Par Tristan Vidal da Silva - Étudiant à Sciences Po Paris et à Sorbonne Université (Histoire).
Jusqu’ici, il a été question de politique politicienne et d’intérêt stratégique. Il faut aborder désormais un autre point, à savoir le risque qu’encoure la droite française dans son ensemble à consentir à un tel pacte.
A regrouper les droites derrière une offre politique unique, tous les hommes politiques de droite, et tous les électeurs de droite, doivent savoir qu’ils commettent une erreur de long terme. La droite unie arriverait donc en force dans un seul et même gouvernement, composé de membres de Reconquête, du RN, et de LR, et adossé à une majorité parlementaire analogue. Cependant, au fil du temps, usure du pouvoir oblige, un tel gouvernement va perdre en popularité, s’éroder, et les Français vont se mettre en quête d’une alternative. Or, toutes les forces politiques de droite étant fondues en une seule, comment l’une d’entre elles pourrait prétendre être une alternative crédible ? En bref, un tel gouvernement laisserait le monopole de l’alternance au centre, à la gauche ou, plus vraisemblablement, à une extrême-gauche radicalisée et renforcée par la présence du « camp des fascistes » à la table du conseil des ministres. Mais nous reviendrons sur ce point plus tard. L’objection évidente serait qu’après tout, il n’a jamais existé autre chose, avant le séisme Macron en 2017, qu’une droite unie aux commandes du bateau France. L’UDF et le RPR ne se séparaient-ils pas lors des élections présidentielles pour mieux se retrouver après les législatives ? On peut répondre à cela qu’une telle alliance prenait place dans un contexte bien différent : les deux forces reposaient sur un nombre d’électeurs comparable (à défaut d’être équivalent), elles étaient idéologiquement distinctes et supportaient cette distinction, et surtout, le dégagisme n’était pas aussi fort. Le bipartisme, système très stable, ne provoque nécessairement que l’alternance après une gouvernance à droite, soit une gouvernance à gauche. Mais le Français est en colère ces dernières années, et un gouvernement Bardella-Retailleau-Zemmour en perte de vitesse ne le poussera pas à voter Glucksmann. Trop recentré, il nourrira l’apparition des pires horreurs à sa droite. Trop droitier, la montée aux extrêmes le précipitera dans les bras de la gauche radicale. Il est nécessaire pour la droite, si elle veut réémerger comme un camp politique uni par la base, de confronter des appareils politiques aux offres distinctes, le temps que ladite base jette durablement son dévolu sur l’un d’entre eux. En attendant, la droite ne peut pas prendre le risque de laisser le monopole de l’alternance à des forces politiques qui lui sont si radicalement opposées.
Par ailleurs, depuis le début de cet article, on ne traite guère de l’éléphant au milieu de la pièce : le Rassemblement National. Il faut ici l’attaquer frontalement pour ce qu’il est, et à ce titre commencer ce propos en rappelant l’anecdote suivante : en 1848, sous la IIe République, le parti de l’ordre avait soutenu la candidature de Louis-Napoléon Bonaparte à la présidence, le pensant médiocre et donc manipulable. Le 2 décembre 1851, ce dernier mettait à bas la République par un coup d’Etat. Mon analogie a des limites, évidemment. M. Bardella n’est de toute évidence pas le neveu de Napoléon Ier, ne nourrit pas les mêmes projets et ne vit pas au milieu du XIXème siècle. La préoccupation de fond reste la même pourtant : la droite française dans son entier est traversée de courants divers et variés dont les préoccupations divergent beaucoup les unes des autres. L’union des droites élude les débats qui traversent la droite française : la question européenne, celle des alliances internationales, l’économie, la décentralisation, l’éducation, la santé, la culture… Ces débats, elle ne les tranche pas, elle les transcende. Elle autorise chacun à placer ses espoirs, contradictoires à ceux des autres, en la personne de celui qui semble le plus à même de réaliser cette union : Jordan Bardella, 28 ans, apparatchik pur sucre, sans mandat électif local, sans expérience professionnelle, tiraillé entre la loyauté qu’il doit à celle qui l’a fait roi et son trône qui le place au-dessus de cette dernière. Tant d’espoirs sur les épaules de ce seul homme, voilà qui occasionnera sans doute un nombre variable mais néanmoins important de frustrés. Et la droite de se diviser à nouveau dans une guerre fratricide dont elle a le secret, entre détracteurs et partisans du jeune Président. Unir les droites derrière M. Bardella, voilà qui creusera les divergences au sein de celle-ci plutôt que de l’unir. Pour ma part, je pense que ce dernier sera incapable de contenter suffisamment toutes les droites pour ne pas les diviser plus, et qu’il est de toute manière déraisonnable d’unir la droite derrière une candidature au prétexte qu’elle s’accorderait sur les seuls enjeux régaliens.
