Interdire une philharmonie, et demain ?

 Des individus ont perturbé le concert du 7 novembre 2025 de l’Orchestre philharmonique d’Israël à la Philharmonie à Paris. (CPTURE D'ECRAN TWITTER).
 
Par Jean-Baptiste Collomb - Ancien chargé d’enseignement des Facultés de Droit d’Aix-Marseille Université, ancien collaborateur parlementaire. Il est aujourd’hui spécialisé en assurances construction.

Philharmonie : se dit d’un individu ou d’un groupe d’individus aimant l’harmonie, la musique.

Étymologiquement, Harmonie est la fille d’Arès et d’Aphrodite, mise en scène en 1673 par Lully sous le nom d’Hermione dans la tragédie lyrique Cadmus et Hermione, inspiré des Métamorphoses d’Ovide. Plus profondément, le concept pythagoricien d’harmonie des sphères postule que l’univers est régi par des rapports mathématiques harmonieux, les distances planétaires s’évaluant en intervalles musicaux.

À la lumière de ces définitions, se dresser contre une « philharmonie » paraît improbable. Pourtant, le 6 novembre 2025, à 20h00, la Philharmonie de Paris accueillait l’Orchestre Philharmonique d’Israël, dirigé par Lahav Shani, avec au programme le Concerto pour piano n°5 « Empereur » de Beethoven et la Symphonie n°5 de Tchaïkovsky.

Cette programmation provoqua de vives réactions. La CGT Spectacle exigea, dans un communiqué du 30 octobre 2025, une « contextualisation » préalable sur « la teneur des crimes commis à Gaza ». Une lettre ouverte publiée le 14 octobre 2025 dans Mediapart appelait à l’annulation pure et simple. Le soir même, le concert fut gravement perturbé : des spectateurs se sont interposés, des affrontements ont eu lieu. Les fauteurs de troubles furent évacués ; le concert, interrompu, reprit et s’acheva dans le calme. Quatre militants pro-palestiniens, dont un fiché S, ont été mis en examen selon le Parquet de Paris et le ministre de l’Intérieur, M. Nunez.

Cet incident interroge notre rapport à l’art et à l’altérité. Le concert fut ciblé en raison de la nationalité et de l’origine des musiciens, dans le contexte du conflit israélo-palestinien exacerbé depuis les attaques terroristes du Hamas le 7 octobre 2023. Depuis, une violence croissante frappe l’Europe, violence « justifiée » par les conséquences de ces attaques.

Le mécanisme consiste à brimer des artistes par une grille idéologique, à légitimer la violence contre eux au nom d’une morale politique indéniablement idéologique. Essentialiser un individu ou un groupe relève de cette démarche.

Son aboutissement : interdire, par tous moyens, à des artistes d’exister. Or, un artiste existe par son art : lui interdire sa pratique, c’est lui ôter sa raison d’être.

L’art, et la philharmonie en particulier, constituent un pilier de nos civilisations, une expression du génie humain en quête de transcendance ; illustration de l’harmonie pythagoricienne du monde magnifiée par Chateaubriand dans Génie du Christianisme.

Cette beauté nous permet d’accepter l’altérité, de voir dans l’autre notre prochain. Nous devons protéger ce trésor, dans l’espoir d’un « Temps retrouvé » proustien ou comme Dante retrouvant Béatrix après l’enfer, touchant enfin le paradis. Depuis la création en 1648 de l’Académie royale de peinture et de sculpture par Louis XIV, l’art en France s’est fondé sur une liberté essentielle : créer sans entraves idéologiques, transcender les passions pour toucher l’universel.

Protéger l’art, c’est défendre farouchement ce principe : aucun artiste ne doit être réduit à son origine ou à sa nationalité. Tant que nous laisserons primer l’obscurantisme sur la liberté, nous trahirons la civilisation elle-même.

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