Dura lex sed lex

 Marine Le Pen au Parlement européen en 2014.

Par Chem Assayag - Cadre dirigeant dans l’univers du numérique, auteur (poésie et nouvelles), essayiste et blogueur (blog Neotopia).

L’affaire politique du moment c’est le procès dit des assistants parlementaires du FN au Parlement européen jugée par le Tribunal Correctionnel de Paris et le réquisitoire prononcé contre d’anciens députés européens du parti dont Marine Le Pen. Ce qui est reproché au RN (alors FN) c’est d’avoir mis en place entre 2004 et 2016 un « système » pour détourner les enveloppes allouées par le Parlement européen à chaque député pour rémunérer ses assistants parlementaires. On ne se penchera pas sur le fond de l’affaire mais sur le traitement qui en a été fait et de ses possibles conséquences, et ce pour l’ensemble de la classe politique.

Ce qui a provoqué l’émoi du RN et même au-delà, on pense par exemple à une sortie de Gérald Darmanin, ce sont les réquisitions du Parquet qui a demandé des peines de prison et d’inéligibilité ainsi que des amendes à l’encontre de Marine Le Pen et des 24 autres prévenus, en l’occurrence cinq ans de prison, dont deux ferme aménageables, une amende de 300 000 euros ainsi que cinq ans d’inéligibilité pour la cheffe du parti au moment des faits.

En plus le parquet a demandé l’exécution provisoire, ce qui veut dire que la peine d’inéligibilité s’appliquerait même si les condamnés – dans l’hypothèse où ils seraient condamnés – feraient appel, alors que d’ordinaire un appel est suspensif. Concrètement cela veut dire que Marine Le Pen ne pourrait peut être pas être candidate pour l’élection présidentielle de 2027.

Cet émoi ayant parfois viré à l’hystérie il est bon de rappeler quelques éléments :

  • À ce stade on parle de réquisition du Parquet, c’est-à-dire de la position du Ministère Public. Les avocats des prévenus vont ensuite plaider et puis le jugement sera mis en délibéré et il ne devrait intervenir qu’au premier trimestre 2025. On ne sait donc absolument pas quelle sera la teneur du jugement,
  • Quel que soit le jugement le RN et Marine Le Pen pourront faire appel contrairement à ce qu’elle a pu dire dans un exemple emblématique de mauvaise foi politique (« Je viens dire aux Français aujourd’hui que l’idée que par une décision, encore une fois, irréparable, non susceptible d’appel, l’on puisse les priver de leur choix est une atteinte très violente à la démocratie »), le débat pouvant alors porter sur une éventuelle condamnation assortie de l’exécution provisoire, que certains pourraient considérer comme excessive,
  • En cas de condamnation les juges ne feraient qu’appliquer la loi, votée par les parlementaires ! En l’espèce la loi du 15 septembre 2017 « pour la confiance dans la vie politique », qui impose des peines d’inéligibilité obligatoires en cas de condamnation pour ce type de délit (article 131-26-2 du Code pénal). Le législateur a néanmoins prévu une exception formulée comme suit : « Toutefois, la juridiction peut, par une décision spécialement motivée, décider de ne pas prononcer cette peine [d’inéligibilité], en considération des circonstances de l’infraction et de la personnalité de son auteur. » ». On notera ironiquement que le RN, si prompt à défendre l’automaticité des peines, s’offusque qu’elle puisse concerner ses élus.

Quelles leçons pouvons-nous tirer de cette séquence ?

  • Si Marine le Pen était déclarée inéligible que le jugement soit exécutoire ou pas, elle fera appel mais elle sera alors totalement tributaire du calendrier judiciaire de l’appel. Cela sera une épée de Damoclès suspendue au-dessus de sa tête, qui a minima polluera sa capacité à faire campagne et au pire l'empêchera de se présenter. Dans tous les cas cela rebattra les cartes pour les élections de 2027,
  • Nos hommes et femmes politiques feraient bien de ne pas commenter à tort et à travers le résultat de l’application de lois qu’ils/elles ont votées. Et si ces lois sont considérées comme inadaptées, injustes ou inapplicables, il est toujours possible d’en proposer la modification. Comment espérer que le citoyen respecte la loi si les élus la remettent en cause systématiquement ?
  • L’argument de l’absence d’enrichissement personnel est souvent présenté comme une preuve de moralité des prévenus et une justification pour ne pas être condamné !… Or cet argument est tout simplement inaudible: utiliser illégalement des moyens publics au service de son parti, c’est servir son parti et donc sa carrière et donc ses ambitions personnelles. Les ressources détournées n’ont pas été mises au service d’une noble cause ou pour faire des dons à des associations ! En outre on attend de nos élus une certaine exemplarité, et solliciter le suffrage des électeurs suppose qu’on respectera le cadre dans lequel s’exercera son mandat, et assez logiquement ne pas respecter ce cadre justifie qu’on ne puisse plus solliciter les électeurs par la suite. A ce titre on peut même s’étonner de la faiblesse des contrôles sur l’utilisation des sommes mises à disposition des élus dans les différentes institutions parlementaires quand on sait à quel point les questions de conformité sont devenus lourdes dans les grandes entreprises y compris pour des cadres « lambda ».

On conclura en énonçant une lapalissade : le meilleur moyen de ne pas s’exposer à une condamnation c’est de respecter la loi.

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