Enfin, on peut émettre de sérieux doutes quant au bénéfice pour la droite de s’en remettre au RN pour porter sa voix. La droite, en tant qu’espace politique tout entier, perdrait sérieusement de sa superbe si elle admettait comme formation politique de référence un tel parti. A ceux qui l’auraient oublié, et il y en a, ce parti a instigué pendant plusieurs années un système de détournement de fonds, à l’échelle de tout un parti, aux frais du contribuable européen. Comme si faire les poches du contribuable français seul ne suffisait pas, il fallait que le FN (à l’époque) aille également se servir dans les portemonnaies de 27 autres nations. Si Mme Le Pen arrive un jour au pouvoir, j’espère qu’elle ira rendre à son compère Nigel Farage l’argent que la vilaine Union Européenne volait aux Britanniques. Il n’est pas non plus inutile de rappeler que ce même parti est un vecteur d’influence étrangère notoire, comme le rappelle la présence de Thierry Mariani, l’obligé de Bakou, parmi les plus hauts gradés du parti. Qu’enfin il est dirigé par une femme, Mme Le Pen en l’occurrence, qui, entre 2017 et 2027, sera passée du Frexit à l’Europe des nations, d’ « immigration zéro » à immigration choisie, d’une russophilie assumée à un gaullisme de façade. Et en parlant de gaullisme de façade, puisqu’il en est question, on peut rappeler à toutes fins utiles que les cadres du RN entreprirent en 2017 et en 2025 d’aller se coucher devant Donald Trump. Eux, les partisans d’une sortie de l’OTAN il y a encore quelques années, avaient été touchés par la grâce de l’atlantisme le plus fervent. Et lorsque le POTUS menaça nos intérêts stratégiques par des droits de douane exorbitants, le RN se mura dans un silence gêné. Le RN se donne la peine d’éditer un contre-budget par an, depuis 2024. Celui de 2025 est fantastique : il plagie à la lettre près les mesures migratoires de LR, et certains montants déjà évoqués en 2024 sont passés du simple au double en un an. Peut-être le RN, par ses revirements, montre-t-il qu’il s’est amendé ? A mon avis, et au vu du peu de renouvellement de ses cadres et dirigeants, il est plus probable que le parti n’ait d’autre vocation que de porter au pouvoir une coterie d’ambitieux déguisés en bienfaiteurs. La droite française ne mérite pas de remettre son destin entre les mains d’un tel parti.
Pour terminer ce long exposé, c’est pour la France que ce projet d’union des droites peut interroger, voire inquiéter.
