« Sur ce point, je ne changerais jamais d’avis : la vie nul ne peut la retirer à autrui … », Robert Badinter

 Assemblée des Nations Unies, (Wikimedia)

Par Maître Jean-Philippe Carpentier - Avocat au barreau de Paris et consul honoraire du Luxembourg avec juridiction sur la Normandie.

Des actualités éparses et d’importance diverse ont émaillé cette semaine de réflexions sur les enjeux de notre monde et de notre société.

La première m’impose un hommage à une personnalité, qui appartient désormais au passé, Robert Badinter.

Je ne citerai qu’une seule de ses phrases, lors d’une de ses auditions au sénat, mais peut-être symbolise-t-elle plus que toutes les autres sa pensée : « Sur ce point, je ne changerais jamais d’avis : la vie nul ne peut la retirer à autrui dans une démocratie ».

Alors que notre société est traversée par le bruissement des enjeux sociétaux, garder à l’esprit les termes limpides de Robert Badinter permet d’éclairer le présent.

La seconde actualité a un caractère, en apparence anecdotique, une « start-up » annonce avoir créé une poudre à base de levures et de bactéries reproduisant la caséine, protéine essentielle à la fabrication d’un fromage pour fabriquer du « vrai fromage », sans lait animal.

Cette annonce intervient alors que la crise agricole, calmée en France, perdure en Europe.

Cette crise aurait pourtant dû nous recentrer sur nos valeurs, mais, ainsi va la vie, l’innovation portée par une écologie politique, parfois à la dérive, pose les bases de ce qu’elle espère être l’alimentation de demain.

Pourtant, la crise nous a rappelé un des points fondamentaux auquel nous devons rester attentifs, notre autonomie alimentaire.

Cette question, paradoxalement éclipsée dans notre monde contemporain, était pourtant centrale avant que la révolution industrielle, puis la tertiarisation de l’occident, nous la fassent presque totalement oublier.

Tout le monde ne l’oublie pas, cependant, même en Europe.

L’Ukraine, grenier à blé de l’Europe, continue de séduire les investisseurs Américains.

Leur puissance de frappe financière est colossale.

C’est ainsi que le fonds de pension américain BlackRock négocie directement l’avenir de l’Ukraine, en pleine guerre, avec son dirigeant.

L’entreprise précise « BlackRock Financial Markets Advisory ("BlackRock FMA") et le ministère de l’économie de l’Ukraine ("MoE") ont signé un protocole d’accord par lequel BlackRock FMA fournira une assistance consultative pour la conception d’un cadre d’investissement, dans le but de créer des opportunités pour les investisseurs publics et privés de participer à la reconstruction et au redressement futurs de l’économie ukrainienne. »

Dans ce contexte, il est indiqué que « BlackRock FMA conseillera le ministère de l’environnement sur l’établissement d’une feuille de route pour la mise en œuvre du cadre d’investissement, y compris l’identification des choix de conception pour la mise en place, la structure, le mandat et la gouvernance envisagés ».

Le fonds de pension américain précise enfin que « Le protocole d’accord formalise les discussions que le président de l’Ukraine, Volodymyr Zelenskyy, et le président-directeur général de BlackRock, Larry Fink, ont eues en septembre sur les possibilités de stimuler les investissements publics et privés en Ukraine. Les discussions ont été initialement organisées par Andrew Forrest, fondateur du groupe Fortescue Metals, qui, selon M. Fink, a contribué à faciliter la première réunion entre BlackRock FMA et le gouvernement ukrainien. »

Mon propos ne vise pas à critiquer l’initiative privée, où qu’elle soit, même l’Ukraine. Plus encore, parcourir le site internet, dans sa version Américaine, de BlacRock est très instructif, notamment au regard de l’analyse de cette société sur la géopolitique mondiale et le concept de risque-pays.

De surcroît, le recours aux cabinets de conseil des puissances publiques est régulier et souvent commenté.

S’agissant de l’Ukraine, le pays est libre de chercher les conseils privés qu’il souhaite, pendant le conflit armé, et d’anticiper, avec l’aide de ses conseils, les modalités de sa reconstruction à l’issue d’une guerre dont ne peut qu’espérer la fin.

Les Ukrainiens reconstitueront l’Ukraine, en payant, pendant la période de guerre, des consultants privés et paieront après la guerre une partie des retraites des Américains.

Ce qui interroge dans cette négociation, c’est l’affaiblissement du régalien et plus généralement, au moins en apparence, des interventions des États dans la politique étrangère.

A l’issue de la seconde guerre mondiale, les Etats-Unis aidèrent l’Europe avec le plan Marshall.

Cette aide, même si elle mettait l’Europe dans le giron des Etats-Unis, était le fruit de la négociation interétatique et les intérêts des acteurs économiques s’inséraient dans un concert de nations.

La situation est donc nouvelle et essentielle, car peu auraient pensé que le redressement d’un pays puisse être l’objet d’une négociation commerciale.

Le régalien entre en concurrence avec les puissances économiques.

A ne pas y prendre garde, les effets de ce nouvel ordre économique mondial seront durables et les États devront s’habituer à composer avec ce nouvel environnement.

Il est désormais essentiel d’intégrer cette nouvelle donne dans notre appréhension du monde.

Nous allons devoir conjuguer nos valeurs civilisationnelles avec les puissances étatiques et économiques.

Une prise de distance s’impose, un temps de réflexion sur cette nouvelle donne géopolitique aussi, qu’il faut, peut-être, appréhender sous l’angle de l’éthique.

Pour ma part, je propose une solution simple, celle d’une introspection pour savoir, après nous être réconciliés avec notre passé et avoir assumé notre histoire, vers quel destin commun nous voulons tendre.

Cet effort est urgent, utile et indispensable.

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