Politique mondiale : la brocante du leadership

 Ouverture du Sommet du G20 le 9 septembre 2023.

Par François Petitjean - Consultant et analyste de la communication politique, auteur de Adworld sur la publicité, Toxic sur les médias et Sine capita sur le numérique et l’IA aux éditions du Panthéon.

La moyenne d’âge des chefs d’État en exercice de la planète était de 60 ans en 2018. Il y a de fortes chances pour que cette moyenne ait augmenté, mais gageons que ce chiffre soit solide encore aujourd’hui. Comme tous les chiffres médians, il cache de nombreux exemples très supérieurs, dans les régions les plus peuplées, pour ne pas dire les plus puissantes de la planète. Si le nouvel âge de la retraite en France, 64 ans, était appliqué dès aujourd’hui aux dirigeants du monde, l’Europe s’en sortirait à peu près, mais les forces majeures du pouvoir mondial laisseraient des trônes déserts.

L’exemple le plus extraordinaire, dans un pays certes moins puissant, est la succession de Robert Mugabe à 93 ans par un jeune successeur de plus de 80 ans aujourd’hui. Il s’agit d’Emerson Mnangagwa, à la tête du Zimbabwe depuis 2017.

À bien y regarder, Joe Biden dépasserait l’âge de ce chef d’État africain en fin de deuxième mandat s’il était réélu aux États-Unis prochainement.

Dans les septuagénaires, on retrouve Vladimir Poutine (Russie 70), Xi Jing Ping (Chine 70), Narenda Modi (Inde 73),Luiz Inacio Lula Da Silva (Brésil 78) et Cyril Ramaphosa (Afr. Du sud 71). En un mot, le monde est dirigé par des septuagénaires et des octogénaires, tous des hommes, dont certains ont la gâchette facile.

On pourrait en rester là dans la caricature, mais il s’agit malheureusement d’une photographie réelle et cette description ne peut qu’inquiéter. Il ne s’agit pas que d’une question de santé pour des hommes vieillissants, mais au-delà de 70 ans, le mot important, c'est « au-delà », quel que soit le nombre d’années à vivre. Lorsqu’on est au pouvoir, on voit se rapprocher sa fin dans un imaginaire de trace laissée au monde, avec une forme d’urgence à décider ce dont l’humanité se souviendra longtemps. Teintée de nostalgie du passé, propre aux vieillards, on a du mal à croire que ces personnages puissants puissent nous emmener vers le progrès universel, dans une vision du futur. Un futur dans lequel ils ne seront pas à très court terme.

D’une certaine façon, la politique n’est plus l’enjeu, mais c’est la personnalisation d’une œuvre venant conclure une vie. Le pouvoir tend à transformer l’âge de la sagesse en âge de l’urgence. La guerre de Vladimir Poutine face à l’Ukraine signe deux œuvres majeures de ce personnage : faire exister son nom par une énième guerre protectrice contre l’Occident (comprendre les États-Unis) dont il aura été le chef, et être celui qui a ressuscité le passé glorieux du pays. La virilité et la gloire éternelle dans le cœur de tous les Russes, des siècles après sa mort. Les références staliniennes et l’URSS sorties de leurs tombes, et le tour est joué. Les morts pour la patrie viennent enrichir la démonstration. La nostalgie et le pouvoir sont une alchimie mortifère. Mais ça plaît à des gamins comme Kim Jong-Un (39 ans) qui rêvent encore de panoplies de cosaque pour Noël. Quant au pays lui-même et la destinée des Russes à moyen terme, bien malin celui qui saura nous dire ce qui a été préparé pour une succession au Kremlin. « Après moi le déluge » est bien le corollaire de la mégalomanie.

Plus mystérieuse, mais non moins inquiétante est l’attitude de Joe Biden aux États-Unis. Il faut dire qu’il a un adversaire proche des 80 ans (D. Trump, 77 ans) qui manie la nostalgie poutinienne à la sauce texane de main de maître. Il est probable que Joe Biden imagine Kamala Harris, femme de 58 ans et sa vice-présidente, non comme une candidate moderne possible, mais comme un hamburger de choix que Donald Trump pourra dévorer en quelques semaines de campagne. Il joue donc son expérience comme un rempart, dans l’imaginaire américain du « bien contre le mal » traditionnel, mais avec le risque de faiblesses physiques ou mentales qui guettent chaque jour un peu plus. Ce n’est pas raisonnable et les lunettes « Top gun » n’y changeront rien. Les personnes âgées sont souvent têtues, même avec de bonnes intentions, et une préparation sérieuse de succession au sein du parti Démocrate américain aurait été une preuve de maturité, mais cela semble déjà bien trop tard. Le comble est que la maturité n’est pas à l’ordre du jour, ce ne doit donc pas être une question d’âge. Il faudra donc se préparer à retrouver une élection de tous les dangers aux États-Unis, le 5 novembre 2024, entre deux gars trop vieux, dans un contexte planétaire explosif.

En Chine, les chefs d’Etat récents n’ont pas atteint les 80 ans en fin de mandat. Jian Zemin, 77 ans, Hu Jintao, 71 ans et l’actuel patron, Xi Jinping ayant 70 ans. On ne peut donc pas considérer qu’il y a un pouvoir sénile, mais enfin, nous ne sommes pas non plus sur le mode Emmanuel Macron, 45 ans, Justin Trudeau (Canada, 52 ans), Olaf Scholz (Allemagne 65 ans), Rishi Sunak (Royaume-Uni, 43 ans), Pedro Sanchez (Espagne 51 ans), Alexander de Croo (Belgique 48 ans) etc.. Cette liste est destinée de manière un peu primaire à convaincre le lecteur de cet article qu’il y a une relation entre l’âge élevé du capitaine et le risque élevé pour la planète, que ce soit sous forme de dictatures ou de simple projet désastreux. Ce n’est pas une question uniquement écologique, même si les plus âgés des dirigeants ont eu quelques retards à l’allumage sur ce sujet, c’est le risque d’une réelle ignorance de l’humanité dans un monde qui change sans cesse.

L’intelligence n’est pas non plus le problème, certains dirigeants pouvant garder toute leur tête très longtemps, mais c’est le simple calcul du déséquilibre entre la capacité à se projeter limitée et le poids immense du passé. Qui a connu la guerre froide, verra ressurgir les démons Est-Ouest, qui a connu la révolution chinoise, verra ressurgir les plans communistes, qui a connu la colonisation résistera aux besoins d’indépendance des pays, qui a connu les États-Unis comme n°1 ne rêvera que d’un come-back, qui a connu l’URSS voudra reconstruire le puzzle, etc… Pendant ce temps, les Talibans profitent de leur jeunesse, l’Australie se referme sur elle-même, l’Arabie Saoudite continue de faire la pluie et le beau temps, les pays d’Afrique de l’Ouest disent des choses qu’il faut entendre, et les Ukrainiens donnent une leçon aux vieux qui les entourent. Aucune vision moderne du monde dans un moyen terme où tout devra être différent ne peut être porté par des personnages vieillissants, nostalgiques, ou dans des combats anciens.

Ces combats-là sont tous perdus d’avance.

Hommes ou femmes, les jeunes dirigeants des démocraties ne sont pas meilleurs parce qu’ils sont jeunes, ils sont meilleurs car portés par l’Histoire plus que retenus par elle.

Note de l
’auteur

Cet article ne représente pas une critique sur le fond des personnes publiques, mais une analyse des choses perçues, des risques liés aux communications du monde politique et des enjeux de celles-ci. Les noms cités ne le sont que pour comprendre leur impact au travers de décisions, de déclarations ou de comportements médiatisés.

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