Par Maître Jean-Philippe Carpentier - Avocat au barreau de Paris et consul honoraire du Luxembourg avec juridiction sur la Normandie.
Pays réputé pour être en général très calme, la Suisse s’est réveillée avec un scandale qui avait déjà commencé à éclabousser la France.
Les Suisses ont découvert le scandale de l’eau traitée.
L’eau d’Henniez, une eau minérale présente en Suisse sur de nombreuses tables, est au cœur de la polémique.
Pour les Suisses, les choses sont simples, une eau se prétendant minérale ne doit avoir aucun traitement ni aucune adjonction, selon les exigences de leur Confédération. Pour l’eau de Nestlé, les usines utilisaient des processus de nettoyage à base de filtre à charbon ou des ultraviolets.
Nestlé a précisé dans un communiqué « Sous le contrôle des autorités cantonales et fédérales, Nestlé Waters Suisse a donc retiré les filtres au charbon actif de son usine d’Henniez à fin 2022. Par ailleurs, il n’y a jamais eu des systèmes ultraviolets à l’usine d’Henniez. Nous restons engagés à continuer un dialogue constructif avec les autorités ».
L’entreprise a ainsi reconnu sa pratique trompeuse.
En France métropolitaine, le média public, France Info affirme que « 30% des marques seraient concernées » par des pratiques similaires de traitements de leurs eaux.
Toutefois, traiter l’eau pour la vendre n’est pas en soi illicite.
Il est possible de vendre de l’eau après l’avoir traitée, peu important où elle est puisée, dans une source, dans une rivière, voire dans le réseau d’eau d’où provient l’eau du robinet, et de la vendre sous le vocable « eau rendue potable par traitement », à la condition que les traitements soient autorisés par la loi, en particulier le code de la santé publique, et à la condition expresse de l’indiquer sur les étiquettes et d’en préciser les traitements.
En Guadeloupe, un contentieux avait déjà abouti, notamment en 2010, sanctionnant des pratiques déloyales d’une des deux sociétés exploitant des eaux rendues potables par traitement sur ce territoire.
Le territoire avait été touché par le scandale du chlordécone rendant indispensable le traitement des eaux qui y étaient exploitées, quelle que soit leur provenance, source, rivière, réseau public ou autre.
Le plus intéressant, dans ce contentieux ultramarin local et devenu, avec le temps, anecdotique, n’est, naturellement, pas le fond de ce qui se passait en Guadeloupe. Le plus intéressant, ce sont les décisions judiciaires rendues qui rappelaient une tautologie pourtant très simple : lorsque l’eau vendue fait l’objet de traitement, cela implique de marquer sur l’étiquette la nature du produit, c’est-à-dire de l’eau rendue potable par traitement.
Il existe, en effet, en France, trois catégories d’eaux, les eaux rendues potables par traitement, lesquelles par définition ont subi des traitements qui figurent sur leurs étiquettes, les eaux de source qui, pour avoir cette appellation sont des eaux « d’origine souterraine, micro-biologiquement saine et protégée contre les risques de pollution » et les eaux minérales naturelles qui sont des eaux microbiologiquement saines qui se distinguent des autres eaux destinées à la consommation humaine par leur nature, caractérisée par leur teneur en minéraux, oligoéléments ou autres constituants et par leur pureté originelle.
Les eaux de sources et les eaux minérales naturelles sont donc par définition exemptes de traitement.
Le scandale actuel n’est donc pas sanitaire à proprement parler, mais touche sur le fond deux points essentiels, celui de la concurrence déloyale en lien avec le mensonge sur la nature des eaux vendues et celui de la tromperie des consommateurs sur les produits achetés, les eaux rendues potables par traitement, étant généralement moins dispendieuses que les deux autres types d’eaux.
Par ailleurs, les eaux de sources ou minérales naturelles ont des qualités intrinsèques différentes et plus écologiques que les eaux traitées.
Alors que tirer de tout cela dans notre contexte actuel de crise agricole ?
Le premier enseignement est que le comportement trompeur des entreprises agro-alimentaires multinationales concernées les décrédibilise auprès des consommateurs et jette, malheureusement, l’opprobre sur un secteur qui n’en a pas besoin.
Le second enseignement est assez paradoxal puisqu’il justifie de nombreux contrôles, mais qui, et les agriculteurs ont manifestement raison sur ce point, devraient être mieux ciblées pour que de tels scandales n’interviennent plus.
Le troisième enseignement tient à la fixation du prix de ces produits, qui lui est librement fixé par les producteurs de ces eaux, partie aux négations commerciales avec la grande distribution, au sens des lois Egalim, à la différence des agriculteurs qui se voient exclus de ces négociations et donc voient les prix de leurs produits, lorsqu’ils sont vendus en grande distribution, fixés par des tiers.
A cet égard, peut-être faudrait-il, pour résoudre la crise, faire des agriculteurs, un des acteurs des négociation des prix et les laisser fixer leurs propres prix, tout en les protégeant de la concurrence déloyale, quelle qu’en soit la source.
Mais surtout, et c’est sûrement une des clés des conflits présents et futurs de l’agroalimentaire et ce qui fait l’orgueil des agriculteurs, mettre sur le marché de bons produits, clairement étiquetés et ne pas tromper le consommateur.
Notre sécurité alimentaire ne peut pas s’accommoder d’un à peu près, irrespectueux du consommateur qui doit savoir ce qu’il achète et consomme, ce que les produit contiennent et leur provenance, pour faire un choix éclairé.
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