Intervention de Mélanie Gaudry aux Assises nationales contre les Féminicides du Sénat

 Assises nationales contre les Féminicides.


Tous les ans, le Palais du Luxembourg convie experts, intellectuels et autres spécialistes des violences faîtes aux femmes à réfléchir ensemble autour de différentes thématiques. Au cours de la 5e table ronde consacrée au traitement médiatique des féminicides, l'autrice et essayiste Mélanie Gaudry a souhaité interpeller élus et parlementaires quant à l'importance d’un rigoureux respect de la déontologie journalistique en la matière. Elle a également tenu, à la suite d’Ermira Qondo, à mettre en garde son auditoire quant aux nouvelles dérives sectaires sur lesquelles elle investigue depuis 2021, fléau dont les femmes sont, hélas, les principales victimes.

« Depuis cinq ans, nous pouvons constater une amélioration considérable du traitement médiatique des féminicides au sein de l’espace médiatique français. Amélioration conditionnelle, certes, remplies de maladresses et de ratés, mais au regard de ce qui a été, nous ne pouvons que la saluer. Les victimes, longtemps caricaturées par souci de coller aux besoins d’une ligne éditoriale soucieuse de scénariser le crime, commencent à prendre consistance. Les descriptions des faits se font plus précises, humanisant ainsi celles qui, jusqu’alors, se réduisaient aux circonstances de leurs décès. Une amélioration d’autant plus appréciable qu’il y a vingt ans à peine tuer son épouse s’assimilait encore au crime passionnel ; en une sorte de remake meurtrier de « Roméo et Juliette » où la mise à mort apparaissait comme la preuve ultime de l’amour qu’on porte à sa partenaire. La glorification des violences faites aux femmes se retrouvait également dans l’emploi systématique d’un lexique relatif à la passion amoureuse. La rédaction du « Nouveau Détective » prisait même l’emploi d’expressions datées, notamment la figure du rival amoureux renvoyant directement aux contes médiévaux. Ainsi l’affaire Marie Trintignant, en date du 1er août 2003, avec ses titres comme celui de Paris Match, « Marie Trintignant, victime d’un amour fou » incarne ce que la presse a fait de plus laid en la matière. En effet, il s’agit d’un message épouvantable qui transforme un féminicide en preuve d’amour total et absolu, conférant à l’acte une forme d’impunité amoureuse. Le rôle des médias dans la romantisation (sic) de l’affaire via l’emploi systématique d’un vocabulaire amoureux est considérable, illustrant ainsi des failles éthiques au sein des différentes rédactions. En assimilant Bertrand Cantat à un archétype de bad boy, prisé par les jeunes filles grâce à la popularité d’anti-héros comme Angel ( Buffy contre les vampires) ou encore Edward Cullen ( Twilight) ; et en mettant en évidence le caractère sulfureux du couple, la presse a sciemment joué la carte d’un romantisme racoleur afin d’écouler ses tirages. Nous sommes pourtant loin de l’abnégation amoureuse d’un vampire vis-à-vis d’une humaine qui défit les interdits pour nous montrer que le grand amour se place au dessus de tout. En somme, une instrumentalisation du drame à des fins voyeuristes et tapageuses qui va à l’encontre de l’éthique journalistique et intrinsèquement de toute forme de moralité. (…) D’une actrice populaire, morte sous les coups de son conjoint, ne reste-t-il donc plus qu’un symbole de la passion dans ses pires travers, une héroïne tragique du début du XXIe siècle sacrifiée sur l’autel de la course à la Une la plus aguicheuse. Mesdames et Messieurs, dans une époque où la perte de vocabulaire n’émeut plus grand monde ; où la majorité se fiche de connaître l’origine des expressions qu’elle emploie ; où il est admissible de laisser ses mots dépasser sa pensée plutôt que de chercher ceux qui ouvriront le chemin du pardon ; permettez-moi de vous rappeler que les mots ont un sens.

