Petit rendez-vous entre amis

 Palais de l'Élysée.

Nicolas Sarkozy, qui doit être incarcéré mardi 21 octobre à la prison parisienne de la Santé, à la suite de sa condamnation dans l’affaire du financement libyen de sa campagne présidentielle de 2007 a été reçu vendredi dernier par Emmanuel Macron à l’Elysée, et cette information a bien été confirmée par les services présidentiels.

Pour ma part je trouve l’information proprement ahurissante car elle traduit un abaissement incroyable de nos mœurs politiques. Le Président de la République actuel, et donc à ce titre garant de l’indépendance de l’autorité judiciaire" (art. 64 de la Constitution), reçoit un ancien Président condamné dans trois affaires (affaire Bygmalion, affaire libyenne, affaire des écoutes -Azibert-Bismuth- pour laquelle sa condamnation est définitive), et mis en examen dans plusieurs autres. SI les mots ont encore un sens Emmanuel Macron reçoit donc un délinquant juste avant son incarcération !

Déjà lors de sa condamnation de nombreuses personnalités, issues en général de sa famille politique, avaient publiquement exprimé leur soutien à Nicolas Sarkozy, voire avaient remis en cause l’institution judiciaire et le jugement. Ces prises de parole étaient désastreuses car elles témoignaient d’un esprit de caste, de défense de l’entre soi et d’une défiance vis-à-vis d’un des piliers d’une démocratie, c’est-à-dire le pouvoir judiciaire. Elles témoignaient aussi d’une forme de tolérance vis-à-vis de la délinquance en col blanc et de la tentation d’une justice à deux vitesses : forte avec les faibles et faible avec les forts. A une époque où leur image est catastrophique certains politiques semblaient vouloir encore l’aggraver.

Emmanuel Macron avait alors été assez discret, réaffirmant néanmoins, après les menaces proférées à l’encontre de la Présidente du Tribunal qui avait condamné Nicolas Sarkozy, son soutien à la Justice. Il disait alors « L’État de droit est le socle de notre démocratie. L’indépendance de l’autorité judiciaire, son impartialité comme la protection des magistrats qui la rendent, en sont les piliers essentiels. » Il était dans son rôle et cette forme de sobriété paraissait logique.

Mais le Président de la République, dans un sens de la provocation dont il semble se délecter, à rebours de ses déclarations précédentes et dans une incroyable désinvolture par rapport à cet Article 64, décide donc de rencontrer Nicolas Sarkozy quelques jours avant son départ pour la prison de la Santé. Il le fait en sachant certainement que l’information sera connue et donc en connaissance de cause. En effet c’est une chose tout à fait compréhensible de faire parvenir un message privé de soutien ou d
amitié à quelqu’un, c’est autre chose de recevoir à l’Élysée – ce qui rend quasi impossible la discrétion de la rencontre – le futur occupant illustre d’une cellule de la Santé. La publicité accordée à cette entrevue était quasiment certaine.

Le message nous semble terrible ; non seulement cela affaiblit l’institution judiciaire, car cela revient à considérer que la condamnation de Nicolas Sarkozy n’est pas grave ou sérieuse, mais cela affaiblit aussi la fonction présidentielle puisque le président s’affiche avec un délinquant. Dans un renversement vertigineux l’infraction à la loi commise par un ancien président de la République, la fonction présidentielle devant normalement constituer un critère aggravant de l’infraction et justifier une mise à l’écart de la scène publique, devient moins grave en raison justement de la fonction présidentielle et de son caractère quasi-sacré. En somme le Président, ancien ou actuel, serait bien au-dessus ou à côté des lois, et qu’il soit un délinquant devient accessoire, et permet de le recevoir comme un visiteur lambda. C’est ce message qui nous est envoyé, celui d’une inégalité devant la loi, renvoyant à l’hubris de l’actuel occupant de l’Élysée et à son interprétation de plus en plus personnelle de l’exercice du pouvoir sous la Vème République, dont finalement on pouvait déceler les prémisses dès 2018 au moment de l’affaire Benalla et de la phrase « « S’ils veulent un responsable, il est devant vous, qu’ils viennent le chercher ».

On conclura en disant qu’il ne fait pas de doute que les amis de Nicolas Sarkozy et les derniers laudateurs d’Emmanuel Macron se succèderont sur les plateaux télé ou les antennes radio pour nous expliquer que cet entretien ne faisait que témoigner du respect mutuel entre deux présidents et qu’il était donc tout à fait normal. Pour notre part on considérera surtout qu’il est un signe de plus d’une crise de la vie politique et de ceux qui en occupent les postions les plus éminentes
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