process Unit.

Elle est américaine – ironiquement elle a été fondée et elle est dirigée par Jensen Huang qui est d’origine taiwanaise – et son leadership dans son domaine a fait sa fortune dans les 3 dernières années, à tel point que Nvidia est désormais la société la mieux valorisée au monde. Pour s’assurer que le Chine ne puisse pas bénéficier de la technologie de Nvidia des restrictions d’export ont été mises en place par l’administration Biden puis l’administration Trump, avec des contraintes plus ou moins fortes.

Pour fabriquer ces processeurs il faut évidemment des usines et la société la plus connue pour la production de processeurs dans le domaine de l’IA s’appelle TSMC et elle est basée à… Taïwan. En effet les sociétés comme Nvidia sont dites « fabless » c’est-à-dire qu’elles n’ont pas d’outil industriel et sous traitent la fabrication de leurs processeurs.

Ces processeurs très performants sont obtenus en gravant des circuits intégrés sur des galettes de silicium qui constituent la matière première des industriels des semi-conducteurs. Et en schématisant plus la gravure est fine – on raisonne ici en nanomètre c’est-à-dire en milliardième de mètre – plus le processeur est performant et c’est fondamental pour développer des puces dédiées à l’IA. Aujourd’hui la taille de gravure la plus fine maîtrisée en production par TSMC est de 2 nanomètres (2 nm). C’est là que ça devient très intéressant.

Pour réaliser cette étape de gravure à ces niveaux de finesse il faut des machines spécialisées et ultrasophistiquées. Le leader mondial pour ces machines est européen, et oui !, et s’appelle ASML.

ASML ( acronyme d'Advanced Semiconductor Materials Lithography) a été créé en 1984 et est basée à Veldhoven aux Pays-Bas. Sa spécialité c’est la fabrication de machines de photolithographie, soit l'ensemble des opérations permettant de transférer une image (généralement présente sur un masque) vers un substrat notamment à base de silicium ; plus spécifiquement ASML a développé la technologie dite lithographie extrême ultraviolet ou lithographie EUV. Ici elle dispose d’un savoir-faire unique, protégé par de nombreux brevets, et a été brièvement la société européenne la plus valorisée en 2024. C’est l’un des rares fleurons technologiques européens avec un leadership global.

Ainsi en 2025, ASML est la seule entreprise au monde qui est capable de produire et de commercialiser des systèmes EUV destinés à la fabrication de puces en dessous des 5 nm. Ici on parle de machines de la taille d’un bus et qui valent 200M d’euros à l’unité, livrées au compte-goutte et protégées jalousement des regards.

En raison de cette capacité unique et stratégique ASML est désormais soumise à des restrictions d’export vers la Chine, notamment en raison de pressions américaines exercées dès 2018, et c’est un vrai problème pour la Chine.

Laissez-nous un commentaire

Plus récente Plus ancienne