Quand un rédacteur appelle le monstre qui a étranglé la mère de ses enfants « l’auteur des faits », il use d’un euphémisme des plus insultants vis-à-vis de la victime, de la famille de cette dernière et de tous ceux qui se trouveront un jour confrontés - de près ou de loin - à un féminicide. Vous le savez, je suis moi-même auteure. Si on en croit ma filleule de neuf ans, un auteur, c’est « une personne qui écrit des livres pour faire rêver plein de gens. » Que l’on puisse réduire une mise à mort souvent programmée à de simples « faits » s’apparente à la profanation d’une profession toute entière. Que l’on puisse considérer un meurtre comme une création, érigeant ainsi, par association d’idées, un meurtrier en un quelconque écrivain dont l’œuvre serait le crime me semble mortifère. Aussi vais-je vous faire une confidence. Il m’arrive régulièrement de prier pour que je n’aie jamais à planter mes yeux dans le regard perçant de ma filleule pour lui expliquer que sa marraine, auteure de livres « pour faire rêver les gens » n’a rien à voir avec ce qu’un petit rédacteur web qualifie d’ « auteur des faits » à savoir le monstre qui, a l’instar d’un Cédric Jubillar, d’un Marc Cécillon ou encore d’un Bertrand Cantat, a froidement exécuté sa femme avant de s’en retourner vaquer à ses occupations.(…)

Dans un autre registre, si l’emploi du mot « féminicide » est étymologiquement discutable - mon cursus universitaire en lettres classiques notamment fait que je préfère parler de « meurtre entre époux » ou encore d’ « uxoricide » mais nous ne sommes pas réunis ce jour pour débattre de mes préférences en matière de vocabulaire - voir l’extrême droite se jouer de cette acception m’apparaît comme un scandale absolu. Du « populicide » au « francocide », les représentants du populisme se jouent désormais sans se cacher d’un fléau qui tue chaque année des milliers de femmes. Pour celles et ceux qui verraient dans ces néologismes un simple hasard, je citerai les mots de Monsieur Zemmour : « J’ai pris l’exemple sur les féminicides. Dans ma jeunesse, quand il y avait une querelle entre un homme et sa femme et que, par malheur, l’homme tuait la femme, on disait que c’était un crime passionnel. Aujourd’hui, on dit féminicide parce que les féministes nous ont expliqué que le crime n'est pas individuel(…) qu’il y a quelques chose de pourri entre les hommes et les femmes. » Combien de personnes se revendiquant d’extrême droite nient l’existence même des féminicides sous prétexte que le terme serait issu du wokisme ? Mesdames et Messieurs, je tiens à préciser que je ne suis pas féministe et que je soutiens au contraire la place de la famille traditionnelle au sein de notre société. En revanche, entendre une personne multi condamnée pour incitation à la haine et révisionnisme tourner en dérision un phénomène sociétal qui laisse des dizaines de milliers d’enfants orphelins me paraît humainement inconcevable. Mais Monsieur Zemmour n’est pas le seul à profaner la mémoire des victimes.

Combien de membres de l’association d’Alain Soral « Égalité et réconciliation » envisagent la femme au choix comme un objet sexuel ou comme un outil reproducteur, rendant négligeables les violences physiques et/ou psychologiques qu’elles pourraient subir ? (…) Combien de victimes seront, un jour, imputables à ces influenceurs issus de « Progressif Média » (ndlr : la boîte de communication du groupe Bolloré) qui banalisent quotidiennement masculinisme, misogynie et haine des femmes ?

Notre société joue un rôle non négligeable dans la recrudescence des féminicides. Il est aujourd’hui moralement acceptable pour une jeune femme de rechercher un partenaire sur les applications de rencontres et sur les différents médias sociaux. Or, en s’objectivant, la femme, sous couvert d’injonctions sociales et de féminisme justement, se déshumanise doucement elle-même. Le néo-consumérisme sentimental ne faisant que l’y inciter. Il est essentiel d’offrir un espace de sensibilisation aux jeunes filles afin d’éviter qu’elles ne se mettent en danger de la sorte. Il ne faut pas occulter le rôle de la marchandisation de soi dans la violence. Si on veut être aimée et non battue, encore faut-il revenir aux fondamentaux relationnels, notamment ne pas parler aux inconnus et ne pas faire entrer n’importe qui chez soi. »

