Louis XVI contre Harry Potter à Nantes

 Maître Jean-Philippe Carpentier.


Nous sommes dans un monde où les artistes ne se respectent plus entre eux et où la périphérie fait oublier l’essentiel.

Nantes et la polémique autour de la statue de Louis XVI en sont les symptômes vivants, ceux d’un artiste qui invisibilise son prédécesseur, ceux d’un monde qui oublie son histoire et qui pourtant voit s’insurger dans la presse un lointain cousin du sujet représenté en 1823 par le sculpteur Dominique Molknecht.

Il faut savoir prendre un peu de recul.

Cette statue, érigée en 1823 place du Maréchal-Foch à Nantes, juchée sur une colonne de 28 mètres, s’impose comme un témoignage éloquent de l’histoire française, dont la valorisation mérite une réflexion approfondie.

Ce monument incarne un moment charnière de la Restauration, où la monarchie, après les tumultes révolutionnaires et impériaux, cherchait à réaffirmer sa légitimité.

L’une des quatre dernières représentations monumentales du roi en France, cette statue constitue un vestige rare, chargé d’une mémoire complexe que la postérité se doit de préserver.

D’un point de vue historique, elle offre un accès tangible aux tensions idéologiques du XIXe siècle.

Sa présence invite à interroger le rôle de Louis XVI, figure tragique de la Révolution, et à contextualiser les aspirations contradictoires d’une nation en quête de cohésion.

Cette nation, c’est la nôtre et cette quête de cohésion devrait être au cœur même de nos réflexions que la statue pourrait servir d’aiguillon à mobiliser.

Sur le plan artistique, ce monument néoclassique, intégré à l’urbanisme nantais, enrichit le paysage architectural de la cité.

Sa silhouette majestueuse dialogue avec les édifices environnants, conférant à la place du Maréchal-Foch une solennité qui structure l’espace public.

Plutôt que la perte de notre patrimoine, il faudrait plutôt valoriser cet ensemble, par un entretien rigoureux ou des mises en lumière nocturnes, qui renforceraient son attrait esthétique, tout en soulignant son importance dans l’histoire de l’art monumental.

L’argument touristique n’est pas moins convaincant. Dans le cadre du Voyage à Nantes, la statue s’inscrit dans un parcours patrimonial qui attire les visiteurs, séduits par l’éclectisme historique de la ville.

Des initiatives comme l’installation temporaire, qui consiste à mettre comme Harry Potter une cape d’invisibilité à la statue, prévue pour l’été 2025 par le plasticien colombien Iván Argote, bien que controversée, témoignent de cette capacité à susciter l’intérêt, prouvant que la statue, même dissimulée, reste un vecteur d’attraction ce qui est un paradoxe amusant.

Alors s’emparer du sujet peut être plaisant, avec en perspective de faire ressortir encore plus éclatante l’œuvre invisibilisée par un artiste dont la disruption apparente possède tous les atouts pour donner un lustre nouveau à une statue dont l’existence était ignorée par le plus grand nombre.

Après le départ de l’émule de JK Rowling, une mise en valeur judicieuse de la statue, par des événements culturels ou des applications numériques, amplifierait son rayonnement, dynamisant l’économie locale.

Enfin, la statue offre une opportunité de dialogue sociétal.

À une époque où l’iconoclasme menace les symboles du passé, sa préservation, loin d’être une apologie monarchique, comme l’imaginent quelques-uns, s’affirme comme un acte de courage intellectuel.

Expliquer, plutôt qu’effacer, permet de confronter les mémoires plurielles et d’éviter l’amnésie historique ; il est préférable de nous distinguer par notre capacité à assumer notre passé que ce legs monarchique incarne encore.

Ainsi, valoriser la statue de Louis XVI, c’est conjuguer préservation patrimoniale, enrichissement culturel et réflexion collective. En faire un lieu de savoir et de débat, c’est offrir à la cité un symbole vivant, apte à fédérer les générations autour d’une histoire partagée. L’invisibiliser provisoirement c’est finalement peut-être mieux la monter.

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