Au-delà du fait divers

Cette semaine, voici l’histoire d’une plaie silencieuse et ironique de notre temps.

Dans les ombres familières de Rouen, où les flèches gothiques percent un ciel souvent pluvieux, une matinée tranquille, vers 9 heures du matin s'est transformée en odyssée douloureuse pour un simple passant en route vers la gare.

Agressé sans motif, gratuitement, par un individu visiblement sous l'emprise funeste des stupéfiants, il a été roué de coups avec une fureur qui défie toute logique humaine.

Les ecchymoses physiques s'estompèrent vite, mais le choc psychologique, ce fantôme insidieux, hante encore, rappelant que la violence peut surgir plus vite qu'un orage normand.

Son salut, providentiel, il le doit à un passant anonyme, dont le geste d'ouvrir la porte de l'immeuble d'en face fut un phare dans cette tempête gratuite alors que, ironie du sort, une porte close aurait pu sceller un destin bien plus sombre.

Une telle agression transcende le vulgaire fait divers pour révéler une faille béante dans notre tissu social.

Certains l’auront compris, la victime à Rouen, ce fut moi et, alors que je n’avais répondu à personne, c’est par une presse visiblement informée par des sources judiciaires que j’ai appris la date du procès de mon agresseur.

Interrogeant mon entourage, j'ai recueilli des confessions murmurées, comme autant de cicatrices cachées : un collègue, gazé pour un simple casque audio près du métro Saint-Sever en juillet dernier ; une amie, tabassée en plein centre-ville par une bande errante, un quart d'heure de terreur gratuit en août ; un voisin, traîné au sol à Caudebec-lès-Elbeuf, ses agresseurs tentant même de le fourrer dans un coffre de voiture, comme un vulgaire bagage égaré.

Ces récits, tissés de frayeur et de résilience, dessinent un paysage où la violence n'est plus exception, plus un sentiment, mais une lame de fond quotidienne, presque banalisée.

Mise en perspective avec l'actualité récente, cette réalité rouennaise s'inscrit dans un tableau national où les ombres s'allongent : à Nantes, une femme de vingt et un ans, frappée et dépossédée de son téléphone par deux silhouettes cagoulées en août ; au Mans, un octogénaire de quatre-vingt-deux ans, agressé pour avoir osé réclamer son appartement squatté, sans oublier les sapeurs-pompiers de Seine-Maritime, ces héros du feu, jetés de pierres ou rossés lors d'interventions banales, comme si sauver une vie méritait une riposte vengeresse.

Ces vignettes, éparpillées de Brest à Bordeaux, où un jeune père est laissé pour mort sur un trottoir, ou à Lyon, avec une conductrice traînée sur des centaines de mètres pour un caprice automobile, soulignent une escalade où l'absurde règne en maître.

La mort odieuse d’Iryna Zarutska, a poussé cette violence à son paroxysme.

Pourtant, une opinion mesurée refuse l'abîme du désespoir.

Si ces éclats de brutalité prolifèrent, semant une anxiété légitime, ils coexistent avec des lueurs d'espoir, des interpellations rapides, comme celle de mon agresseur ; des initiatives généreuses, échos de ce passant salvateur, qui rappellent que l'humanité n'est pas encore tout à fait en faillite.

Les autorités, quant à elles, déploient des lois renforcées contre les trafics qui alimentent ces délires toxiques, et des campagnes de prévention qui, si elles ne sauront éradiquer le mal, en atténuent du moins les contours acérés, même si, pour édicter et mettre en œuvre ces principes elles s’inspirent de Louis XIV qui retenait que “Tout l'art de la politique est de se servir des conjectures.”

Pourtant, reconnaître ces faits de société et lutter contre les trafics de stupéfiants et l’insécurité devrait être central.

Ces agressions ne sont point des caprices isolés du destin, mais des signaux d'alarme d'une société fracturée.

Elles nous invitent, non à l'alarmisme stérile, mais à une vigilance collective, teintée d'un humour noir, car si la violence frappe sans crier gare, c'est peut-être en cultivant nos réflexes solidaires, comme celui de l’homme providentiel qui m’a sauvé, que nous lui ravirons son plus beau trophée, l'indifférence.

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