Peut-être sommes-nous lâches, ou bien timorés, mais nous sommes nombreux en France à nous inquiéter du degré de division et d’opposition frontale qu’a atteint le pays ces dernières années. Pour bon nombre d’électeurs de gauche, il est impensable d’avoir des rapports ne serait-ce que cordiaux avec un électeur RN. A leurs yeux, le RN est un parti assimilable à un parti fasciste ou autoritaire, et leurs électeurs ne valent pas mieux. Le camp nationaliste est infréquentable. Pourtant, ces mêmes électeurs peuvent encore parler à la droite plus classique, souvent décrite comme « modérée ». Ladite droite, en se rangeant unanimement derrière le RN, ou en s’alliant avec lui, se rendrait infréquentable dans son ensemble aux yeux du peuple de gauche. En retour, nul doute que le peuple de droite cessera de parler à celui de gauche. En somme, l’union des droites n’est propre qu’à renforcer l’union des gauches et surtout la constitution d’une frontière hermétique entre les deux. Ce qui s’ensuivrait n’est pas les dix plaies d’Egypte, mais s’en rapproche tout de même beaucoup : des procès d’intention, un débat public réduit à une somme de caricatures et d’invectives, de la violence politique… Je ne suis pas sûr que l’intérêt supérieur de la France soit que ses citoyens se vouent mutuellement une haine sans bornes. On pourra toujours considérer que de tels propos sont lâches. Il est vrai que dix années de macronisme auront transformé le mot « compromis » en synonyme de « trahison » pour nombre de nos compatriotes. Cependant, rappeler l’ensemble des acteurs politiques à un peu de nuance et de calme ne fait jamais de mal. La dignité du comportement politique n’entrave pas l’efficacité de l’action, bien au contraire.
A toutes fins utiles, il est bon de rappeler que l’union des droites est une jolie incantation, mais qu’elle doit se transformer en un programme concret, qui porte sur de nombreux sujets, pour réussir. Peut-être, sûrement même, est-il possible pour LR et même pour le camp macroniste (qui sait, tant qu’à conjecturer des coalitions hétéroclites) de s’entendre sur les sujets régaliens avec le RN de 2025. Mais l’immigration, la sécurité et les finances publiques ne sont pas un programme en tant que tel. Lorsque l’union aura mis en application ses propositions sur ces sujets-ci, si elle parvient au pouvoir, que fera-t-elle d’autre ? Même dotée d’une feuille de route commune complète, l’union ne résoudra pas tous les conflits qui traversent la droite sur la manière dont il faut diriger la France, et la contestation interne qui pourrait la miner déboucherait alors sur des propositions peu claires, un cap vague et de sempiternelles tractations sur ce qu’il convient ou non de décider. De plus, au vu du poids du RN au sein de cette alliance, il fait peu de doute que les autres formations qui lui seraient associées se trouveraient dans l’incapacité de le refreiner. Se pose alors la question de ce que ferait le RN s’il était au pouvoir, question qui dépasse le seul cadre du débat sur l’union des droites. Sa ligne est si floue et les idées qu’il produit si peu nombreuses que tout est imaginable : Marine Le Pen sera-t-elle plutôt Mariano Rajoy, Ulf Kristersson, Angela Merkel, Giorgia Meloni, Vladimir Poutine ou Viktor Orban ? Les factions au sein du RN sont dormantes et ne se livrent pas encore de guerre. Mais entre les militants des premiers jours (comme l’un des cofondateurs du FN, Alain Jamet, qui est encore cadre du parti), les catholiques conservateurs comme Laure Lavalette ou Hervé de Lépinau, les transfuges du RPR comme Alexandra Masson, la jeune garde bonapartiste souverainiste comme Jean-Philippe Tanguy ou Thomas Ménagé, les maires sudistes comme Louis Aliot, et d’autres encore ; qui aura le dessus ? Et quid de Marion Maréchal et de ses quelques fidèles ? Auront-ils voix au chapitre ? Autant de questions qui demeurent à l’heure actuelle sans réponse. L’union des droites serait un attelage baroque sans vision de fond pour la société française. Cela lui laisse toutes ses chances de voler en éclats une fois au pouvoir, cette dernière remarque valant également, d’ailleurs, pour le RN.
