Les chroniques de l’Empire : L’Impératrice Marie-Louise d’Autriche

 « C’était une bonne petite femme timide qui avait toujours peur en se voyant au milieu des Français qui avait assassiné sa tante. » (Napoléon Bonaparte)

Par Werner Legrand-Montigny - Chroniqueur du Contemporain.

Nous sommes le 12 décembre 1791 à Vienne, à la Cour d’Autriche. Au sein du magnifique Palais de la Hofburg, naît Marie-Louise, Léopoldine, Caroline, Françoise, Thérèse, Josèphe, Lucie, de Habsbourg-Lorraine, archiduchesse d’Autriche, princesse de Hongrie et de Bohême. Celle qui deviendra l’une de nos impératrices, y est élevée dans la haine de la France et de « ces maudits Français ». On lui inculque une impitoyable exécration envers Napoléon, savamment entretenue par l’entourage de ses parents, l’archiduc François de Habsbourg-Lorraine et Marie-Thérèse de Bourbon-Naples.

 La famille impériale peinte par Josef Kreutzinger en 1808.
Marie-Louise est la jeune fille assise à droite.

Quels sont les ressorts, les évènements politiques qui ont amené cette archiduchesse d’Autriche à devenir une impératrice française ? Femme de son époque et contrainte malgré elle à obtempérer à la raison d’état, voyons quelques-uns des moments qui ont jalonné une partie de son existence.

Marie-Louise est dépeinte comme « une enfant rose, rieuse, docile, extrêmement sensible ». Elevée et formée par plusieurs gouvernantes, elle n’en demeure pas moins très affectueuse avec ses parents et particulièrement envers son père. Celui-ci, malmené par les victoires de l’armée du général Bonaparte, dut signer en octobre 1797, le traité de Campoformio, et en février 1801, celui de Lunéville. Les cessions territoriales sont colossales : la Belgique, le Milanais.

Marie-Louise et son frère Ferdinand, pour venger les déboires de leur père, jouent à refaire les batailles perdues avec des soldats de bois. Les troupes autrichiennes en sortent, bien entendu, triomphantes. Le châtiment réservé à la figurine du général Bonaparte consiste à être lardée de coups d’épingles puis à être jetée au feu.

Cela dit, maints combats et batailles perdus sont en réalité, un cortège de catastrophes et d’humiliations pour les Habsbourg, qui voient les armées françaises se rapprocher inexorablement de Vienne. Les bruits de canons sont perceptibles dans le lointain, aussi bien au palais de la Hofburg, qu’au château de Schönbrunn. Malgré différentes manœuvres de troupes, l’empereur François ne parvient pas à reprendre le dessus.

En novembre 1805, la famille impériale fuit vers la Hongrie, ayant rapidement quitté Vienne, où l’Empereur Napoléon fait son entrée quelques jours plus tard.

Au cours de cette évacuation, Marie-Louise maudit cet « antéchrist » qui la chasse avec les siens, hors de son palais. Elle loge en de vilaines auberges, infestées de punaises qu’elle rebaptise des « Napoléons ».

Puis, le 2 décembre 1805, l’Empereur et son armée remportent la célèbre bataille d’Austerlitz. Elle marque un tournant définitif dans l’histoire des deux empires et de ses protagonistes. L’existence de Marie-Louise en sera bientôt bouleversée d’ici quelques années, mais pour l’heure, elle ne se doute encore de rien.

L’Autriche paie un lourd tribut au traité de Presbourg, l’empereur François donne la Vénétie, l’Istrie et la Dalmatie. François quitte son titre d’empereur romain, obligé par Napoléon de prendre le titre d’empereur héréditaire d’Autriche. De François II, il se voit dévaluer à François Ier, cas semble-t-il unique dans l’Histoire. Marie-Louise a regagné Vienne où elle retrouve les siens et ses habitudes de jeune fille à la Cour impériale.

Courant d’année 1806, nouveau revers. C’est le tsar de Russie qui est battu par Napoléon, et va s’allier avec son vainqueur. Marie-Louise en est horrifiée et dans son esprit, le « corsicain » ne lui inspire que dégoût et crainte.

