J-C Bouvier : « Il faut que les jeunes aient du courage »

 Jean-Claude Bouvier.

Cet entretien est illustré d’images d’archives personnelles que Jean-Claude Bouvier nous a gracieusment ouvertes. Ces photographies uniques sont à retrouver dans la version PDF de l’entretien. Bonne lecture.


Jean-Claude Bouvier - Vétéran d’Algérie, président de l’U.N.C Montigny.


Propos recueillis par Elias LEMRANI

Le Contemporain - Pouvez-vous retracer votre parcours d’avant la guerre ?

Jean-Claude Bouvier - Je suis né à Paris, dans le VIe arrondissement. Avec mes parents, nous habitions dans la capitale et avons connu l’occupation allemande. Nous habitions à côté d’un hôtel du Faubourg Montmartre qui était réquisitionné par les Allemands. Je les voyais tous les jours, j’ai également vu les F.F.I, les barricades et j’ai entendu les bombardements. J’étais jeune à l’époque, j’ai quitté Paris avec mes parents à mes huit ans. J’ai vu les Américains arriver. Pour l’anecdote, mon père était venu me chercher afin de me mettre dans le camion des Américains où ils distribuaient des chewing-gums et des gâteaux. Mon père avait reçu des cigarettes, les gens fumaient beaucoup à l’époque ! Nous étions très heureux.

Nous sommes après allés dans le Midi, pour la santé de ma sœur à Montpellier, où j’ai suivi ma scolarité jusqu’au brevet, car je n’ai pas eu l’occasion de passer mon bac. Et puis, on est revenu à Paris en 1953, où je me destinais à devenir architecte paysagiste. J’ai suivi pendant cinq ans à Orléans des études de ce que l’on appelait à l’époque « jardinier quatre branches », des jardiniers qui faisaient tout quoi.

À la différence de Jean-Paul [Ancien combattant d’Algérie, NDLR] , qui lui a fait une carrière militaire, moi j’étais un appelé du contingent. À vingt ans, on m’a envoyé ma feuille de route. Je ne suis pas parti tout de suite parce qu’il y avait une période de latence. On ne nous envoyait pas de suite en Algérie. Mon père m’avait fait faire une préparation militaire pour intégrer une session d’élèves gradés et ne pas immédiatement être deuxième classe. J’ai donc fait cette préparation militaire et on nous a, à moi et à mes camarades de promotion, annoncé que nous allions aller dans un centre d’instruction à Blois, la caserne Maurice de Saxe. J’y ai fait mes classes pendant quatre mois et ensuite je suis sorti dans le peloton des gradés. Je suis sorti en étant caporal, ce que je suis d’ailleurs resté. Je suis ensuite passé instructeur, je faisais faire les classes aux jeunes du contingent qui arrivaient, dont à l’époque beaucoup d’Algériens qui venaient aussi pour faire leur classe.

Le Contemporain - Comment se sont déroulés vos premiers jours en Algérie ?

En début 1959, je partis en direction de l’Algérie, je suis arrivé à Tlemcen, une ville avec une superbe gare. On nous a emmenés pour sécuriser et garder le barrage de Beni Bahdel, c’est là que j’ai fait ma première garde de nuit avec un trouillomètre à zéro, un fusil et une grenade. On arrivait ici sans connaître les bruits de la région et il y en avait beaucoup la nuit. Mais c’était la plupart du temps des ânes, des moutons ou des chameaux. Beaucoup d’ânes sont d’ailleurs morts car on était des Bleus. Je suis resté là quatre cinq mois à peu près et ensuite on nous a réorientés sur Oran qui est une ville formidable et vraiment très très belle. Et de là, on a on nous a expédiés dans un train, qui s’appelait Arafal. On est descendus de celui-ci et on marcha à côté des rails, nous sommes arrivés devant cette ancienne gare désaffectée, qui était devenue un poste militaire. Dans cette gare, il y avait le train Arafal qui passait souvent et qui faisait la liaison entre Oran et Colomb-Béchar. Ce train était très long et avait quatre ou cinq plateaux et des wagons vides devant la locomotive pour éviter les mines que déposaient les fellaghas le long du réseau ferré. Il ne roulait pas très vite, à vitesse humaine.

On nous a installés dans la gare, on n’était pas très nombreux, une quinzaine maximum, et on nous a, à chacun, affecté un douar, un petit village où vivaient à peu près 500 habitants avec des troupeaux. Mon douar, Dayet-el-Kerch, composé uniquement de tentes traditionnelles que l’on appelle des khaïmas, était dans le sable, les rochers et les pierres, il y faisait très chaud, on nous interdisait même de sortir entre 12h et 16h à cause des températures. Je devais contrôler les sorties et les entrées matins et soirs du douar. J’ai été vraiment très bien accueilli par les habitants, ils m’avaient invité à prendre le thé, à manger le couscous, franchement ils ont été formidables.