Pour finir, et pour en finir, avec l’union des droites, j’aimerais revenir sur un argument « puissant », qui est celui de l’exemple étranger. Invoqué récemment par le JDD, désormais très prolixe sur la question, cet argument se fonde sur une liste à la Prévert de pays européens où une prétendue union des droites fonctionne. Parmi les exemples avancés, on compte : la Finlande, la Croatie, les Pays-Bas, l’Italie et la Slovaquie. Les deux premiers exemples sont mal ficelés, puisqu’ils mettent en parallèle implicite la France, pays de fait majoritaire où une union des droites aurait pour force majoritaire sa composante la plus à droite (le RN) ; et Finlande et Croatie, pays où les coalitions sont monnaie courante et où le parti de droite classique (Kok en Finlande, HDZ en Croatie) domine la coalition. Les rapports de forces ne sont donc pas les mêmes. Aux Pays-Bas, pays de coalition s’il en est, puisque les élections se déroulent à la proportionnelle pure, la coalition des droites n’a tenu que quelques mois avant de s’effondrer sous le poids de ses contradictions internes. En Italie, présenter une telle union comme inédite serait oublier qu’elle est une tradition dans le pays depuis 1994 et la formation du « Pôle du Bon Gouvernement » par Silvio Berlusconi. L’Alliance Nationale, devenue Frères d’Italie, est donc depuis 30 ans en alliance avec la droite classique, et il a bien fallu 30 ans pour que cette alliance parvienne à stabiliser une scène politique instable depuis l’opération Mains propres, au début des années 1990. Quant à l’ultime exemple, celui de la Slovaquie, il est tout simplement de mauvaise foi puisque ce sont des partis populistes, mêlant socialisme, conservatisme et russophilie (SMER-SD et HLAS-SD) qui se sont alliés avec le SNS, parti nationaliste. Pendant ce temps, des forces politiques de centre-droit et de droite comme OLANO ou le KDH sont tenues hors de cette soi-disant « union des droites ». Alors oui, l’union des droites peut tenir et obtenir des résultats (encore que cette affirmation demanderait à être vérifiée et étayée), mais dans des pays disposant d’une forte culture de la coalition et surtout où la droite parlementaire et l’extrême-droite ou droite radicale sont dans un rapport de forces équilibré, ou déséquilibré à l’avantage du premier. L’Italie fait exception à cette dernière règle, mais le parti populiste de droite qui a précédé Giorgia Meloni, la Ligue du Nord, allié européen de Marine Le Pen, a échoué à exercer le pouvoir et se retrouve aujourd’hui avec des scores électoraux assez bas.
Concluons en suggérant des pistes d’actions. Après avoir promis à la droite l’enfer de Dante si elle s’alliait au RN, je dois tout de même dire ce qu’à mon sens il conviendrait de faire. J’ai commencé cet article en parlant de LR, je l’achèverai en faisant la même chose. LR est un parti riche de beaucoup (trop ?) de personnalités qui s’intéressent à beaucoup (trop ?) de sujets différents. Bruno Retailleau parle des sujets régaliens, David Lisnard du rôle de l’Etat dans l’économie, Xavier Bertrand de la jeunesse et des services publics, Michel Barnier d’Europe et d’écologie… Si l’arrivée et la domination du RN sur les électeurs de droite semble aujourd’hui actée, il ne faut pas oublier que la conjoncture politique peut évoluer en sa faveur, ou bien en sa défaveur. Face au grand flou du RN, LR doit s’employer à être une alternative de droite précise et concrète. Il y a huit ans, on expliquait qu’Emmanuel Macron avait détruit le clivage droite/gauche et que LREM était une nouvelle force politique sur laquelle il allait falloir compter à l’avenir. Aujourd’hui, la réalité est tout autre. LR, pour son salut, doit continuer d’exister par le fond dans une voie différente de celle du RN, et se battre pour reprendre chaque électeur perdu, même si cela doit lui prendre dix ans. Si le RN parvient au pouvoir, ce qui est très probable à l’heure actuelle, la droite devra rester dans l’opposition, critique et vigilante à l’action du gouvernement, pour pouvoir ensuite mieux le vaincre.
