Reconnaissance de la Palestine : quand la précipitation est mauvaise conseillère

 Poignée de main historique entre Yitzakh Rabin, Premier ministre d’Israël, et Yasser Arafat, représentant de l’OLP, l13 septembre 1993, dans les jardins de la Maison-Blanche, à l’occasion de la signature des Accords d’Oslo. 

« Pire qu’une erreur, c’est une faute » lança Talleyrand à Napoléon à propos de l’exécution du jeune duc d’Enghien. Car si l’erreur se répare, la faute, elle, ne pardonne jamais. En reconnaissant aussi précipitamment un État de Palestine, le président de la République a, pour Michel Dray, fait une faute, ajoutant à la confusion un risque d’embrasement dont la région pouvait bien se passer. Engager dans l’état actuel des choses une telle reconnaissance c’est selon l’historien sacrifier le peuple palestinien sur l’autel islamiste du Hamas, oublier le 7-Octobre et donner quitus à un islamisme gangréneux tel un staphylocoque incontrôlable.

Par Michel Dray - Historien, chroniqueur au Contemporain.

J’ai toujours été un défenseur d’une reconnaissance de la Palestine, dès lors que l’OLP reste l’interlocuteur privilégié. Or, la centrale palestinienne n’est plus que l’ombre d’elle-même. Mahmoud Abbas est un chef sans pouvoir, que le Hamas, très populaire chez les jeunes rêve de renverser pour instaurer un islamisme à l’iranienne. Le mouvement terroriste l’a rêvé, E. Macron lui en a donné le pouvoir. Sans donner ici un cours d’histoire géopolitique, force est de constater que la situation actuelle trouve ses racines bien au-delà de la guerre actuelle… trente ans plus tôt.

I- L’assassinat de Ytzhak Rabin comme point de bascule

4 novembre 1995. Yitzhak Rabin est assassiné par Ygal Amir, un ultra-religieux messianiste. 30 ans après, du fond de sa cellule, il ne regrette rien, ni la campagne haineuse menée au lendemain des accords de Camp David affublant Rabin d’un uniforme nazi SS, ni le geste fatal qui a été le sien. Cet attentat ne finit pas de traumatiser une société terriblement fragile (1). Israël n’est pas une république bananière, c’est même la seule démocratie dans cette région, cependant comment comprendre la politique des implantations sauvages (122 à ce jour) qui sont précisément une insulte à la démocratie ? Le scrutin à la proportionnelle qui, par définition, facilite la représentation des petits partis pourrait être un élément de réponse. Aussi, la Knesset, (Parlement Israélien 70 députés) n’a-t-elle jamais connu de majorité parlementaire, mais uniquement des coalitions dont la dernière est celle du Likoud (droite israélienne) avec l’aile la plus dure de l’ultra-nationalisme. Sans cette alliance Netanyahou tomberait et les affaires le poursuivraient. En échange de quoi l’extrême-droite le pousse à poursuivre une politique de colonisation forcenée, largement au profit des ultra-religieux messianistes.

II- 30 ans après Rabin, la société israélienne s’est considérablement droitisée

L’effondrement de l’Union Soviétique en 1991 a généré une immigration massive de juifs russes dans les années qui ont suivi modifiant considérablement la sociologie de la société israélienne. Aujourd’hui, les Israéliens d’origine soviétique représentent à peu près 20% de la population. Élevés dans le souvenir d’une URSS totalitaire et anti-religieuse, leur vote se situent plutôt à droite et pour ceux qui sont revenus au judaïsme, on les trouve parmi les plus radicaux. Savamment orchestrée par une droite qui sait parfaitement utiliser les symboles, plus encore que la première génération arrivée avec la chute de Moscou, la seconde se veut résolument identitaire.

Quant à la population d’origine marocaine, elle vote majoritairement pour le Likoud, souvent en réaction des humiliations que les travaillistes majoritairement Ashkénazes (juifs originaires d’Europe centrale) ont fait subir à leurs parents et grands-parents, considérés par eux, avec un certain mépris, comme des juifs maghrébins. Aujourd’hui, la deuxième voire pour certains la troisième génération représente 30% de la société israélienne et constitue pour le Likoud une solide armée de réserve.

Enfin les immigrations récentes principalement française (première communauté juive d’Europe) assurent un plus pour la droite, d’autant qu’elle est majoritairement religieuse.

À noter que les électeurs du Likoud et plus encore des partis religieux sont majoritairement issus des catégories socioprofessionnelles peu favorisées. À l’inverse, on trouve beaucoup plus d’intellectuels et d’Israéliens catégorie socioprofessionnelle favorisée dans l’électorat de gauche, et beaucoup plus d’Ashkénazes que de Séfarades (Juifs d’Orient).

Il fallait que ce rappel sociologique fût fait pour montrer combien la situation en Israël est terriblement délicate. Face à une population de plus en plus nombreuse à manifester pour la fin de la guerre à Gaza, une minorité très agissante ultra-religieuse bloque toute sortie de crise, jusqu’à dire que la guerre continuera même malgré les otages. (2).

