■ Michel Dray.
Montaigne aimait à dire qu’il n’enseignait pas, mais racontait. Avec sa « chronique terrienne », Michel Dray, en sa qualité d’historien, raconte « son » époque, avec humour et parfois avec dérision.
Aujourd’hui : « Le Ciel est vide, le radicalisme religieux l’a asséché ».
À Jérusalem, un homme sans âge, se désaltère dans un bar. À une table voisine un jeune homme, intrigué par le vieillard, l’aborde : « Vous êtes Dieu n’est-ce pas ? » Le vieil homme opine du chef. « D’après vous, demande-t-il, et par les temps qui courent, est-il plus intéressant d’être juif, chrétien ou musulman? » Et Dieu de répondre : « je ne sais pas, je ne fais pas de politique ». Amos Oz, l’un des écrivains israéliens les plus traduits dans le monde, lors d’un séjour à Berlin, avait ouvert sa conférence insolemment intitulée « comment guérir un fanatique ? » par cette histoire qu’un de ses amis, travailliste, lui avait racontée.
Amos Oz sait que ses jours sont comptés, que la maladie qui le ronge aura raison de lui. Aussi ce Dieu « qui ne fait pas de politique » apparaît-il sept ans avant sa mort comme une sorte d’anecdote « testamentaire ». Car, indirectement, toute l’œuvre d’Amos Oz tourne autour de Dieu, et ce, précisément parce qu’il était athée, israélien et farouchement engagé dans la paix israélo-palestinienne. Je ne m’aventurerais pas à la question « comment aurait-il vécu le traumatisme du 7-Octobre ? ». C’eût été de la dernière stupidité. Demanderait-t-on à Mozart s’il aurait aimé la musique des Rolling Stones ? Amos Oz nous parle d’humanisme et de liberté qui dépassent et le Temps et les Siècles comme Mozart et les Rolling Stone nous parlent de musique qui dépassent et le Temps et les Siècles.
Amos Oz ne se moque pas de Dieu mais des hommes, de leur hubris, de leur roublardise. Surtout de leur lâcheté. C’est en ce sens que l’histoire doit nous interpeller. Amos Oz est agnostique, il l’a suffisamment dit et écrit. On connait l’aventure de cet Italien qui, fort de ses certitudes, dit au pape n’avoir aucune difficulté à prouver scientifiquement l’existence de Dieu, ce qu’il fit de la façon la plus rigoureuse. « Saint-Père, maintenant je vais vous prouver scientifiquement l’inexistence de Dieu » L’homme a fini en prison. Il avait compris que Dieu n’était pas une affaire de raison mais une histoire de cœur. C’est bien connu : d’une thèse énoncée avec certitude on peut dire tout et son contraire.
Depuis le premier matin du monde, la relation entre l’Homme et le Ciel repose sur un malentendu. L’Homme a besoin d’imaginer un au-delà pour se donner une illusion d’immortalité. Illusion est le mot juste à mon sens, car, il permet jusqu’à l’ultime seconde de douter. Seuls les esprits bardés d’intolérance sont sûrs de se tromper, à commencer sur eux-mêmes : le plus pathétique c’est qu’ils ne le reconnaîtront jamais.
Amos Oz a eu raison de mettre cette histoire en exergue de sa conférence. Comment guérir un fanatique ? s’enquérait le romancier. Tout simplement lutter contre les hommes qui font de la politique au nom de Dieu. Ce siècle a vingt-cinq ans. Dieu est partout, sauf dans les cœurs. On humilie, on tue, on refait l’Histoire ; les crimes des hommes sont si odieux, qu’ils font de Dieu, par lâcheté — ou par bêtise — un étendard alors qu’il n’est, je le répète, qu’une Interrogation.
Méfions-nous de ces radicalismes religieux qui pervertissent le cœur et malmènent la raison. C’est l’agnostique, fervent adepte des Lumières qui vous le dit.
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