« Miniatures & Pointes sèches », la gravure vive du courage féminin

 Nathalie de Baudry d’Asson.
 
Par Yves-Alexandre Julien -
 Critique littéraire.

Avec son premier livre, Miniatures & Pointes sèches, Nathalie de Baudry d’Asson signe un hommage rare aux femmes réelles, souvent invisibles, toujours émouvantes. Entre parcelles de mémoire et lignes incisées comme au burin, elle compose une fresque intime de destins féminins. Ni manifeste, ni discours, mais une écriture tendue, ciselée, qui éclaire sans juger. Préfacé par Marc Lambron de l’Académie française, ce recueil s’impose dès sa parution aux éditions La Trace comme un événement de la rentrée littéraire 2025.

Un art de la miniature et de la gravure

Le titre dit déjà beaucoup : « miniatures » et « pointes sèches ». Miniatures, comme ces portraits délicats où un visage se concentre en quelques traits. Pointes sèches, comme l’outil de gravure qui incise le métal pour toujours. La métaphore est transparente : Nathalie de Baudry d’Asson dresse des portraits courts, mais définitifs. Quelques lignes parfois suffisent à faire surgir une vie entière.

Ces textes sont des éclats d’existence, « des fragments de conscience, des éclairs d’humanité », qui trouvent leur force dans la concision. Montaigne l’avait pressenti : « Chaque homme porte la forme entière de l’humaine condition. » Ici, chaque femme incarne à sa manière ce tout universel.

Comme en peinture ou en gravure, l’art réside dans l’essentiel, non dans le détail accumulé. Baudelaire l’écrivait dans son Salon de 1846 : « Le dessin de l’artiste doit être une ligne juste et définitive. » Nathalie de Baudry d’Asson adopte cette même justesse, refusant le bavardage narratif pour tracer au contraire des lignes qui demeurent.

Des femmes qui affrontent, sans poser

La galerie de portraits proposée n’a rien d’héroïque au sens rhétorique. Ce sont des femmes qui affrontent, parfois malgré elles. Noor, princesse soufie et résistante, parachutée en France pendant la guerre, meurt sous les coups sans avoir trahi. Jeanne, silencieuse, découvre que son enfant grandira sans père. Une autre femme, chaque soir, s’allonge devant la porte close de l’homme qu’elle aime.

Ces récits condensent la fragilité et la puissance, l’élan et l’abandon. Ils rappellent ce que Simone de Beauvoir affirmait dans Le Deuxième Sexe : « On ne naît pas femme, on le devient. » Ces femmes ne sont pas héroïques par choix, mais par nécessité. Elles deviennent elles-mêmes dans la douleur, dans l’obstination, dans le refus de céder.

Marguerite Yourcenar, dans ses Mémoires d’Hadrien, donnait cette leçon : « Chaque vie est une tentative d’arrachement. » Les femmes de Nathalie de Baudry d’Asson ne posent pas, elles s’arrachent à la fatalité. C’est là que réside leur grandeur, dans ce combat muet contre l’effacement.

Une écriture de l’attention

Le recueil n’est pas un pamphlet féministe. Il ne cherche pas à démontrer, mais à faire entendre. « Nathalie de Baudry d’Asson ne juge pas, elle éclaire », souligne Marc Lambron. Son écriture, tendue mais ouverte, laisse place au silence, à l’implicite, à ce qui échappe au langage.

À rebours de l’autofiction nombriliste, l’autrice choisit le geste de l’hommage. Elle recueille, elle transmet. Ce choix la rapproche de Virginia Woolf, qui écrivait dans Une chambre à soi : « Pour la plupart des histoires de femmes, nous devons imaginer ce qui n’est pas écrit. » Ici, précisément, Nathalie de Baudry d’Asson imagine en donnant voix à celles qui n’ont pas laissé de traces.

L’attention qu’elle porte au moindre détail rejoint la démarche d’Annie Ernaux, lorsqu’elle revendique dans Les Années de « sauver quelque chose du temps où l’on ne sera plus jamais ». Ces portraits gravés sont une sauvegarde, une mémoire offerte.

Un féminisme tempéré et universel

Le livre refuse le piège de l’opposition binaire. « Pas tant la haine des hommes », insiste-t-on. Ce féminisme-là n’exclut pas, il élève l’humanité tout entière. Les femmes racontées n’incarnent pas une revanche, mais une liberté. Leur courage est une invitation adressée aussi aux hommes : entendre, vraiment.