Ils avaient une petite infirmerie, que les Français avaient construite, le médecin du coin, qui vivait un peu plus loin m’avait dit qu’on allait me former un petit peu et puis que j’allais m’en occuper. Quand des femmes devaient accoucher, j’appelais par exemple le toubib, comme on dit en arabe. Il venait et je l’aidais.


Après on a construit une école avec des pierres et de la terre, et j’avais 70-80 gamins et gamines à qui je devais apprendre le français et les mathématiques, avant quoi j’ai dû faire un stage pédagogique, avec pas mal de camarades à Sa-Ila. Nous étions beaucoup à ce stage, comme on construisait des écoles un peu partout dans la région. J’ai donc fait l’instituteur pendant un an. Les enfants que j’avais pris en charge, étaient dans un état de saleté et de maladie extrême, ils étaient très contents de pouvoir aller à l’école. Je les ai donc soignés et nous avons pu commencer à travailler sérieusement. Tandis que je leur apprenais le français, eux m’apprenaient l’arabe car même grâce à l’aide de mon interprète, pour moi venant de Paris en France, la communication n’était pas facile au quotidien. Certains enfants parlaient déjà très bien le français, comme le petit Zahef Abdallah de 8 ans, qui était adorable et que j’aurais bien emmené en métropole.

Nous étions bien aimés des locaux car on les soignait, on éduquait leurs enfants et c’était nous qui ouvrions l’eau par une vanne chaque jour pour approvisionner le douar. Quand cette ressource manquait, on se faisait ravitailler par des camions citernes.

Le Contemporain - À quoi ressemblaient vos patrouilles ?

Quand j’étais en opération, la nuit, on s’occupait et on surveillait dans les montagnes entre Oran et Colomb-Béchar, ce que l’on appellait la ligne Morice, pour éviter le passage de fellaghas armés, qui souvent y allaient pour ensuite se cacher dans les douars. On était donc à trois, sur une jeep ; un chauffeur, un mitrailleur et un guetteur. Nous tournions et nous surveillions le réseau électrique. Les fellaghas, mais aussi l’OAS, menaient des attaques contre nous, les militaires, et contre les civils européens, en faisant de nombreux attentats. Contrairement à Jean-Paul, je n’avais pas de colons à surveiller, dans ma région il n’y avait pas d’exploitations agricoles, c’était très sec et il n y avait que des douars.

Le Contemporain - Comment êtes-vous revenu en France ?

En Algérie, il y avait une épidémie de jaunisse que j’ai chopée, il m’a fallu un mois d’hosto. J’ai eu en même temps la dysenterie qui m’a fait perdre 15 kg. Et là le toubib a dit : « rapatriez ce militaire un mois ». Donc j’ai été un mois me retaper chez mes parents et j’ai continué ma vie d’avant.

Pour revenir en France, j’ai pris le bateau Commandant Kerret, plus petit que celui de l’allée. Dans ce bateau, il y avait de jeunes légionnaires, de quinze, seize, dix-sept ans, qui embarquaient aussi. Mais le navire ne partait pas tant que ces jeunes légionnaires n’avaient pas chargé leurs cargaisons de bière ! Dans les cales du bateau, ça puait la patate chaude et l’huile, je ne suis jamais allé dans les cales, préférant rester sur le pont. Nous arrivions, après deux jours de traversée, au port de Marseille.

Le Contemporain - Quelle fut votre vie après l’Algérie ?

J’ai continué dans le paysagisme pendant un certain nombre d’années puis je suis allé vers le secteur bancaire.

Le Contemporain - Qu’avez-vous gardé de la guerre d’Algérie ?

De l’Algérie, je garderai l’accueil merveilleux des gens, la beauté du pays, car malgré les difficultés, ça reste un pays magnifique. Je garderai aussi la larme à l’œil que j’ai eue quand j’ai dû quitter mes petits enfants, ils avaient à peine dix, douze, treize ans et je m’étais attaché à eux. J’en ai beaucoup parlé à mes parents et à mes amis par la suite. Ce fut très difficile de briser les liens.

Le Contemporain - Quel message souhaiteriez-vous adresser aux jeunes générations ?

Il faut que les jeunes aient du courage. Mon père, il est né en 1900, il a fait les deux guerres et il est revenu blessé, gazé et brûlé des combats. Il était déjà à l’UNC à l’époque, j’ai encore des photos de lui en noir et blanc où il était porte-drapeau en train de raviver la flamme sous l’Arc. Il n’a pas pu profiter de sa retraite puisqu’il fut blessé, gazé et brûlé, il est décédé à l’âge de 65 ans. Aujourd’hui, je suis, comme lui autrefois, porte-drapeau, bien que je ne le puisse plus, et je suis membre du 5e régiment d’infanterie, créé sous Henri IV, il est un des quatre vieux régiment de France et un des plus prestigieux du pays.

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