Ofer Bronchtein : « Le Hamas ne veut ni d’un État palestinien, ni d’un État d’Israël, seulement la victoire d’un islamisme radical »

 Ofer Bronchtein, à Paris (© Julien Jaulin/hanslucas).

Propos recueillis pour Le Contemporain par Michel Dray

Michel Dray - Vous avez été conseiller du premier ministre israélien Yitzhak Rabin (assassiné en 1995) et aujourd’hui vous êtes chargé de mission auprès du président Macron pour le rapprochement israélo-palestinien. Vous avez toujours été favorable à la reconnaissance d’un État palestinien par la France alors que le Hamas rejette catégoriquement cette solution et que les responsables vieillissants de l’Autorité Palestinienne font jours après jours montre de leur incompétence. L’êtes-vous toujours ?

Ofer Bronchtein - Oui et plus que jamais. La question centrale reste le Hamas et la vision qu’il a de l’avenir de cette région. Le Hamas ne veut ni d’un État d’Israël ni d’un État palestinien pour la bonne et simple raison qu’il répond à un islamisme radical où l’expression laïque n’a absolument pas sa place. Il milite pour une grande Oumma* musulmane placée sous la houlette de l’islamisme radical. Autrement dit, le Hamas ne veut pas d’un État palestinien. C’est un point qu’il faut toujours avoir à l’esprit. C’est au nom de cet islam radical que le Hamas a perpétré le pogrome du 7 octobre ; il a massacré des hommes, des femmes et des enfants au nom de la seule cause qu’il reconnaît : la libération de la mosquée d’Al Aqsa**, pas au nom de la Palestine. Il ne faut pas être grand clerc pour comprendre que le Hamas est l’ennemi du peuple palestinien. D’autre part, c’est un fait que l’Autorité Palestinienne est, dans l’état actuel des choses, en perte de vitesse. Mais il ne faut pas oublier que le gouvernement israélien a voulu sciemment l’affaiblir en renforçant le Hamas, et ce, dans le seul but de démontrer qu’il n’y a pas d’interlocuteur palestinien. D’une certaine manière, le 7-Octobre lui a explosé à la figure.

M.D. Tout dernièrement le leader israélien de l’opposition, Yaïr Lapid, a déclaré : « Nous avons échoué à Gaza et la guerre est sans issue. Il faut changer de stratégie lorsqu’elle cesse de fonctionner ». Est-ce une opinion largement acceptée par la société israélienne ?

O.B. Je crois intimement que c’est ce que pense la majorité des Israéliens, et j’ose le dire, pas seulement dans le camp de l’opposition. Oui, les Israéliens veulent que cette guerre cesse et que les otages soient libérés. Pour autant, si on peut comprendre la riposte israélienne immédiatement après le 7 Octobre, presque deux ans après, ce conflit n’a plus de sens sinon une vengeance aveugle et destructrice pour tous. C’est aller droit dans le mur. C’est irresponsable.

M.D. Les implantations en Cisjordanie se poursuivent. Par ailleurs, les élections en Israël auront lieu en octobre 2026. Il peut se passer beaucoup de choses d’ici là.

O.B. La politique menée depuis plusieurs années en matière d’occupations illégales répond à une stratégie très précise. La droite a parfaitement compris que ces colonies brisent toute création d’un État palestinien au sens viable du terme. Quant aux ultra-religieux, qui, il faut le rappeler ne sont pas majoritaires dans la société israélienne mais qui tiennent d’importants leviers de commande dans l’appareil d’État, ils se sont reconnus dans cette politique d’implantations. Aussi l’ont-ils comprise dans leur sens messianique en installant des colons ultra-religieux de plus en plus nombreux et en occupant des responsabilités de plus en plus importante (deep state). Il faut regarder les choses en face : tout cela est un danger pour Israël, un danger pour le judaïsme. Je le dis clairement, ce sont de dangereux pyromanes.

M.D. Pensez-vous que l’Iran, au lendemain des destructions qu’il a connues, notamment de ses installations nucléaires, puisse aller vers un changement de régime ?

O.B. Il y avait un réel danger nucléaire avec l’Iran. L’action de Tsahal contre l’Iran a fait le consensus en Israël, aussi bien à gauche qu’à droite, car il y allait de la sécurité même du pays. C’est important de rappeler cela car les Israéliens ont su faire la différence entre une guerre à Gaza de plus en plus contestée et la nécessité de se protéger du nucléaire iranien. Maintenant que ce danger semble écarté, il faudra tendre vers des négociations.

M.D. On assiste à une montée alarmante des actes antisémites en France. En tant que Franco-israélien comment vivez-vous cela ?

O.B. L’extrême gauche, plus exactement la France Insoumise ne fait qu’attiser les braises sur fond de clientélisme électoral. En accusant tous les Juifs, sans distinction, d
’être responsables d’une politique fanatique menée par un seul homme, ne peut qu’alimenter les actes antisémites. Les extrêmes n’ont jamais fait dans la dentelle. L’extrême-droite est tout aussi problématique. La récente conférence sur l’antisémitisme convoquée par le gouvernement israélien a donné la parole à des gens qui n’ont pas toujours été philosémites, loin de là [NDLR : y étaient conviés Jordan Bardella, président du RN, ex-FN, ainsi que Marion Maréchal Le Pen]. Les Juifs sont bons pour encourager les liens et les rencontres contre-nature : je plaisante bien sûr mais il faut avouer qu’il y a là un fond de vérité. Extrême-gauche comme extrême-droite sont antisémites et méritent dêtre démasqués et combattus avec la même force.

M.D. Vous êtes depuis plusieurs années chargé de mission auprès du président Macron pour le rapprochement israélo-palestinien. Quel rôle peut jouer Paris dans le conflit israélo-palestinien ?

O.B. À deux reprises j’ai remis au président de la République un rapport sur la situation au Moyen-Orient. Mon rôle s’est toujours borné à lancer des idées, à susciter le dialogue. Il est plus dur, plus courageux aussi, de ne hurler avec les loups. La France et l’Union européenne doivent harmoniser leurs efforts et parler d’une seule voix. Si tout le monde est déterminé et courageux, créatif et généreux alors oui, la France comme pilier incontournable de l’Europe a un rôle majeur à jouer. Est-ce que cela se fera ? Tout dépendra de ses diplomates, dont beaucoup brillent par leur impuissance, et plus encore de la détermination même de notre président.

Notes

*La Oumma est la communauté des musulmans indépendamment de leur nationalité et des pouvoirs politiques qui les gouvernent.

**La mosquée d’Al Aqsa est considérée par les Musulmans comme l’un des endroits les plus sacrés de l’Islam, lieu où selon la légende le Prophète se serait envolé vers les cieux. C’est aussi pour les Juifs, un lieu sacré puisque la mosquée serait érigée sur l’emplacement du Second Temple. On comprend alors que les deux radicalismes religieux se rejoignent dans une même lutte où chacun cherche à dominer l’autre.

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