Gilles Sicart : « Le doute peut être le commencement de la sagesse »

 La statue du Penseur au jardin du Musée Rodin, à Paris.

Propos recueillis par Franck Abed


Franck Abed : Bonjour Monsieur. Merci d’accepter de répondre à nos questions. Avant d’entrer dans le vif du sujet, merci de vous présenter pour celles et ceux qui ne vous connaissent pas encore ou qui croient vous connaître.

Gilles Sicart - Je suis juriste de formation et de métier, mais je mène une vie d’écriture depuis longtemps, en m’adonnant à des genres aussi différents que le roman, le journal ou l’aphorisme. Je conçois avant tout l’écriture comme un exercice moral ou spirituel qui repose sur l’introspection autant que sur la spéculation conceptuelle. J’ai tiré de cela des maximes et des sentences qui forment le recueil publié aux éditions de Portaparole sous le titre : Un doute sans vertige n’est qu’un exercice spirituel.

Franck Abed - Qu’est-ce qu’un moraliste ?

Un esprit qui ne cherche pas à moraliser, mais à philosopher au sujet de la morale. Il s’attache moins à la morale de la vérité qu’à la vérité de la morale. Il ne craint pas de faire de l’esprit aux dépens de la morale puisque, comme le dit Pascal, « Se moquer de la philosophie, c’est vraiment philosopher ». Mais la morale dont se moque le moraliste est une morale des apparences, une fausse morale, celle qui prétend être ce qu’elle n’est pas. Il défend une morale plus exigeante, plus haute, qu’il croit réservée à une petite partie de l’humanité. Cette idée court de La Rochefoucauld à Nietzsche.

Franck Abed - La philosophie du doute est-elle une voie qui mène à la sagesse ?

Le doute peut être le commencement de la sagesse, mais le doute systématique peut conduire à une forme de déraison. Il n’y a pas que la certitude qui peut rendre fou. Un grand doute peut donner le vertige à celui qui l’éprouve, en le mettant au bord de l’abîme.

Franck Abed - Vous écrivez le propos suivant « Une bonne idée n’est pas forcément une idée bonne ». Merci de préciser votre idée.

Une idée peut être bonne en pratique sans l’être moralement.

Franck Abed - Pourriez-vous nous citer deux ou trois de vos philosophes préférés ? Pourquoi ces choix ?

Marc Aurèle, Nietzsche et Cioran. Ces trois auteurs ne partagent pas la même vision du monde, mais ils ont en commun de vouloir délivrer l’humanité de ses illusions. L’illusion des apparences, selon Marc Aurèle, qui fait croire à l’éternité des choses sensibles. L’illusion d’un arrière-monde, selon Nietzsche, qui fait croire à l’immortalité de l’âme humaine. L’illusion de toute foi, selon Cioran, qui fait croire au sérieux de la vie individuelle ou de la vie tout court. Cela n’implique pas de mon point de vue qu’il faille adopter une posture nihiliste, tout au contraire. C’est le tragique ou le non-sens apparent de la vie qui rend les principes de vie ou de morale d’autant plus nécessaires, mais des principes fondés sur l’expérience ou la raison pratique et non sur de pures vues de l’esprit.

Franck Abed - Vous écrivez « On paie toujours un succès d’une faiblesse passagère ». En écrivant cette pensée, vous pensiez à un événement personnel ? A des faits historiques ?

Aucun en particulier. Seulement à la griserie du succès en général, qui peut faire oublier bien des choses comme la prudence, la mesure ou la relativité de toute chose, à commencer par le succès lui-même.

Franck Abed - Vous poursuivez vos réflexions « Confier nos états d’âme à quelqu’un revient à lui donner une arme contre nous ». Est-ce qu’une personne confie vraiment ses états d’âme à « quelqu’un » ? Ne confions-nous pas les choses intimes à des parents ou à des amis ? De fait, l’amitié sincère et profonde n’existe-t-elle pas ? En effet, un ami ne servirait jamais d’une arme contre… un ami.

Même des proches, il faut savoir se méfier, car la proximité du cœur ou de l’esprit n’exclut pas le jugement. Et une simple confidence peut vous faire tomber du piédestal où votre meilleur ami vous avait placé.

Franck Abed - Que pensez-vous du propos suivant « Ce siècle avait deux ans ! Rome remplaçait Sparte, Déjà Napoléon perçait sous Bonaparte » ?

Le génie poétique de Victor Hugo est né du génie politique de Napoléon.

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