Jusqu’ici, il a été question de politique politicienne et d’intérêt stratégique. Il faut aborder désormais un autre point, à savoir le risque qu’encoure la droite française dans son ensemble à consentir à un tel pacte.
A regrouper les droites derrière une offre politique unique, tous les hommes politiques de droite, et tous les électeurs de droite, doivent savoir qu’ils commettent une erreur de long terme. La droite unie arriverait donc en force dans un seul et même gouvernement, composé de membres de Reconquête, du RN, et de LR, et adossé à une majorité parlementaire analogue. Cependant, au fil du temps, usure du pouvoir oblige, un tel gouvernement va perdre en popularité, s’éroder, et les Français vont se mettre en quête d’une alternative. Or, toutes les forces politiques de droite étant fondues en une seule, comment l’une d’entre elles pourrait prétendre être une alternative crédible ? En bref, un tel gouvernement laisserait le monopole de l’alternance au centre, à la gauche ou, plus vraisemblablement, à une extrême-gauche radicalisée et renforcée par la présence du « camp des fascistes » à la table du conseil des ministres. Mais nous reviendrons sur ce point plus tard. L’objection évidente serait qu’après tout, il n’a jamais existé autre chose, avant le séisme Macron en 2017, qu’une droite unie aux commandes du bateau France. L’UDF et le RPR ne se séparaient-ils pas lors des élections présidentielles pour mieux se retrouver après les législatives ? On peut répondre à cela qu’une telle alliance prenait place dans un contexte bien différent : les deux forces reposaient sur un nombre d’électeurs comparable (à défaut d’être équivalent), elles étaient idéologiquement distinctes et supportaient cette distinction, et surtout, le dégagisme n’était pas aussi fort. Le bipartisme, système très stable, ne provoque nécessairement que l’alternance après une gouvernance à droite, soit une gouvernance à gauche. Mais le Français est en colère ces dernières années, et un gouvernement Bardella-Retailleau-Zemmour en perte de vitesse ne le poussera pas à voter Glucksmann. Trop recentré, il nourrira l’apparition des pires horreurs à sa droite. Trop droitier, la montée aux extrêmes le précipitera dans les bras de la gauche radicale. Il est nécessaire pour la droite, si elle veut réémerger comme un camp politique uni par la base, de confronter des appareils politiques aux offres distinctes, le temps que ladite base jette durablement son dévolu sur l’un d’entre eux. En attendant, la droite ne peut pas prendre le risque de laisser le monopole de l’alternance à des forces politiques qui lui sont si radicalement opposées.
Par ailleurs, depuis le début de cet article, on ne traite guère de l’éléphant au milieu de la pièce : le Rassemblement National. Il faut ici l’attaquer frontalement pour ce qu’il est, et à ce titre commencer ce propos en rappelant l’anecdote suivante : en 1848, sous la IIe République, le parti de l’ordre avait soutenu la candidature de Louis-Napoléon Bonaparte à la présidence, le pensant médiocre et donc manipulable. Le 2 décembre 1851, ce dernier mettait à bas la République par un coup d’Etat. Mon analogie a des limites, évidemment. M. Bardella n’est de toute évidence pas le neveu de Napoléon Ier, ne nourrit pas les mêmes projets et ne vit pas au milieu du XIXème siècle. La préoccupation de fond reste la même pourtant : la droite française dans son entier est traversée de courants divers et variés dont les préoccupations divergent beaucoup les unes des autres. L’union des droites élude les débats qui traversent la droite française : la question européenne, celle des alliances internationales, l’économie, la décentralisation, l’éducation, la santé, la culture… Ces débats, elle ne les tranche pas, elle les transcende. Elle autorise chacun à placer ses espoirs, contradictoires à ceux des autres, en la personne de celui qui semble le plus à même de réaliser cette union : Jordan Bardella, 28 ans, apparatchik pur sucre, sans mandat électif local, sans expérience professionnelle, tiraillé entre la loyauté qu’il doit à celle qui l’a fait roi et son trône qui le place au-dessus de cette dernière. Tant d’espoirs sur les épaules de ce seul homme, voilà qui occasionnera sans doute un nombre variable mais néanmoins important de frustrés. Et la droite de se diviser à nouveau dans une guerre fratricide dont elle a le secret, entre détracteurs et partisans du jeune Président. Unir les droites derrière M. Bardella, voilà qui creusera les divergences au sein de celle-ci plutôt que de l’unir. Pour ma part, je pense que ce dernier sera incapable de contenter suffisamment toutes les droites pour ne pas les diviser plus, et qu’il est de toute manière déraisonnable d’unir la droite derrière une candidature au prétexte qu’elle s’accorderait sur les seuls enjeux régaliens.
