■ Le Congrès de Vienne ; le ministre Talleyrand est le deuxième assis en partant de la gauche.
L’art de la négociation, en France, n’est pas une simple technique commerciale ; il est une forme d’esthétique politique, une danse subtile entre puissance et séduction.
Autrefois, le « deal » à la française se distinguait par son élégance calculée, son goût du secret et son inscription dans une durée longue, loin des brutalités anglo-saxonnes.
Louis XIV éleva ainsi la diplomatie à un art majeur.
Le traité de Nimègue, en 1678, illustra à merveille cette maîtrise.
Face à une coalition européenne épuisée, Colbert et Louvois négocièrent non par la force brute, mais par l’usure patiente, les concessions mesurées et les alliances matrimoniales.
Le monarque ne signa pas un accord ; il imposa une paix royale, où chaque clause était un pas de menuet diplomatique.
Au XVIIIe siècle, le duc de Choiseul, ministre de Louis XV, perfectionna ce style.
Le Pacte de Famille, conclu en 1761 avec l’Espagne, n’était pas un simple traité militaire ; c’était un véritable « deal » familial, scellé par le sang des Bourbon, où la France échangeait des territoires contre une solidarité dynastique.
La négociation s’est faite dans les salons feutrés, autour d’un thé ou d’un billet galant, jamais dans la brutalité des chiffres.
La Révolution brisa cette continuité que Napoléon restaura, s’inspirant de la belle famille de sa seconde épouse.
Le traité de Tilsit de 1807 avec la Russie fut un chef-d’œuvre de théâtre.
Sur un radeau au milieu du Niémen, l’Empereur séduisit Alexandre Ier par la grandeur de sa vision, non par la menace. Le « deal » napoléonien était un pari sur l’avenir, où la France offrait l’Europe en échange d’une alliance contre l’Angleterre.
Au XIXe siècle, Talleyrand incarna la continuité de cet art.
Au Congrès de Vienne en 1815, dans le camp des vaincus, il divisait les vainqueurs par des dîners fins et des confidences murmurées.
La France, exclue, retrouva une place centrale non par la force, mais par l’intelligence des équilibres. Le « deal » à la française devint alors un art de la survie par la parole.
Le XXe siècle a vu cette tradition s’adapter à la modernité.
Pompidou, en 1973, négociait l’élargissement de la CEE (Communauté économique européenne, NDLR) avec l’Angleterre en échange d’une PAC (Politique agricole commune, NDLR) renforcée.
Le « deal » reste français : on cède peu, on gagne beaucoup, on parle de projet.
Aujourd’hui, face aux géants numériques, aux crises migratoires, aux crises internationales ou internes, nous semblons oublier cet héritage.
Les négociations se font dans la précipitation, sous l’émotion de l’actualité, comme s’il fallait chercher à coller au rythme quasi instantané de l’information et des réseaux sociaux.
Les concessions sont le plus souvent unilatérales, le style est défensif.
Où est l’élégance de Louvois ? Où est la patience de Talleyrand ?
Aujourd’hui plus qu’hier, il faut faire confiance au temps long et reprendre à son compte, pour restaurer l’ « art du deal » à la française, la morale de la Fontaine « Patience et longueur de temps font plus que force ni que rage ».

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