« À la suite de ma camarade Ermira dont je salue la qualité de l’intervention lors de la précédente table ronde, je souhaiterais vous alerter quant à un fléau qui souille nos médias sociaux mettant ainsi en danger de la sécurité de nombreuses femmes. Les dérives sectaires sur le net sont de plus en plus insidieuses, s’immisçant aussi bien dans un réel conspirationniste que dans un discours au fond misogyne. Le temps du gourou vêtu façon prophète qui prêchait la bonne parole dans un lieu communautaire n’est plus. Aujourd’hui, le système sectaire est désormais pyramidal, dûment connecté, somme toute basé sur une mécanique en chaîne où les disciples qui s’ignorent s’endoctrinent les uns les autres. Sous fond de complotisme, de détournement de l’Évangile ou encore de charlatanisme, les dérives sectaires 2.0 sont d’autant plus difficiles à endiguer qu’elles touchent à de nombreuses strates de notre société. Durant mes années d’investigation, j’ai découvert des accointances marquées avec l’ultradroite, aussi bien avec « Égalité et réconciliation » qu’avec le groupe Vivendi. Des soutiens qui en disent long sur les moyens financiers offerts à ces organisations dont la dangerosité n’est plus à prouver. Mon infiltration - et plus largement mon engagement contre la radicalisation politique et/ou religieuse - m’a emmené à des conclusions effroyables telles que la certitude du soutien de l’extrême droite européenne dans des malversations imputables à des gourous multi-condamnés tels que Thierry Casasnovas ainsi que des proximités indéniables avec des organisations sectaires comme La Fraternité Blanche Universelle.

Imaginer que la prolifération des nouvelles dérives sectaires pourrait se pérenniser sans que la population ne soit exposée à un danger d’envergure est chimérique. Il n’y a qu’à se rendre à certaines soirées ésotériques pour recenser la présence de mineures mais également de réfugiées ukrainiennes. On fait croire à ces jeunes femmes que si elles divertissent correctement ces messieurs en acceptant de se livrer à des pratiques sexuelles dégradantes, elles obtiendront argent, célébrité, reconnaissance (…) somme toute une vie meilleure. Mais il n’y a pas de vie meilleure possible quand un statut d’âme céleste devient le point de départ de violences extrêmes. Il n’y a pas de vie possible quand on devient éligible à de telles ignominies. Mais comment on en arrive là me direz-vous ? Comment des jeunes femmes se retrouvent dans des Airbnb à consommer de la drogue tout en se faisant uriner dessus par d’autres âmes célestes ? Par un système bien rodé qui commence - quelques mois plus tôt - par de la désinformation en ligne. Tout simplement. La réceptivité à la parole du ( ou des ) rabatteur(s) fera le reste. Tout le monde est susceptible de plonger mais encore faut-il répondre aux critères de sélection, notamment raciaux. Toutefois, la désinformation comme la radicalisation est l’affaire de tous. La banalisation de l’extrémisme est l’affaire de tous. Refuser de voir l’ampleur d’un danger qui a fait ses preuves lors de la pandémie de Covid-19 revient â s’en rendre complice. C’est pourquoi je tiens à insister sur les accointances entre certains mouvements sectaires et la droite radicale dont la pérennité repose sur un soutien mutuel. Quand Thierry Casasnovas, à la fois poulain d’Alain Soral et influenceur agréé « Progressif Média » appartenant à Vincent Bolloré, nie l’existence du virus, invite ses abonnés à troquer la chimiothérapie pour du jus de légumes, c’est nous tous qui sommes concernés. Lorsque Thaïs d’Escufon (ndlr : influenceuse d’extrême-droite représentée par « Progressif Média » ) déblatère des propos misogynes sur sa chaîne YouTube, inculquant à nos frères, nos cousins, nos fils, une haine viscérale des femmes, c’est nous tous qui sommes concernés. Quand Mickaël Vendetta, entre deux saillies antisémites, fait la promotion de la Fraternité Blanche Universelle, mettant ainsi en relation extrémistes et disciples, c’est nous tous qui sommes concernés. Mesdames et Messieurs, je vous invite à y réfléchir posément et - comme l’a fait Brigitte Liso l’an dernier - à apporter des solutions concrètes. En attendant, veillez à maintenir vos enfants loin des écrans. »

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