LR face au piège tendu de l’union des droites, Partie 1

 Bruno Retailleau, à gauche, Marine Le Pen, à droite.
 
Par Tristan Vidal da Silva - Étudiant à Sciences Po Paris et à Sorbonne Université (Histoire).

L’idée d’une union de tous les partis de droite n’est pas nouvelle sous la Ve République : aux élections régionales de 1998, la question du rapprochement avec le Front national avait provoqué le départ d’Alain Madelin et de son parti Démocratie Libérale de l’Union pour la démocratie française, qui, bien plus tard, devait s’éteindre de sa belle mort en se fondant dans le MoDem de François Bayrou. Dernièrement, et d’autant plus depuis la crise gouvernementale qui tua dans l’œuf le premier gouvernement Lecornu, l’idée d’une « union des droites » est rabâchée de manière récurrente par de nombreux médias. Les plus à droite se félicitent de l’avènement de cet attelage qu’ils ont longtemps appelé de leurs vœux, ceux de gauche s’en lamentent en invoquant, entre deux sanglots, le « bon vieux temps » d’une droite ennemie jurée du FN (à moitié fantasmée), tout en se délectant d’une telle perspective, qui signerait le début d’un sursis pour une union des gauches elle-même en perdition. Beaucoup de journalistes enfin, dont la consommation de rebondissements politiques est devenue boulimique depuis maintenant plus d’un an, produisent des papiers prédisant son avènement proche. Pourtant, tant au RN qu’à LR, une telle union a déjà été récusée par plusieurs élus et dirigeants. Il n’empêche, l’effort considérable de dédiabolisation puis de notabilisation du RN, couplé avec la nécessité pour LR de se distinguer d’un macronisme en perte de vitesse, a rapproché les deux partis sur certaines questions, et l’électorat de droite est de plus en plus attiré par le parti à la flamme, devenu véritable centre de gravité de cet hémisphère politique. Le réflexe à gauche, souvent par réflexe moral et par incapacité à dissocier tout ce qui émane du RN de l’étiquette « extrême-droite », consiste à blâmer LR, qui se « droitiserait ». Une réfutation de cette hypothèse n’est pas l’objet de cet article, mais il est assez étrange de concevoir comme n’ayant jamais été aussi à droite un parti qui fut fondé par Charles de Gaulle (qui n’était pas le plus progressiste des hommes de droite), et qui compta dans ses rangs Michel Poniatowski, Charles Pasqua et Édouard Balladur. Au demeurant, il n’en reste pas moins que la concrétisation d’une union des droites est une idée qui travaille un certain nombre de sympathisants et de stratèges LR. Voilà quelques éléments qui, je l’espère, participeront à raviver le scepticisme à l’égard de l’union des droites dans ce parti.

Il doit être porté à la considération des sympathisants, des cadres et des élus LR qu’il n’est pas dans l’intérêt stratégique du parti d’entrer dans une quelconque « union des droites ».

LR court le risque non négligeable de devenir un parti-croupion. Il est déjà difficile pour les électeurs de distinguer, sur plusieurs points, LR et RN. Une alliance LR-RN aboutirait à la situation suivante : la part de LR jugeant le RN infréquentable ou du moins récusant l’alliance quitterait le parti en masse, ce dont profiterait sans doute Édouard Philippe pour se refaire une santé dans les sondages et remettre en selle un centre-droit libéral jusqu’ici finissant. L’autre part de LR se retrouverait simplement piégée. Le vote LR, y compris pour les électeurs favorables à l’union, ne trouve son sens que parce qu’il aboutit à renforcer un camp distinct du RN. L’identité politique de LR deviendrait alors d’être le « parti de droite classique allié au RN », elle qui est jusque-là d’être le « parti de droite distinct du RN », dans un paysage politique de droite où tout objet politique se définit relativement au parti lepéniste. En un mot comme en cent, une telle alliance serait un transfert de gré ou de force des électeurs LR restants au RN. Sur le plan électoral, cela se matérialisera par des investitures communes LR-RN. Les candidats LR investis par le RN seront élus grâce à l’étiquette de cette dernière formation, avec les voix de ses électeurs. La formation gaulliste se retrouvera alors avec un contingent de députés dont la seule présence au Palais-Bourbon dépendra du bon vouloir du RN de leur concéder l’investiture ou non. Pour chaque député républicain, et pour le parti tout entier, toute objection aux positions et aux idées du RN deviendra un pari risqué. Il n’est pas sain pour un parti qui veut à la fois une alliance et son indépendance de s’allier avec un mouvement qui n’est pas doté d’une culture du compromis mais du caporalisme. Quand on connaît l’appétence de Marine Le Pen pour les purges menées contre les dissidents, cela reviendrait à poser sa tête sur le billot d’un bourreau sadique. Un exemple parfait nous est en la matière offert par l’UDR : Éric Ciotti, le « gaulliste », et son quarteron de renégats se sont convertis à la proportionnelle et aux motions de censure répétées au mépris de leurs convictions de la veille, se murant dans un silence gêné chaque fois que le RN remet en cause la réforme des retraites que notre matamore niçois porta.

