La Russie en Afrique

 Photo de groupe avec les chefs des délégations participant au deuxième sommet Russie-Afrique, le 28 juillet au Centre de congrès et d’exposition ExpoForum de Saint-Pétersbourg. (©Kirill Kazachkov).


Pourquoi la Russie est-elle revenue sur le continent africain, et surtout dans les pays francophones ? Prospective de l’influence russe et de l’influence française en Afrique.

Dans cet article, je vous partage les grandes lignes d’une récente conférence sur l’influence de la Russie en Afrique, que j’ai présentée au « Groupement Europe de l’Est » de l’École Supérieure de Commerce de Paris (ESCP).

J’entends beaucoup d’Africains affirmer que : « L’Afrique n’est plus seulement un terrain d’influence, mais un acteur qui choisit. » : je trouve que c’est une vision un peu rose de la réalité, que j’entends démystifier…

Dans ce qui suit, la plupart de mes exemples viendront des pays du Sahel, car parler des 50 Etats de l’Afrique serait trop long !

Un retour qui s’inscrit dans l’histoire

La Russie en Afrique, ce n’est pas nouveau.

Dès les années 1920, Lénine, persuadé que les pays capitalistes ne tenaient que par leurs colonies, lançait une formation des militants communistes locaux pour pousser aux indépendances.

En 1920, il y eut notamment une réunion à Paris à laquelle participait le jeune Ho Chi Minh, futur maître d’œuvre des guerres du Vietnam.

En 1960, l’URSS a soutenu les indépendances africaines. Elle formait des cadres à Moscou et à Kiev, envoyait des armes et se présentait comme championne de l’anti-impérialisme.

Certains de ces cadres sont encore influents aujourd’hui : en Afrique il n’y a pas de retraites des responsables, comme l’illustre la réélection du président camerounais qui a largement dépassé les 90 ans !

Mais après l’effondrement soviétique en 1991, la Russie s’est pratiquement retirée du continent.

C’est sous Vladimir Poutine, dans les années 2000, que la Russie revient en Afrique.

Pourquoi ? Pour rompre l’isolement diplomatique, pour chercher des ressources naturelles, pour vendre des armes et, surtout, pour concurrencer l’Occident.

Pourquoi l’Afrique francophone ?

Parce que la France, acteur historique, y traverse une crise d’image bien entretenue par les services russes qui ont notamment payé des manifestants affichant : « à bas la France, vive la Russie ».

Un consortium de journaux internationaux, dont Le Monde fait partie, en ont maintenant rassemblé des témoignages sur cet « achat » de manifestants.

Il est souvent dit que les interventions militaires françaises au Sahel ou en Centrafrique ont alimenté un rejet populaire.

À mon avis, c’est faux : les populations locales étaient plutôt reconnaissantes, mais les responsables politiques se sont sentis froissés par des remarques (souvent justifiées) sur leur gouvernance qu’ils ont jugé « condescendantes » voire « néo coloniales ».

Par ailleurs, les jeunes urbains, très actifs sur les réseaux sociaux, veulent tourner la page de la « Françafrique ». Ce n’est pas toujours spontané…

La Russie arrive avec un discours séduisant : « Nous respectons votre souveraineté », « Nous ne faisons pas de leçons de démocratie », « Nous sommes là pour vous défendre ».

Et elle dispose de plusieurs atouts :

  • la fourniture d’armes
  • les sociétés militaires privées, comme Wagner, qui assurent la survie de régimes fragiles ;
  • l’envoi de blé, parfois gratuitement, pour se présenter comme un partenaire indispensable. Mais ses capacités sont limitées par la guerre en Ukraine et les sanctions.
  • les campagnes de propagande sur les réseaux sociaux, qui opposent une Russie protectrice à une France prédatrice 
Les intérêts russes et la réaction des populations

Mais on voit rapidement que ce qui intéresse en fait Moscou, c’est l’accès aux ressources naturelles : or, uranium, diamants, encore plus indispensables depuis les sanctions occidentales.

C’est également le vote des Africains à l’ONU. Une partie d’entre eux se sont ainsi abstenus, au lieu de condamner l’agression russe en Ukraine.