Enfin, on peut émettre de sérieux doutes quant au bénéfice pour la droite de s’en remettre au RN pour porter sa voix. La droite, en tant qu’espace politique tout entier, perdrait sérieusement de sa superbe si elle admettait comme formation politique de référence un tel parti. A ceux qui l’auraient oublié, et il y en a, ce parti a instigué pendant plusieurs années un système de détournement de fonds, à l’échelle de tout un parti, aux frais du contribuable européen. Comme si faire les poches du contribuable français seul ne suffisait pas, il fallait que le FN (à l’époque) aille également se servir dans les portemonnaies de 27 autres nations. Si Mme Le Pen arrive un jour au pouvoir, j’espère qu’elle ira rendre à son compère Nigel Farage l’argent que la vilaine Union Européenne volait aux Britanniques. Il n’est pas non plus inutile de rappeler que ce même parti est un vecteur d’influence étrangère notoire, comme le rappelle la présence de Thierry Mariani, l’obligé de Bakou, parmi les plus hauts gradés du parti. Qu’enfin il est dirigé par une femme, Mme Le Pen en l’occurrence, qui, entre 2017 et 2027, sera passée du Frexit à l’Europe des nations, d’ « immigration zéro » à immigration choisie, d’une russophilie assumée à un gaullisme de façade. Et en parlant de gaullisme de façade, puisqu’il en est question, on peut rappeler à toutes fins utiles que les cadres du RN entreprirent en 2017 et en 2025 d’aller se coucher devant Donald Trump. Eux, les partisans d’une sortie de l’OTAN il y a encore quelques années, avaient été touchés par la grâce de l’atlantisme le plus fervent. Et lorsque le POTUS menaça nos intérêts stratégiques par des droits de douane exorbitants, le RN se mura dans un silence gêné. Le RN se donne la peine d’éditer un contre-budget par an, depuis 2024. Celui de 2025 est fantastique : il plagie à la lettre près les mesures migratoires de LR, et certains montants déjà évoqués en 2024 sont passés du simple au double en un an. Peut-être le RN, par ses revirements, montre-t-il qu’il s’est amendé ? A mon avis, et au vu du peu de renouvellement de ses cadres et dirigeants, il est plus probable que le parti n’ait d’autre vocation que de porter au pouvoir une coterie d’ambitieux déguisés en bienfaiteurs. La droite française ne mérite pas de remettre son destin entre les mains d’un tel parti.
Pour terminer ce long exposé, c’est pour la France que ce projet d’union des droites peut interroger, voire inquiéter.
