Politique France : Réel et Ressenti

 Bruno Le Maire et Gabriel Attal lors du discours de politique générale du 30 janvier 2024

Par François Petitjean - Consultant et analyste de la communication politique, auteur de Adworld sur la publicité, Toxic sur les médias et Sine capita sur le numérique et l’IA aux éditions du Panthéon.

Nos météorologues ont inventé ce concept de « température ressentie » pour parfaire leurs prévisions. Bonne idée. Toutefois, il y a une constante un peu agaçante : le ressenti est toujours plus désagréable que le réel, que ce soit dans le froid glacial ou la chaleur caniculaire. Le chiffre censé objectiver une réalité acceptable devient une plateforme d’éjection vers l’enfer extérieur. L’intention était bonne, comme beaucoup d’autres qui pavent cette route.

Il en va de même en politique. L’implacable complexité des exercices de communication de crise occasionne toujours un « ressenti » gagnant, face au « réel ». Et le ressenti est sur la même route pavée que la météo : on gèle ou on étouffe.

C’est donc la forme de communication qui amplifiera ou neutralisera les excès d’émotion populaires. Les réactions s’expriment au travers de sondages, de manifestations, ou de protestations, chacune mêlant la critique objective aux sensations et aux craintes. Or les craintes des français, malgré une hausse significative de l’inquiétude liée aux conflits Ukraine et Proche-Orient entre février et mars (de 12% à 30%), restent : le pouvoir d’achat pour 52% , le système social 32% (santé, retraite, aides..), l’immigration pour 30%, puis l’environnement et la délinquance pour 28%. (Chiffres Ipsos mars 2024)

Budget : Les récentes déclarations de G. Attal et B. Le Maire liées au déficit public impliquant une recherche d’économies touchent le sommet de la pyramide des inquiétudes populaires. On parle d’économies : crispation assurée dans l’opinion quel que soit le gouvernement en place. La question passe de « que faut-il faire ? » à « qu’ont-ils fait pour en arriver là ? » à enfin « qu’est-ce qui va nous tomber dessus ? ». Nos complotistes préférés traduisent par : « qu’est-ce que ça cache ? ». Nous ne savons pourtant pas exactement ce qui sera décidé, mais le ressenti est d’emblée celui de la chute, du pouvoir d’achat et des perspectives, vers un futur glacial. Il s’en suit une baisse de la popularité des deux opérateurs, corollaire de la perte de confiance. Gabriel Attal, en particulier, doit surveiller ce compteur qui n’est pas un capital garanti quand on est aux manettes. Ses prédécesseurs peuvent en parler, seul Edouard Philippe a tiré son épingle du jeu, Manuel Valls et Elisabeth Borne partageant la palme du rejet.


On ne juge donc pas vraiment les mesures, on les ressent. Et on prépare déjà les manteaux et les écharpes, voire les bâtons. Ce qui pose problème n’est pas la liste de mesures possibles, ni les gars qui font leur boulot de gouvernants, mais l’absence de perspective dans la manière de présenter les choses. « Trouver 10 milliards » est certainement juste, mais le dire ainsi ouvre la boite de Pandore des émotions négatives de masse.

Social : Dans le cadre de ces mêmes déclarations, le chômage et la manière de l’indemniser peuvent être un sujet type mêlant perspectives et réglementation. On ne peut dissocier un système indemnitaire de son environnement. L’activité économique et l’accès à la mobilité professionnelle vont de pair avec une évolution du nombre de chômeurs. L’augmentation de l’âge moyen en France doit faire l’objet d’une stratégie massive pour le maintien dans l’emploi des seniors. Coupler une baisse de l’indemnisation en temps et montant avec une amélioration de l’administration des charges pour les entreprises devient un ensemble cohérent. Là, avec ces déclarations, on a le ressenti d’une claque pour les chômeurs, malgré une proposition conjoncturelle quasi inévitable. Le ressenti renvoie les oppositions sur l’émotion « riches-pauvres », et on ressort Total et LVMH dans l’éternelle boucle à la française où la réussite est louche, mélangeant ainsi tous les sujets. Une communication au même contenu, mais adossée à celle d’un redéploiement précis de l’offre-travail, ne manquerait pas de critiques mais gommerait quelques ressentis.

Pour conclure, que ce soit sur la politique locale France, ou sur les enjeux internationaux, il est quasiment impossible d’avoir une vision globale qui soit la plus proche de la vérité, et donc éviterait les ressentis. Les déclarations publiques sont faites pour informer, ou partager des projets, mais ne peuvent en aucun cas représenter l’intégralité des tenants et aboutissants. Ce n’est pas qu’on « nous cache les choses » (cela peut arriver) mais la complexité des éléments actifs d’une mesure sociale, d’une stratégie anti-terroriste, d’une approche économique, d’une participation à l’Europe, bref, de tout ce qui constitue une politique générale, ne peut pas être « techniquement » communiqué dans son intégralité.

Mais si à l’impossible nul n’est tenu, un petit effort des responsables politiques pour gérer les ressentis serait bienvenu.


Note de l’auteur

Cet article ne représente pas une critique sur le fond des personnes publiques, mais une analyse des choses perçues, des risques liés aux communications du monde politique et des enjeux de celles-ci. Les noms cités ne le sont que pour comprendre leur impact au travers de décisions, de déclarations ou de comportements médiatisés.

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