Toutefois, la paix est faite ! Mais elle n’est que de courte durée. En 1808, Napoléon veut s’emparer du trône espagnol. C’est le temps d’une nouvelle coalition avec l’Angleterre et l’Autriche, qui ne l’entendent pas ainsi et veulent en découdre avec cette France conquérante. C’est aussi une occasion de laver les honneurs ternis, de purger les rancunes passées. L’empereur François estime avoir les meilleurs atouts de son côté. Mais de nouveau et au grand dam de Marie-Louise, les armées coalisées sont bousculées, désorganisées puis aux abois. Comme en 1805, elle doit fuir la capitale viennoise pour la Hongrie. L’archiduchesse en pleure de rage !

Les 5 et 6 juillet 1809, après la bataille de Wagram, Bonaparte occupe Vienne derechef. Par le traité de Schönbrunn cette fois, Napoléon impose de fortes et rigoureuses conditions de paix. Outre les cessions territoriales, l’Autriche se voit taxée à hauteur de 75 millions à titre d’indemnité.

Il convient de rapporter un fait qui a failli coûter la vie à l’Empereur. Lors d’une parade militaire à Schönbrunn, un étudiant saxon, Frédéric Staps, tente de le poignarder. Il semble que cet épisode lui laisse une impression profonde, lui faisant brutalement prendre conscience de sa mortalité. Une certitude lui apparait à l’esprit, il lui faut assurer sa dynastie, il lui faut une alliance servant ses intérêts. A l’instar des grands et glorieux monarques qui l’ont précédé, il doit perpétuer et transmettre. Le 16 décembre 1809, Napoléon divorce de Joséphine et songe déjà à celle qui la remplacera utilement.

Il hésite un instant avec la sœur du tsar, mais le projet est vite écarté par les manœuvres de Metternich, très habile ministre des Affaires étrangères de l’empereur François. La menace d’un mariage avec une princesse russe est finalement écartée.

Suite à divers calculs et usant de diplomatie envers l’Empereur, Metternich arrive à un projet de mariage avec l’archiduchesse Marie-Louise, ce qui ne déplait pas à Bonaparte. Metternich et l’empereur François devinent et soupèsent tous les intérêts qu’il y aurait à cet hyménée. Marie-Louise, beaucoup moins.

Elle est horrifiée quand elle apprend le projet. Toutefois, elle se résigne, n’ayant pas vraiment le choix, et se sacrifie dans l’espoir que la paix et la prospérité reviennent en Autriche.

Conformément à la tradition monarchique, c’est complètement, et bien littéralement nue, qu’elle passe de l’Autriche à la France, pour y recevoir les premiers effets qui lui conservent sa dignité. Tel était le souhait de l’Empereur, qui respecta minutieusement la tradition sur ce point. Le mariage civil fut célébré le 1er avril 1810 à Saint-Cloud et le mariage religieux le lendemain au palais du Louvre. Par ce mariage, Bonaparte entre dans « la famille des rois ». Il est ravi de cette union et peut évoquer le souvenir de « son malheureux oncle » Louis XVI.

Marie-Louise écrit à son père : « Depuis mon arrivée, je suis perpétuellement avec lui et il m’aime extrêmement. Je lui suis aussi très reconnaissante et je réponds sincèrement à son amour. Je trouve qu’il gagne beaucoup quand on le connaît de plus près ; il a quelque chose de très prenant et de très empressé auquel il est impossible de résister. » Si l’Impératrice se fit au début un devoir d’aimer son époux, elle finit cependant par l’aimer sincèrement. L’Empereur se montre délicat et attentionné, elle n’y est pas insensible.

Aussi, « Marie-Louise est fraîche, douce et, ce qui ne gâche rien, se révèle dans l’intimité une épouse complaisante, voire ardente ». A ces jeux de l’amour, couronnés de succès, arrive la naissance le 20 mars 1811 d’un superbe poupon, le roi de Rome. Il fait la joie et la fierté de ses parents.

 La famille impériale au jardin des Tuileries.