Mais, le temps passant, l’opinion publique constate les exactions des paramilitaires russes contre les civils et la dépendance totale des régimes envers Moscou. Et surtout l’incapacité à vaincre les groupes jihadistes : les Russes ont subi plusieurs défaites au Mali, qui voit maintenant sa capitale être privée d’approvisionnement en carburant venant de Côte d’Ivoire. Carburant non seulement nécessaire pour les véhicules, mais aussi pour les groupe électrogènes très répandus du fait que l’insuffisance du réseau électrique.

RFI regorge de témoignages d’opposants de l’intérieur, et surtout de réfugiés, arrivant notamment en Mauritanie. Idem pour France 24, le Wall Street Journal…

Les influences russes et françaises sont de nature différente

Qu’est-ce que l’influence ? Ce ne sont pas seulement des soldats ou des contrats miniers. C’est aussi la culture, l’éducation et la capacité à créer un récit mobilisateur.

Comparons.

La Russie

Ses atouts : elle flatte la souveraineté, sa propagande est efficace.

Ses faiblesses : une économie fragile, peu de soucis et encore moins de moyens pour l’éducation ou la santé, une dépendance au militaire, et une image ternie par l’Ukraine et Wagner. Et il faut la payer en or et en droits miniers.

Un jour ou l’autre elle sera ressentie comme un occupant peu efficace.

La France

Ses atouts : la francophonie, les universités, la coopération scientifique, les investissements privés.

Ses faiblesses : l’héritage colonial (qui soutient pourtant largement la comparaison avec les régimes actuels), la perception d’ingérence, les interventions militaires impopulaires au sommet, et une difficulté à parler aux jeunes générations africaines. Et le fait qu’une partie des idéologues français soit très critique sur le passé de la France en Afrique sert de justificatif aux auteurs de discours ou de programmes scolaires.

Il est en particulier jugé indécent de parler « la face positive de la période coloniale » que sont la suppression de l’esclavage interne et arabe et la paix civile qui contraste avec la situation dans de nombreux pays aujourd’hui.

En résumé : l’influence russe me paraît fragile à terme, la France a une influence structurelle mais en perte de légitimité.

Trois scénarios pour demain

1. La domination russe

Dans certains pays, la Russie devient l’acteur sécuritaire central : au Mali, en Centrafrique, au Burkina Faso et peut-être au Niger.

Elle va peu à peu se heurter à l’hostilité des populations, les régimes deviendront de plus en plus répressifs. Mais ça n’empêche pas de se maintenir longtemps, comme on peut le vérifier dans de nombreux pays du monde.

2. La rééquilibration multipolaire

La France, maintenant sans bases militaires dans ces pays, mise sur l’éducation et l’économie.

La Russie reste présente mais son influence est limitée par celles de la Chine, la Turquie et les pays du Golfe.

3. Le reflux russe

Si la guerre en Ukraine épuise Moscou, et si les opinions publiques arrivent à s’exprimer, les Russes seront obligés de partir.

En conclusion

La Russie a su exploiter l’humiliation des dirigeants des pays africains, exaspérés par les reproches français de mauvaise gouvernance et d’impuissance militaire : « nous ne pouvons vaincre définitivement les djihadistes, disait militaires français, que si vous êtes capables d’administrer les régions que nous reprenons : école, police, justice et sécurité.

Ces reproches étaient probablement justifiés mais cela a été ressenti comme condescendant. Le tout dans un contexte international de ressentiment anti-occidental.

Mais l’influence russe repose sur des bases fragiles : le militaire, la propagande, les ressources.

La France, malgré ses faiblesses, garde des atouts durables, notamment dans le domaine éducatif et culturel. Et par les diasporas si nous y sommes attentifs. Le Carrefour des Acteurs Sociaux, dont je fais partie, fait ce qu’il peut dans ce domaine.

L’avenir dépendra des Africains eux-mêmes, car la compétition entre la France et la Russie en Afrique n’est pas seulement une question de présence militaire ou de contrats. C’est beaucoup qualitatif et dépendra j’espère davantage de la population que d’une poignée de militaires qui s’intéressent au pouvoir pour lui-même et non au développement du pays.

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