Peut-être sommes-nous lâches, ou bien timorés, mais nous sommes nombreux en France à nous inquiéter du degré de division et d’opposition frontale qu’a atteint le pays ces dernières années. Pour bon nombre d’électeurs de gauche, il est impensable d’avoir des rapports ne serait-ce que cordiaux avec un électeur RN. A leurs yeux, le RN est un parti assimilable à un parti fasciste ou autoritaire, et leurs électeurs ne valent pas mieux. Le camp nationaliste est infréquentable. Pourtant, ces mêmes électeurs peuvent encore parler à la droite plus classique, souvent décrite comme « modérée ». Ladite droite, en se rangeant unanimement derrière le RN, ou en s’alliant avec lui, se rendrait infréquentable dans son ensemble aux yeux du peuple de gauche. En retour, nul doute que le peuple de droite cessera de parler à celui de gauche. En somme, l’union des droites n’est propre qu’à renforcer l’union des gauches et surtout la constitution d’une frontière hermétique entre les deux. Ce qui s’ensuivrait n’est pas les dix plaies d’Egypte, mais s’en rapproche tout de même beaucoup : des procès d’intention, un débat public réduit à une somme de caricatures et d’invectives, de la violence politique… Je ne suis pas sûr que l’intérêt supérieur de la France soit que ses citoyens se vouent mutuellement une haine sans bornes. On pourra toujours considérer que de tels propos sont lâches. Il est vrai que dix années de macronisme auront transformé le mot « compromis » en synonyme de « trahison » pour nombre de nos compatriotes. Cependant, rappeler l’ensemble des acteurs politiques à un peu de nuance et de calme ne fait jamais de mal. La dignité du comportement politique n’entrave pas l’efficacité de l’action, bien au contraire.
A toutes fins utiles, il est bon de rappeler que l’union des droites est une jolie incantation, mais qu’elle doit se transformer en un programme concret, qui porte sur de nombreux sujets, pour réussir. Peut-être, sûrement même, est-il possible pour LR et même pour le camp macroniste (qui sait, tant qu’à conjecturer des coalitions hétéroclites) de s’entendre sur les sujets régaliens avec le RN de 2025. Mais l’immigration, la sécurité et les finances publiques ne sont pas un programme en tant que tel. Lorsque l’union aura mis en application ses propositions sur ces sujets-ci, si elle parvient au pouvoir, que fera-t-elle d’autre ? Même dotée d’une feuille de route commune complète, l’union ne résoudra pas tous les conflits qui traversent la droite sur la manière dont il faut diriger la France, et la contestation interne qui pourrait la miner déboucherait alors sur des propositions peu claires, un cap vague et de sempiternelles tractations sur ce qu’il convient ou non de décider. De plus, au vu du poids du RN au sein de cette alliance, il fait peu de doute que les autres formations qui lui seraient associées se trouveraient dans l’incapacité de le refreiner. Se pose alors la question de ce que ferait le RN s’il était au pouvoir, question qui dépasse le seul cadre du débat sur l’union des droites. Sa ligne est si floue et les idées qu’il produit si peu nombreuses que tout est imaginable : Marine Le Pen sera-t-elle plutôt Mariano Rajoy, Ulf Kristersson, Angela Merkel, Giorgia Meloni, Vladimir Poutine ou Viktor Orban ? Les factions au sein du RN sont dormantes et ne se livrent pas encore de guerre. Mais entre les militants des premiers jours (comme l’un des cofondateurs du FN, Alain Jamet, qui est encore cadre du parti), les catholiques conservateurs comme Laure Lavalette ou Hervé de Lépinau, les transfuges du RPR comme Alexandra Masson, la jeune garde bonapartiste souverainiste comme Jean-Philippe Tanguy ou Thomas Ménagé, les maires sudistes comme Louis Aliot, et d’autres encore ; qui aura le dessus ? Et quid de Marion Maréchal et de ses quelques fidèles ? Auront-ils voix au chapitre ? Autant de questions qui demeurent à l’heure actuelle sans réponse. L’union des droites serait un attelage baroque sans vision de fond pour la société française. Cela lui laisse toutes ses chances de voler en éclats une fois au pouvoir, cette dernière remarque valant également, d’ailleurs, pour le RN.