Tout semble aller bien, dans le meilleur des mondes, mais seulement pour un temps. Les années qui suivent cet état de félicité ne se répètent pas. A compter de 1812, l’armée est quasiment anéantie par la campagne de Russie, l’empire est ébranlé, et l’Empereur octroie la régence à Marie-Louise en 1813. Elle tente l’apaisement avec son père qui s’échauffe avec les Alliés coalisés, au regard de son époux, mais rien n’y fait.

Les relations entre la France et l’Autriche s’étiolent, se fissurent au fur et à mesure des revers et de la situation politique. Aussi, la condition intérieure du pays n’est guère plus reluisante. Mêmes les batailles gagnées ne changeront plus rien à présent. Suite à sa défaite en Allemagne, à l’automne 1813, Napoléon passe quelques temps en France auprès de l’Impératrice et de leur fils.

Marie-Louise et Napoléon se quittent le 25 janvier 1814, il se doit d’être auprès de son armée pour la campagne de France. L’Empereur donne à nouveau la régence à l’Impératrice. C’est l’ultime moment où la famille est réunie pour la dernière fois, jamais plus Bonaparte ne reverra son fils et son épouse.

A quelques temps de là, Marie-Louise est alarmée par l’attitude des habitants de Paris, eux-mêmes paniqués par l’arrivée des Alliés, qui sont aux portes de la ville fin mars 1814. Elle craint le même destin que sa malheureuse tante, Marie-Antoinette.

L’étau se resserre et le 6 avril 1814 à Fontainebleau, Bonaparte abdique, mais l’Impératrice veut suivre son époux dans son exil sur l’île d’Elbe.

Pour faire diversion à ce projet, l’empereur François feint quelques soucis de santé et sa fille le rejoint en son palais autrichien. Elle souhaite pourtant rejoindre son mari, mais son père ne l’entend pas ainsi. Ayant retrouvé ses forces après cette terrible période, Marie-Louise revient en France, faire une cure thermale à Aix-les-Bains. Mais sans son fils, qui est quasiment devenu l’otage de son grand-père, ce dernier est donc assuré qu’elle reviendra.

Le comte Adam Albert de Neipperg, brillant officier et homme de confiance de l’empereur François, est désigné pour la surveiller. L’Impératrice voyage alors en compagnie de cet homme. Elle apprend, en quittant Aix-les-Bains, que son mari a reçu Marie Walewska à l’île d’Elbe, et en est profondément meurtrie.

Voilà qui enlève les scrupules de l’Impératrice. En effet, Neipperg lui fait une cour assidue. Bien que borgne et dissimulant son orbite sous un bandeau noir, il n’en reste pas moins bel homme. Marie-Louise cède et devient sa maîtresse, s’en trouvant parfaitement comblée.

 Adam Albert de Neipperg (1775-1829)

■ L’Impératrice Marie-Louise d’Autriche (1791-1847)

Après les « Cents-jours » et la défaite de Waterloo, le Congrès de Vienne lui octroie le titre de duchesse de Parme. En 1816, elle gagne son duché avec Neipperg, mais son fils devenu duc de Reichstadt reste à Vienne avec son grand-père.

De cette liaison naissent trois enfants. Peu après le décès de l’Empereur à Sainte-Hélène, elle épouse Neipperg et continue de mener une existence paisible, jusqu’au décès de ce dernier.

Enfin, qu’en est-il de la suite de son existence ? Qu’en est-il de ses relations avec son père et surtout avec son fils ? Comment ses contemporains l’ont accueilli ou jugé les actions de l’Impératrice ?

Il y aurait encore bien des choses à écrire. Mais ceci est une autre histoire.

Références de l’auteur
  • L’impératrice Marie-Louise, de René de La Croix de Castries, Président de l’Institut de France, historien et membre de l’Académie Française.
  • Dictionnaire Napoléon, de Jean Tulard, universitaire et historien, membre de l’Institut de France.
  • Napoléon, de Jean Tulard, universitaire et historien, membre de l’Institut de France.
  • Napoléon, de Thierry Lentz, universitaire et historien, directeur de la fondation Napoléon.
  • Napoléon. La certitude et l’ambition, de Charles-Eloi Vial, docteur en histoire, conservateur à la Bibliothèque Nationale de France.

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