Chine vs Etats-Unis: la bataille de l’IA. Partie 2 : le lièvre et la tortue

 Illustration Gemini.

Pendant longtemps on a pensé que la domination américaine en matière d’IA était telle que les Etats-Unis n’avaient pas vraiment d’adversaire sur ce terrain. La position de force de ceux qu’on appelle les « hyperscalers » – les Amazon, Google et autres Microsoft -, la vitalité de l’écosystème des start-up avec des pépites comme OpenAI ou Claude, et le rôle majeur joué par l’état américain, constituaient des atout gagnants et quasi imbattables. Mais cette vision était sans doute une illusion.

La Chine avec une stratégie de long terme marquée par le cadencement des plans quinquennaux rattrape son retard à grande vitesse et il y a quelques années elle avait lancé sous la direction de Ding Xuexiang, le président de la Commission Scientifique et Technique du PC chinois et un proche de Xi Jinping, un plan spécifique visant l’autonomie pour la production de semi-conducteurs. Pour eux cette bataille du logiciel et de l’IA est bien vitale.

Par ailleurs la Chine a les hommes – on parle de près d1,5 million d’ingénieurs formés tous les ans -, les moyens financiers et stratégiques, les sociétés avec ses propres hyperscalers -Tencent, Ali Baba ou encore Huawei – et l’appareil industriel.

Ici il faut noter un paradoxe : les restrictions à l’export sur des technologies clés décrétées par l’administration américaine ont eu l’effet contraire à celui escompté. Si elles ont ralenti à court terme les progrès chinois en matière d’IA elles ont décuplé leur volonté de devenir autonome, et les moyens mis en œuvre ont suivi, notamment sous la houlette de la société Huawei qui agit comme le coordonnateur des efforts nationaux pour l’IA. Ainsi quand Deepseek une start-up chinoise d’alors 143 employés a sorti son propre LLM début 2025 affichant des performances très élevés tout le monde a compris que la Chine non seulement n’était pas en retard mais qu’elle était au coude à coude avec les USA.

Il y a néanmoins un domaine où le retard chinois paraissait toujours important constituant un vrai frein à ses ambitions : celui des machines de gravure de type EUV, c’est-à-dire l’activité de ASML. Or comme nous l’avons déjà dit des restrictions à l’export ont été imposées sur ces machines dès 2018 puis renforcées au fur et à mesure. En avril dernier le PDG de ASML Christophe Fouquet déclarait qu’il faudrait de très nombreuses années aux chinois pour arriver à fabriquer une machine équivalente, sachant qu’ASML aurait passé près de 20 ans à développer les siennes. Tout le monde pensait donc que le caillou ASML n’était pas près de disparaître.

C’est là qu’intervient un article tonitruant de la journaliste Fanny Potkin, publié le 18 décembre sur le site de Reuters et intitulé « How China built its ‘Manhattan Project’ to rival the West in AI chips ». Cet article détaille un plan chinois, secret, parfois comparé au Plan Manhattan – c’est dire son importance - qui avait permis de développer la première arme atomique, visant à fabriquer des machines EUV équivalentes à celles de ASML.

Concrètement à Shenzen une équipe chinoise aurait achevé fin 2024 la construction d'un prototype fonctionnel de machine EUV. Cette machine lithographique, construite par d'anciens ingénieurs d'ASML, occuperait toute une usine, selon certaines sources. La machine EUV chinoise serait actuellement en phase de test et n'aurait pas encore produit de puces fonctionnelles, mais viserait une production entre 2028 et 2030. Elle n’est pas encore aussi performante que les machines ASML – notamment par manque de certains composants notamment dans le domaine de l’optique - mais elle est bien plus avancée que ce que l’on aurait pu imaginer. L’objectif pour la Chine est de devenir totalement indépendante, sur l’intégralité de la chaîne de valeur, pour le design, la production et la commercialisation de puces avancées dédiées à l’IA avec plus de 5 ans d’avance sur ce qui était envisagé par les experts du domaine.

Pour arriver à ce stade de développement les ingénieurs chinois auraient fait du reverse engineering ou rétro-ingénierie c’est-à-dire la méthode consistant à étudier un objet pour en déterminer le fonctionnement interne ou la méthode de fabrication et être ensuite capable de le fabriquer.

L’aspect humain est ici fondamental car les Chinois auraient embauché secrètement d’anciens employés et retraités d’ASML d’origine chinoise, seuls capables de révéler les secrets des machines de type EUV, mêlant incitations financières et considérations patriotiques pour les attirer, et révélant aussi les failles européennes en matière de prévention des risques liés à l’intelligence économique. Plus globalement Huawei aurait coordonné les efforts entre cette équipe et des instituts de recherche, le milieu universitaire et ses propres équipes d’ingénierie, et aurait aussi fourni moyens logistiques et matériels.

Evidemment il faut prendre toutes ces informations avec précaution et il peut notamment y avoir une part d’intox de la part du pouvoir chinois en faisant fuiter ce type d’éléments, mais Reuters est un média sérieux et Fanny Potkin une journaliste économique reconnue, basée en Asie, qui a travaillé pour Forbes, la BBC, Vice et de nombreuses autres publications.

Si ce qui est rapporté dans l’article est vrai les Chinois sont non seulement au même niveau que les américains dans le domaine de l’IA mais ils sont sans doute en train de prendre un avantage important en construisant leurs propres machines EUV. Et cet avantage pourrait être décisif car le jour où la Chine sera totalement indépendante sur la chaîne de valeur de l’IA elle pourrait jouer la carte de l’accès aux terres rares pour lequel elle est en quasi-monopole comme levier stratégique décisif.

La guerre de l’IA n’est clairement pas finie mais le gagnant pourrait être le même que celui de la fable du lièvre et de la tortue.

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