Pour finir, et pour en finir, avec l’union des droites, j’aimerais revenir sur un argument « puissant », qui est celui de l’exemple étranger. Invoqué récemment par le JDD, désormais très prolixe sur la question, cet argument se fonde sur une liste à la Prévert de pays européens où une prétendue union des droites fonctionne. Parmi les exemples avancés, on compte : la Finlande, la Croatie, les Pays-Bas, l’Italie et la Slovaquie. Les deux premiers exemples sont mal ficelés, puisqu’ils mettent en parallèle implicite la France, pays de fait majoritaire où une union des droites aurait pour force majoritaire sa composante la plus à droite (le RN) ; et Finlande et Croatie, pays où les coalitions sont monnaie courante et où le parti de droite classique (Kok en Finlande, HDZ en Croatie) domine la coalition. Les rapports de forces ne sont donc pas les mêmes. Aux Pays-Bas, pays de coalition s’il en est, puisque les élections se déroulent à la proportionnelle pure, la coalition des droites n’a tenu que quelques mois avant de s’effondrer sous le poids de ses contradictions internes. En Italie, présenter une telle union comme inédite serait oublier qu’elle est une tradition dans le pays depuis 1994 et la formation du « Pôle du Bon Gouvernement » par Silvio Berlusconi. L’Alliance Nationale, devenue Frères d’Italie, est donc depuis 30 ans en alliance avec la droite classique, et il a bien fallu 30 ans pour que cette alliance parvienne à stabiliser une scène politique instable depuis l’opération Mains propres, au début des années 1990. Quant à l’ultime exemple, celui de la Slovaquie, il est tout simplement de mauvaise foi puisque ce sont des partis populistes, mêlant socialisme, conservatisme et russophilie (SMER-SD et HLAS-SD) qui se sont alliés avec le SNS, parti nationaliste. Pendant ce temps, des forces politiques de centre-droit et de droite comme OLANO ou le KDH sont tenues hors de cette soi-disant « union des droites ». Alors oui, l’union des droites peut tenir et obtenir des résultats (encore que cette affirmation demanderait à être vérifiée et étayée), mais dans des pays disposant d’une forte culture de la coalition et surtout où la droite parlementaire et l’extrême-droite ou droite radicale sont dans un rapport de forces équilibré, ou déséquilibré à l’avantage du premier. L’Italie fait exception à cette dernière règle, mais le parti populiste de droite qui a précédé Giorgia Meloni, la Ligue du Nord, allié européen de Marine Le Pen, a échoué à exercer le pouvoir et se retrouve aujourd’hui avec des scores électoraux assez bas.
Concluons en suggérant des pistes d’actions. Après avoir promis à la droite l’enfer de Dante si elle s’alliait au RN, je dois tout de même dire ce qu’à mon sens il conviendrait de faire. J’ai commencé cet article en parlant de LR, je l’achèverai en faisant la même chose. LR est un parti riche de beaucoup (trop ?) de personnalités qui s’intéressent à beaucoup (trop ?) de sujets différents. Bruno Retailleau parle des sujets régaliens, David Lisnard du rôle de l’Etat dans l’économie, Xavier Bertrand de la jeunesse et des services publics, Michel Barnier d’Europe et d’écologie… Si l’arrivée et la domination du RN sur les électeurs de droite semble aujourd’hui actée, il ne faut pas oublier que la conjoncture politique peut évoluer en sa faveur, ou bien en sa défaveur. Face au grand flou du RN, LR doit s’employer à être une alternative de droite précise et concrète. Il y a huit ans, on expliquait qu’Emmanuel Macron avait détruit le clivage droite/gauche et que LREM était une nouvelle force politique sur laquelle il allait falloir compter à l’avenir. Aujourd’hui, la réalité est tout autre. LR, pour son salut, doit continuer d’exister par le fond dans une voie différente de celle du RN, et se battre pour reprendre chaque électeur perdu, même si cela doit lui prendre dix ans. Si le RN parvient au pouvoir, ce qui est très probable à l’heure actuelle, la droite devra rester dans l’opposition, critique et vigilante à l’action du gouvernement, pour pouvoir ensuite mieux le vaincre.

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