■ Siège social de Nestlé à Vevey, en Suisse.
C’est une nouvelle qui a fait les titres des journaux économiques ou des rubriques éponymes des quotidiens généralistes : la révocation au 1 septembre avec effet immédiat de Laurent Freixe, le Directeur Général de Nestlé et son remplacement par Philipp Navratil.
L’information est de taille car Nestlé est l’un des géants mondiaux de l’agro-alimentaire avec plus de 90 milliards de francs suisses de chiffre d’affaires et il s’agit d’une des marques les plus connues au monde. Rappelons que Nespresso, Contrex, Perrier, Friskies ou encore Nescafé font partie du portefeuille de produits de l’entreprise.
La dimension brutale du départ de Laurent Freixe a interpellé d’autant plus qu’il avait été nommé seulement en septembre 2024. La raison invoquée dans le communiqué de presse de Nestlé est la violation du code de conduite de l’entreprise (« …which breached Nestlé's Code of Business Conduct ») et en l’occurrence la non-divulgation d’une relation sentimentale avec une subordonnée directe (« The departure of Laurent Freixe follows an investigation into an undisclosed romantic relationship with a direct subordinate »).
Le motif de cette révocation a provoqué de nombreuses réactions, certains s’étonnant notamment qu’une relation (apparemment) consentie entre adultes puisse faire l’objet d’une sanction. En l’occurrence le problème n’est pas celui de la relation mais de sa non-divulgation et pour cela il faut se référer au fameux Code de Conduite de l’entreprise de Vevey intitulé exactement « Code de conduite des affaires de Nestlé ». On peut y lire page 22 à la section « Nous évitons et divulguons les conflits d’intérêts » la phrase suivante : « Les relations de reporting direct entre les membres de la famille, les partenaires et les proches associés ne sont pas autorisées. Les lignes de reporting indirectes doivent être déclarées et évaluées au cas par cas ». Après enquête Laurent Freixe a contrevenu à cette disposition. Il est sanctionné. Fin de l’histoire.
Mais cette question du renvoi de Laurent Freixe n’est pas à mon sens la plus intéressante ; en effet la lecture du Code de Conduite réserve des informations très utiles et qui doivent pour le moins nous interpeller. Il faut tout d’abord rappeler que ce code s’impose à toute la communauté humaine de Nestlé (« Le respect du Code est obligatoire pour tous les employés de Nestlé, y compris notre conseil exécutif, nos dirigeants seniors, nos responsables, nos employés et ceux qui sont des travailleurs temporaires d’agence. Cela s’applique également à notre conseil d’administration et à tous les employés des filiales du groupe Nestlé ».).
Il rappelle des banalités – Nestlé s’engage à respecter la loi -, définit un cadre d’expression sûr pour les salariés ou encore revient sur les sujets de corruption et d’intégrité commerciale.
Pour notre part c’est le chapitre 2 intitulé « Nos Consommateurs » qui a retenu toute mon attention. Nestlé y affirme des principes forts autour de la sécurité de ses produits (« Notre engagement envers l’excellence en matière de sécurité et de qualité des produits traverse tous les coins de notre entreprise: de la conception et de la fabrication à la livraison des produits, jusqu’à l’expérience du consommateur et même au service après-vente. Nous promouvons et encourageons une culture forte de la sécurité et de la qualité des produits partout où nous faisons des affaires. »), de sa communication et de sa transparence (« Commercialiser et étiqueter les produits Nestlé de manière honnête et transparente, en fournissant des informations précises », ou encore « Nous nous engageons à des communications marketing responsables et fiables pour permettre à nos consommateurs de faire des choix éclairés »).
Et là on est saisi d’un léger doute, voire d’un gros doute…notamment quand on pense à l’affaire des eaux contaminées. Concrètement depuis plusieurs années Nestlé à travers sa filiale Nestlé Waters a purifié illégalement de l’eau contaminée y compris dans certains cas avec des matières fécales (marques perrier, Contrex, Hépar). Cela a été confirmé notamment par le rapport du sénateur Alexandre Ouizille qui montre par ailleurs que le top management de Nestlé était au courant, et qu’il a même essayé de contourner la loi en sollicitant directement l’Elysée. D’ailleurs le 9 avril devant la commission d’enquête sénatoriale, si Laurent Freixe, lui-même, n’avait pas répondu en détail sur les pollutions et risques viraux rencontrés dans ses usines, se contentant de répéter que « les objectifs de Nestlé sont de préserver la sécurité sanitaire » il avait reconnu l’utilisation de traitements interdits !
Nestlé n’a donc pas respecté les process de sécurité alimentaire, n’a pas informé ses clients des problèmes, et les a trompés en vendant de l’eau minérale qui en fait était traitée. On se dit ici que le Code de Conduite était manifestement dans un tiroir ou effacé des ordinateurs.
Et que s’est-il passé ? Rien. Au moment de la divulgation des faits Laurent Freixe a-t-il été révoqué ? Non. Au moment de la divulgation des faits Muriel Lienau la Présidente de Nestlé France et désormais directrice de « Nestlé Waters et Beverages » a-t-elle été sanctionnée ? Non. Pourtant le Code stipule bien : « Le non-respect du Code, des Principes de l’entreprise ou de la politique de l’entreprise peut entraîner des mesures disciplinaires, y compris la possibilité de licenciement. »
Il apparaît ici un très désagréable deux poids deux mesures quand au respect des règles et de notre fameux Code de Conduite ; quand il s’agit de continuer à « faire du business » et engranger des profits au mépris des consommateurs, manifestement cela ne pose pas de problème et personne n’aura à rendre des comptes. Entre le profit et la bonne conduite cette dernière ne fait pas le poids. En revanche on se donnera bonne conscience à peu de frais en cas de manquement d’ordre personnel comme celui ayant trait au motif du départ de Laurent Freixe.
Ce cynisme assumé puisqu’il suffit de lire les documents publics de l’entreprise pour s’en rendre compte, participe à son échelle de la fragilisation globale de nos sociétés. Puisque le respect des règles, surtout pour les plus puissants, est finalement optionnel, puisque seul compte l’argent, c’est bien ce modèle qui devient la référence pour l’ensemble de la société, avec les conséquences délétères qu’on peut imaginer.
PS. les opinions, analyses et avis exprimés ici le sont à titre personnel uniquement.
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