George Sand, que Baudry d’Asson semble rejoindre, écrivait : « L’homme et la femme ne sont pas deux espèces ennemies. » Cette vision d’un féminisme inclusif, vigilant mais non vindicatif, nourrit le recueil. C’est un féminisme de la mémoire et de la transmission, qui se méfie autant de l’oubli que de l’idéologie.

Camus, dans L’Homme révolté, rappelait que la vraie révolte est celle qui refuse l’injustice tout en cherchant la mesure. C’est bien de cela qu’il s’agit ici : une révolte douce, mais ferme, qui refuse d’effacer les femmes sans pour autant condamner les hommes.

Une trajectoire au carrefour des mondes

L’autrice n’émerge pas dans le vide. Issue d’une famille de littéraires et d’artistes, elle a dirigé la Revue des Deux Mondes, ainsi que plusieurs grandes maisons d’édition. Elle a fondé Le Lien Public, espace de dialogue entre politiques, universitaires et entrepreneurs. Son parcours intellectuel, éditorial et politique l’a placée au cœur des débats contemporains.

Ce premier livre n’est donc pas une rupture, mais un prolongement intime. Il est nourri de ce qu’elle a vu, entendu, traversé. À travers lui, elle « tire le signal d’alarme, rend hommage, encourage, relie ».

Dans sa préface, Marc Lambron parle d’une « capacité projective remarquable ». Cette formule dit tout : Nathalie de Baudry d’Asson sait non seulement raconter, mais épouser l’expérience des autres, en faire sentir le poids, la respiration, la vibration.

Une œuvre discrète mais essentielle

La rentrée littéraire 2025 verra paraître des centaines de romans. Beaucoup hausseront la voix. Miniatures & Pointes sèches choisit l’inverse : la discrétion, la densité, la nuance. Dans un monde saturé de bruits et d’opinions, ce recueil propose une autre voie : écouter, se souvenir, accueillir.

Paul Valéry écrivait : « Ce qui est simple est toujours faux. Ce qui ne l’est pas est inutilisable. » L’équilibre rare de ce livre tient à ce paradoxe : dire l’essentiel en peu de mots, sans tomber dans la simplification. En cela, l’ouvrage se distingue comme une œuvre de résistance au bavardage contemporain.

La flamme des guerrières inconnues

Certains lecteurs voient dans Miniatures et Pointes sèches une entreprise comparable à l’hommage rendu au Soldat inconnu : « Nathalie de Baudry d’Asson a allumé la flamme des guerrières inconnues. » L’image souligne que ce recueil rend hommage aux femmes ordinaires, souvent effacées de l’Histoire, mais dont les vies disent l’essentiel.

« C’est une écriture sans fioriture, concentrée, parfois elliptique », observe-t-on encore. Cette sobriété rejoint ce que Roland Barthes appelait une « écriture blanche », où le silence fait partie du sens. Le livre apparaît alors comme un « hymne à la liberté », un geste de gratitude qui met à nu la « substantifique moelle » de l’éternel féminin

Dans un contexte où la question des droits des femmes demeure brûlante, ce regard insiste sur un féminisme « vigilant mais tempéré », entre mémoire des aînées et transmission aux jeunes générations. Comme l’écrivait Amélie Nothomb dans Biographie de la faim : « La liberté, c’est de pouvoir choisir celui qui vous asservira. » Les héroïnes de Nathalie de Baudry d’Asson, elles, transforment cet asservissement en résistance, parfois en création, toujours en affirmation de soi.

Des étincelles de liberté

À la fin, il ne reste pas des slogans, mais des vies. Ces femmes, qu’elles aient choisi ou subi leur destin, tracent toutes une réponse singulière à l’imprévisible. Entre rires et larmes, elles invitent chacun, chacune, à « vivre au vrai, à plein », comme l’écrit l’autrice.

Ainsi Miniatures & Pointes sèches se lit comme une mosaïque fragile et tenace. Une gravure fine, incisée dans la mémoire. Un hommage qui n’appartient pas seulement aux femmes, mais à l’humanité tout entière.

Laissez-nous un commentaire

Plus récente Plus ancienne