Frédéric II au pays des soviets : une visite chez Soljenitsyne

 Alexandre Soljenitsyne.
 
Par Jean-Baptiste Collomb - Ancien chargé d’enseignement des Facultés de Droit d’Aix-Marseille Université, ancien collaborateur parlementaire. Il est aujourd’hui spécialisé en assurances construction.

« Nous savons qu’ils mentent. Ils savent qu’ils mentent. Ils savent que nous savons qu’ils mentent. Nous savons qu’ils savent que nous savons qu’ils mentent. Et pourtant, ils persistent à mentir. ». Cet aphorisme d’Alexandre Soljenitsyne illustre, dans les profondeurs du désespoir totalitaire, la forme la plus aboutie du fanatisme de la raison et fait, ainsi, écho à cet échange entre Frédéric II et Voltaire au sujet du fanatisme de la raison.

Ce fanatisme qui prit, fut un temps, la forme d’un « Culte de la Raison » voulut conduire l’humanité soit vers une utopie d’ordre « politique », soit tout simplement vers le « bonheur » qui selon Saint-Just était « une idée neuve en Europe ». On se remémorera sans peine mais avec effroi toutes les expériences totalitaires, fondées sur une « raison triomphante » devant conduire à une forme d’âge d’or retrouvé.

Ces « Morales de l’Histoire » comme les appelle Todorov et dont Soljenitsyne décrivit la mécanique froide, implacable, dans les trois tomes de « L’Archipel du Goulag » ne sont-elles pas la première phase de ce qu’a anticipé Orwell dans 1984 comme ce que redoutaient Aldous Huxley dans « Le meilleur des mondes » et Georges Bernanos dans « La France contre les robots » ?

En somme, nous sommes confrontés aujourd’hui à la problématique suivante : pouvons-nous considérer comme acceptable dans nos civilisations de légitimer un système de surveillance généralisé au nom du « Bien », lui-même défini par « La raison » ?

La prophétie orwellienne se serait-elle accomplie ? Serions tous « branchés sur la matrice » et dépendants de la matrice, à l’image de Winston qui termina sa vie dépendant de Big Brother après avoir renié son grand amour ?

Si céder à la panique ou à la paranoïa n’est pas une solution et constitue sans nul doute une erreur, il n’est pas possible d’ignorer les révélations d’Edward Snowden. Il n’est pas non plus possible d’ignorer les procès et réclamations déclenchés contre Clearview AI et pour qui nous retrouvons des condamnations tout à fait récentes ou des procès en cours aujourd’hui pour violation de nombreux droits et libertés fondamentaux, notamment la protection de la vie privée.

Pouvons-nous parler de dignité humaine si la vie privée n’existe plus et que les reconnaissances faciale, digitale, biométrique sont à portée de clic ? Que penser de « Telepathy », la puce mise au point par NeuraLink, start-up propriété d’Elon Musk, qui dut admettre un échec cuisant après sa première implantation dans un cerveau humain, ainsi que le retracent « Les Echos » dans un article du 9 mai 2024 ?

Face à ces dangers, bien réels, pour nos sociétés de liberté, pour nos civilisations, nous devons nous rappeler que « La servitude volontaire » comme toute l’œuvre d’Alexandre Soljenitsyne sont un appel éternel à une obligation, à un devoir de liberté qui est un combat de tous les jours. Souvenons-nous de Thucydide : « Citoyens, il faut choisir : se reposer...Ou être libre ! ».

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