De Saint Malachie à Marie-Julie Jahenny, l’eschatologie est à la mode

 Maître Jean-Philippe Carpentier.


La mort du pape François, survenue le 21 avril 2025, en plein lundi de Pâques, a suscité un regain d’intérêt pour les prophéties eschatologiques, c’est-à-dire tout ce qui sur un plan philosophique, théologique voire scientifique se rapporte à la fin du monde, en particulier celles attribuées à Saint Malachie et à Marie-Julie Jahenny, mystique bretonne du XIXe siècle.

La « Prophétie des papes », publiée en 1595, énumère 112 devises décrivant les pontifes depuis 1143 jusqu’à un énigmatique « Pierre le Romain », dont le règne coïnciderait avec la destruction de Rome et le Jugement dernier.

Une prudence historique s’impose sur ce texte en l’absence de sources contemporaines de Malachie.

Il pourrait avoir été fabriqué au XVIe siècle dans le but d’influencer une élection papale, peut-être celle de 1590, et son retour en grâce sur les réseaux sociaux peut avoir le même objet.

Sa précision pour les papes antérieurs à 1590, contraste avec l’ambiguïté des devises postérieures et suggère une rédaction a posteriori.

De même, les visions de Marie-Julie Jahenny, surnommée « la stigmatisée de La Fraudais », annonçant des crises ecclésiales, des châtiments divins, les « trois jours de ténèbres », et le retour du Grand Monarque, issu de la branche coupée du lys, exigent une approche critique, qu’a, du reste, eue l’Église Catholique.

En réalité, ce qui trouble dans ces deux prophéties, ce sont les événements annoncés qui se sont réalisés, mais qui n’a pas un jour lu et cru à son horoscope et cherché dans une prophétie quelque espoir.

Catherine de Médicis entretint des relations avec Nostradamus, Mitterrand et Chirac se pressaient chez Elisabeth Teissier.

Le retour en grâce de ces prophéties nous en apprend surtout sur nous et sur notre monde et sur notre vision de notre finitude.

Elles exercent une profonde résonance psychologique, particulièrement en notre période actuelle d’incertitude.

Notre quotidien, empli de tensions géopolitiques et de crises amplifie ce phénomène que la disparition de François, figure spirituelle d’envergure mondiale, a cristallisé.

Dans ce contexte, les récits apocalyptiques, qu’ils proviennent de Malachie ou de Jahenny, offrent un cadre narratif permettant de canaliser les angoisses collectives face à un monde perçu comme instable.

Si l’on prend un peu de recul sur ces prophéties avec une perspective eschatologique chrétienne, ces visions s’inscrivent dans l’attente du Jugement dernier, mais leur prétention à fixer des dates précises contredit l’enseignement des Écritures.

Saint Matthieu (Matthieu 24:36) écrivait clairement « nul ne sait ni le jour ni l’heure », une parole qui invite à la vigilance spirituelle plutôt qu’à la spéculation.

La centralité de l’eschatologie ne saurait faire l’impasse sur cette solution théologique.

Néanmoins, une brève promenade sur les réseaux sociaux, voit, à l’approche du conclave pour élire le successeur de François, fleurir les spéculations sur un « pape noir » ou un « Pierre le Romain », issues des prophéties de Malachie ou des visions de Jahenny.

Une approche raisonnée, fondée sur l’analyse rigoureuse des sources historiques et théologiques, demeure indispensable pour distinguer la vérité des séductions du sensationnel, surtout dans un monde où l’incertitude nourrit les imaginaires prophétiques.

Il faut cependant reste de marbre car, comme le disait Mark Twain « L'art de la prophétie est extrêmement difficile, surtout en ce qui concerne l’avenir. »

1 Commentaires

  1. Sous l’angle utilitariste formulé par Jeremy Bentham, l’article de Maître Jean-Philippe Carpentier éclaire une fonction essentielle des prophéties de saint Malachie et de Marie-Julie Jahenny : leur capacité à structurer les représentations collectives du risque. Dans une lecture cindynique, ces récits ne relèvent pas seulement de l’imaginaire ; ils participent à la production d’une intelligence sociale du danger. En entretenant la mémoire de l’effondrement possible, ils modulent les comportements, renforcent certaines formes de vigilance, mais exposent aussi à des effets d’attentisme. Leur utilité ne se mesure pas à leur véracité, mais à leur impact sur la capacité collective à agir face aux incertitudes du présent.

    Chez les philosophes, la réflexion sur l’eschatologie traverse la question du devenir humain. Hegel la place au cœur de son histoire dialectique de l’Esprit, tandis que Kant inscrit la fin ultime dans l’horizon d’une société morale. Dans une perspective utilitariste, ces visions interrogent : projeter un accomplissement final stimule-t-il réellement le bien-être collectif ou incite-t-il à différer indéfiniment l’action concrète ?

    Les sociologues rappellent que l’eschatologie est d’abord un fait social. Durkheim y voit une structure de cohésion ; Weber souligne son rôle moteur dans certaines dynamiques économiques, comme celles issues de l’éthique protestante. Bloch, en insistant sur la puissance de l’espérance, montre comment ces récits peuvent porter des projets de transformation sociale. Du point de vue utilitariste, l’eschatologie révèle ici son ambivalence : capable d’engendrer mobilisation ou découragement selon l’usage collectif qui en est fait.

    Les approches psychologiques proposent une lecture intérieure de l’eschatologie. Jung identifie en elle un archétype de transformation, Erikson la lie à l’intégration de la finitude dans le parcours de vie, et Kübler-Ross décrit les étapes émotionnelles que traverse l’individu face à sa propre fin. Utilitairement, ces élaborations psychiques peuvent soutenir la résilience, mais aussi engendrer, si elles sont mal intégrées, une angoisse sociale diffuse.

    Du côté de la psychanalyse, Freud avec la pulsion de mort et Lacan par la mise en scène du Réel irréductible, situent l’eschatologie au cœur des tensions fondamentales du psychisme humain. Kristeva montre comment la mélancolie peut prendre la forme d’une fin du monde subjective. Sous l’angle de Bentham, la question devient alors de savoir si ces récits, en structurant l’angoisse plutôt qu’en la submergeant, contribuent effectivement au mieux-être individuel et collectif.

    L’eschatologie, en tant que matrice culturelle du risque, projette une fin pour mieux réorganiser les conduites avant qu’elle n’advienne. Elle est utile tant qu’elle stimule la lucidité et la capacité d’adaptation ; elle devient périlleuse lorsqu’elle détourne les sociétés de l’action présente au profit d’une attente figée. Ce déplacement du regard, Maître Jean-Philippe Carpentier l’esquisse en montrant que les figures de Malachie et de Jahenny, loin d’être de simples oracles du passé, continuent de tracer, au sein des consciences contemporaines, des lignes de vulnérabilité et d’espérance mêlées.

    Reste à savoir comment, aujourd’hui, une société aussi saturée d’informations que la nôtre pourrait intégrer ce type de récit sans basculer ni dans l’oubli cynique, ni dans la fascination paralysante. Peut-être la vraie question est-elle moins de croire ou de ne pas croire, que de savoir ce que l’on fait de l’angoisse du terme : la laisser miner l’action, ou l’utiliser pour mieux affronter ce qui, avec ou sans prophétie, vient toujours.

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