■ Me Jean-Philippe Carpentier.
Souveraineté nationale et dynamiques européennes : une tension fondatrice à l’épreuve des négociations budgétaires
A l’heure du numérique, les débats surgissent et s’ancrent face à une forme d’incertitude ambiante.
Nous semblons bien loin de Louis XIV qui sur son lit mortuaire déclarait « Je m'en vais, mais l'État demeurera toujours. »
La souveraineté nationale sous Louis XIV fut à la fois exaltée et encadrée.
Elle s’affirma dans l’espace intérieur par la centralisation et le rayonnement culturel, mais elle fut constamment négociée dans l’espace Européen, où la diplomatie, les traités et les coalitions limitaient les ambitions hégémoniques des uns et des autres.
Le Roi-Soleil ne fut pas seulement un monarque absolu : il fut aussi un acteur d’un système européen en gestation, où la souveraineté d’un État ne pouvait s’exercer sans tenir compte des autres souverainetés.
Ce paradoxe fondateur éclaire les tensions contemporaines entre autonomie nationale et intégration européenne, car déjà sous Louis XIV, la souveraineté était moins un absolu qu’un équilibre entre volonté et réalité, entre grandeur et interdépendance.
Revenons à la situation contemporaine, à l’heure où les États membres de l’Union européenne s’engagent dans un nouveau cycle de négociations budgétaires et où la question de la souveraineté nationale ressurgit avec une acuité renouvelée.
Ce débat, loin d’être inédit, montre que nous sommes encore le produit des tensions et équilibres du XVIIe siècle et nous impose de réfléchir collectivement.
La question cristallise les tensions entre l’autonomie politique des nations et les impératifs d’une gouvernance supranationale fondée sur la solidarité, la discipline financière et la convergence économique.
La France, comme d’autres puissances fondatrices, se trouve à la croisée des chemins, et confrontée à des choix d’autant plus difficiles qu’ils interviennent dans un contexte de crise politique et économique.
D’un côté, sous la pression de certains parlementaires, elle revendique son droit à définir librement ses priorités budgétaires, notamment en matière de défense, de transition écologique et de politique sociale.
De l’autre, elle est tenue par ses engagements communautaires, les critères de Maastricht, et les mécanismes de surveillance renforcée instaurés depuis la crise de la dette souveraine.
Cette dialectique entre volonté nationale et contrainte européenne s’exprime aujourd’hui dans les débats sur le Pacte de stabilité et de croissance réformé et dans les négociations budgétaires européennes.
Faut-il assouplir les règles pour permettre aux États d’investir massivement dans les secteurs stratégiques ? Ou faut-il maintenir une rigueur budgétaire garante de la crédibilité de l’euro et de la confiance des marchés ? Faut-il affecter des avoirs russes saisis à la guerre en Ukraine ?
La réponse ne saurait être binaire.
Ainsi, la souveraineté nationale, loin d’être un bastion figé, apparaît comme une tension féconde entre volonté politique et interdépendance assumée. De Louis XIV à l’Union européenne, elle se redéfinit sans cesse, au gré des équilibres, des crises et des ambitions partagées.
Dans ce contexte, les négociations budgétaires entre États ne sont pas de simples arbitrages comptables : elles sont l’expression d’une maturité politique, d’une capacité à conjuguer mémoire historique et vision collective.
Et comme le rappelait Frédéric II de Prusse « Le véritable pouvoir est de savoir jusqu’où ne pas aller. »
C’est peut-être là que réside aujourd’hui la souveraineté des États dans l’Union européenne, non dans l’affirmation solitaire, mais dans la maîtrise lucide de ses propres limites, au service d’un avenir commun.
Enregistrer un commentaire