La chronique de François Cocq : « Le campisme, voilà l’ennemi »

 Manifestants pro-palestiniens face à des manifestants pro-israéliens, le 26 mars 2017, à Washington (©Ted Eytan).


La réorganisation du monde et les crises qui y président donnent à voir une résurgence du campisme comme aux plus beaux temps de la Guerre froide. La radicalité des positions soumet l’individu à la tentation de se joindre aux cris d’orfraie des uns (ou à tout le moins de faire preuve d’une bienveillance passive) pour dénoncer la position des autres. Après la guerre en Ukraine présentée comme existentielle (comme les élections européennes de 2024 d’ailleurs selon les propres mots du président Macron), celle à Gaza comme civilisationnelle, c’est désormais face à l’offensive expansionniste étatsunienne que chacun est sommé de choisir un camp : MM. Trump et Musk voient le cercle de leurs thuriféraires s’agrandir à mesure qu’ils pointent du doigt la volonté de contrôle par délégation de l’Union européenne ; réciproquement l’autoproclamé cercle de la Raison se nourrit devant l’opinion des épouvantails de Washington.

Il y a une dimension de plus en plus malsaine à ce campisme auquel il faudrait se résoudre. L’adversaire de mon adversaire n’a pas forcément vocation à être mon partenaire, du moins pour ceux qui se revendiquent de l’étendard du libre choix individuel et la souveraineté qui en découle comme expression d’une volonté générale.

C’est le même phénomène d’assignation à résidence politique et électorale qui gangrène notre vie politique. La scène en est polarisée. A l’extrême. En France et dans ce qu’il est convenu d’appeler les démocraties libérales occidentales. Elle l’est plus encore que les sociétés, où des états des lieux partagés se font jour. C’est vrai y compris sur ce qui est souvent présenté comme des points de clivage (sécurité, immigration, service-public…), et quand bien même un nouveau sens commun n’a pas encore totalement émergé. Il y a donc une importation de la polarisation dans la société depuis le champ politique bien plus qu’une retranscription par les politiques d’une polarisation préexistante dans le peuple.

La raison en est la résignation collective des forces politiques à la démocratie minoritaire. Depuis le mitan de la décennie 2010, nous sommes en effet rentrés dans l’ère de la démocratie minoritaire à l’échelle de l’Union européenne, c’est-à-dire la séquence politique où les désaveux électoraux sont devenus tels que les coalitions gouvernementales n’ayant plus de majorité au sein du parlement national sont devenues la norme. La France a rejoint ce cortège funèbre en différé depuis 2022 et, comme partout ailleurs, l’enkystement est de mise comme nous le voyons actuellement.

Mais la résignation s’est muée en complicité. Depuis 2017, les différents partis et mouvements, notamment dans le camp présidentiel et à gauche (le problème posé à la droite est un différent car elle se situe dans le casse-noix), ont théorisé la tripartition de l’espace politique en y voyant un raccourci électoral. Il ne suffirait plus pour être élu de viser une perspective majoritaire mais simplement d’assurer un socle dont la surface importe moins que la solidité. Le RN est dans une situation un peu différente puisqu’il s’est construit sur la base du FN qui était dès le départ pensé et construit comme un socle.

La conversion à la démocratie minoritaire par la tripartition, puis l’enferment dans des stratégies du socle, ne pouvaient avoir pour corollaire que la polarisation et la radicalisation dans les postures politiques. Or celles-ci prennent une matérialité dès lorsqu’elles sortent du théâtre d’ombres de la politique pour infuser dans la société. Et ce faisant imposent une forme de campisme électoral.

Les campismes, qu’ils s’exercent sur la scène internationale ou sur la scène intérieure, finissent par se rejoindre et se nourrissent l’un l’autre. Ils sont une maladie dégénérative de la démocratie que l’enfermement dans le seul champ institutionnel ne fait que propager. En sortir par une refondation de la pensée relève de la nécessité.

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