D’autre part, il n’aura échappé à personne que les députés LR, solidement ancrés dans leurs fiefs locaux, sont pour le moins jaloux de leur indépendance. A l’heure actuelle, l’étiquette LR n’est pas trop difficile à masquer en temps de campagne électorale. Elle passe aisément au second plan aux yeux des électeurs s’ils connaissent déjà le candidat, qu’il soit député sortant ou élu et ancré dans la circonscription de longue date. Une étiquette RN, en revanche, est beaucoup plus « lourde » à porter. Les affiches frappées des visages de l’aigle bicéphale Le Pen-Bardella sont très clivantes, et la dimension nationale d’une telle appartenance vient totalement occulter l’ancrage local. Si je suis un électeur à l’appartenance politique mal définie et/ou qui vote principalement pour les candidats solidement ancrés dans le territoire, je peux donner ma voix à un candidat de droite classique, d’autant que je le fais déjà aux élections municipales ou départementales. Si, en revanche, ce candidat porte l’étiquette RN, je suspends mon jugement, voire vote pour un autre candidat. Or, l’indépendance individuelle d’un député s’appuie avant tout sur son ancrage local, dans la mesure où, en cas de retournement de la conjoncture politique ou de retrait d’investiture, il lui permet de conserver son siège. Une étiquette RN affaiblit l’impact de l’ancrage local dans le choix de l’électeur, qui ne choisit plus un député « pour son département », mais un député « pour la France entière », ce qu’il ne souhaite pas forcément faire. Le député perd alors tout ou partie de son indépendance individuelle. Outre les députés, ce sont également les présidentiables LR qui pâtiraient d’une telle alliance. MM. Retailleau, Wauquiez, Bertrand, Lisnard et Barnier, s’ils comptent bel et bien se lancer dans la course à l’Elysée, vont avoir, en 2027, la tâche de montrer leurs différences, et non leurs ressemblances avec le RN, s’ils veulent réaliser un bon score, tout en attirant une partie de l’électorat de ce parti. A ce titre, l’enjeu-clé de 2027 pour LR sera de se distinguer du RN sur un ou plusieurs aspects. Mais si une alliance survient avant 2027, opérer une telle distinction sera très malaisé. Les électeurs de droite anti-RN et du centre-droit seront rebutés à l’idée de voter pour un candidat qu’ils percevront comme s’étant compromis avec ce nationalisme qu’ils abhorrent, ceux du RN verront d’un très mauvais œil ce traître qui après s’être allié au RN pour gagner des sièges, se retourne contre lui pour décrocher les clés de l’Elysée. A moins, bien sûr, que le RN gouverne avant 2027, s’abîme, et qu’une candidature alternative à droite trouve une justification aux yeux d’une partie de l’électorat du parti bardello-lepéniste. Cette dernière hypothèse se heurte à deux objections. Premièrement, ce scénario ne permet pas de lever les méfiances des électeurs du centre-droit. Secondement, si le RN accède à Matignon et s’y use, le candidat LR en profitera d’autant plus s’il ne s’est pas mêlé à un gouvernement Bardella, et donc s’il n’y a pas eu d’union des droites en premier lieu. Les présidentiables LR, et en premier lieu Bruno Retailleau, n'ont donc pas intérêt à une telle alliance qui tuerait dans l’œuf leurs espoirs de candidature.

Enfin, et pour achever cette première partie très stratégique et dédiée à la politique politicienne, il faut souligner qu’une telle union présente un risque de long terme. L’union des droites prendrait une forme politique bien déterminée. Nous avons discuté de la possibilité d’une alliance électorale, mais non d’un accord gouvernemental. Après tout, pourquoi pas ? Un accord gouvernemental n’implique pas de candidats communs aux législatives et tous les inconvénients associés. LR ne pourrait-il pas envisager d’entretenir avec le RN la même relation qu’il entretient avec le camp macroniste ? Et bien justement, c’est ce qui ici constitue le risque : renouer des liaisons dangereuses avec un camp dont LR ne partage pas les positions. Depuis 2022, la droite et le camp macroniste se livre à un jeu dangereux de rapprochements et d’éloignements. Pour la première, cela se manifeste par un éternel conflit, tandis que changent les prétextes et les acteurs, entre deux lignes : coopérer au prix de sacrifices ou s’opposer et ajouter au chaos ambiant. Ciotti contre Pradié durant la réforme des retraites, Dati contre Ciotti lors de l’annonce du gouvernement Attal, Retailleau contre Wauquiez pour participer au gouvernement Bayrou, Wauquiez contre Retailleau pour Lecornu II… La guerre, la guerre, toujours recommencée ? LR, affaibli par la catastrophe Pécresse en 2022, a durablement entamé sa crédibilité en apparaissant toujours divisé et systématiquement au bord de l’implosion. Et alors que les plaies de l’éternelle bataille entre pro et anti-participation sont encore béantes, certains jugent sage de gouverner avec le RN. Mais dans un tel scénario, le « encore pire » est à craindre. Certains claqueraient la porte d’entrée de jeu. Quant à ceux qui resteraient, il est probable qu’ils se déchireraient selon la même ligne de fracture. Certains plaideront pour un soutien toujours plus accru au gouvernement d’union des droites au nom de la lutte contre le chaos et l’anarchie ; d’autres insisteront pour s’opposer et avoir une ligne distincte. Ce faisant, LR continuera sa guerre interne, rendue peut-être plus violente par la superposition au précédent conflit, et verra ce qui lui reste de crédibilité lui échapper pour de bon. Le parti seul et indépendant ne sera alors plus électoralement viable et devra se tourner vers le RN pour obtenir une alliance électorale.

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