III- Derrière la religion… la politique n’est jamais loin

Par-delà le discours idéologique, ce que je me plais d’appeler les judaïstes comme on dit islamistes, — et qui, de la même façon que les islamistes ne sont pas l’islam, les judaïstes ne sont pas le judaïsme — se présentent comme des fondamentalistes religieux. Voilà pour le décryptage au premier degré derrière lequel on ne peut faire l’économie d’une discours plus géopolitique qui consiste à travers les implantations sauvages de rendre impossible toute possibilité toute création d’un État palestinien de contrôle de l’OLP tel qu’elle avait été négociée à Camp David entre Rabin et Arafat. Israël a tout fait pour que le Hamas accède au pouvoir à Gaza en 2005 créant ainsi un contre-pouvoir contre la centrale palestinienne. À force de jouer aux pyromanes les ultra-nationalistes ne font que le jeu du Hamas qui ne cesse de gagner des points sur le terrain médiatique et galvaniser une jeunesse palestinienne dont la haine envers l’État hébreu est alimentée par les bombardements. Certes, la violence du Hamas ne connaît aucune borne. Le pogrom du 7-Octobre ne sera jamais un point de détail. Mais, à force de jouer aux pyromanes judaïstes et islamistes finiront par brûler l’avenir et des Gazaouis et des Israéliens.

IV- E. Macron et la place qu’il voudrait laisser dans l’Histoire

L’entretien qu’Ofer Bronchtein m’a accordé voilà quelques jours (3) m’a valu une volée de bois vert [NDLR, entretien à retrouver à ce lien]. Je connais assez bien Bronchtein pour savoir que celui qui fut un des conseillers de Rabin n’est pas homme à changer d’avis au gré des situations. Favorable à une reconnaissance d’un État palestinien il propose cependant de ne pas aller plus vite que la musique. Emmanuel Macron, qui l’a nommé comme conseiller, a la réputation d’un homme qui entend mais qui n’écoute pas toujours. Relisez cette interview et vous verrez que la phrase majeure de Bronchtein est : « le Hamas ne veut ni d’un État d’Israël ni d’un État palestinien pour la bonne raison qu’il répond à un islamisme radical où l’expression laïque n’a pas sa place ». Il sait que dans l’état actuel des choses le Hamas a toutes les chances de rafler la mise. Autrement dit oui à un État de Palestine, mais pas sous le joug du Hamas.

E. Macron est au terme de son deuxième mandat. J’ai l’intime conviction qu’il entend quitter l’Élysée par un geste qui l’inscrirait, pense-t-il, dans le marbre de l’Histoire, comme Mitterrand avec l’abolition de la peine de mort. Seulement n’est pas Mitterrand qui veut, même si l’Homme de la Roche de Solutré avait beaucoup de choses à se reprocher sur le plan éthique. Emmanuel Macron super star ! Jean-Luc Mélanchon le félicite au nom d’une France Insoumise rongée dans ses rangs par un antisémitisme d’atmosphère ; Erdogan l’a congratulé lui qui le traitait voilà peu de « malade mental » Quant au Hamas, il a toutes les raisons d’exulter et il ne se gêne pour le faire savoir. Quant aux judaïstes, ils ont désormais les mains pour poursuivre une guerre contre le Hamas… futur patron de l’État palestinien.

Finalement, on risque bien de voir E. Macron rater son entrée dans l’Histoire en confondant vitesse et précipitation.

V- Un État palestinien, bien sûr, mais pas un satellite de plus pour l’Iran

Il y a au moins un point sur lequel les Israéliens, toutes opinions politiques confondues sont d’accord avec Netanyahou : mettre l’Iran à genou — sur ce point je suis en total désaccord avec Bronchtein qui prône le dialogue, considérant que l’Iran a perdu une grande partie de son pouvoir toxique. Je pense quant à moi qu’il faut extirper le mal à la racine, tarir à la base la source du terrorisme international. Pour cela, faire tomber le régime des mollah est la seule issue. Dans ce billard à plusieurs bandes, la position de Trump est à surveiller à la loupe. J’ai le sentiment qu’il a besoin des mollah, car chassés du pouvoir, l’idée d’une redistribution des cartes géopolitiques par une coalition possible israélo-pays du Golfe-Iran libéré pourrait souffler la vedette des États-Unis désireux de contrôler la région en opposant les uns contre les autres.

En géopolitique comme en chirurgie, il faut parfois tailler dans le vif.

Notes
  1. Voir mon article « la société israélienne entre guerre et paix » site web de la revue Parlementaire et Politique, 25 mars 2025.
  2. Orit Strock, ministre des implantations a déclaré le 22 juillet 2025 à la chaîne i24NEWS « Il faut intensifier la guerre à Gaza y compris dans les zones de combat où se trouvent les otages malgré les risques pour leur vie »
  3. Entretien paru dans les colonnes du Contemporain le 15 juillet 2025.

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