J-P Fournier : « On était là pour protéger et aider les Algériens, qu’ils soient kabyles ou pieds-noirs »

 Jean-Paul Fournier.


Cet entretien est illustré d’images d’archives personnelles que Jean-Paul Fournier nous a gracieusment ouvertes. Ces photographies uniques sont à retrouver dans la version PDF de l’entretien. Bonne lecture.


Jean-Paul Fournier - Vétéran d’Algérie, membre de l’U.N.C.

Propos recueillis par Elias LEMRANI


Le Contemporain - Pouvez-vous retracer votre parcours d’avant la guerre ?


Jean-Paul Fournier - Je suis malgache moi, je suis né à Madagascar et j’y ai fait mes études. Quand j’avais huit ans, en 1945, mon père, Marc Fournier, s’en alla en Indochine rejoindre le général Leclerc, notre famille fut par conséquent rapatriée en France, à Marseilles. J’y ai poursuivi mes études que j’avais commencées à Madagascar et y ai terminé mon secondaire au Lycée Thiers où j’ai reçu mon baccalauréat. De là, j’entrai à l’École Supérieure de Commerce de Marseille Provence, tout en faisant en même temps ma préparation militaire, m’évitant d’être embrigadé.


Quand j’ai fini mon école, je suis parti à Saint-Mexant en Corrèze, d’où je sortis sous-lieutenant. Nous devions choisir notre régiment pour l’Algérie, en fonction de notre classement. J’ai décidé quant à moi de partir dans le secteur de Chebli, dans la Mitidja, près d’Alger, où je pensais pouvoir vivre comme à Marseille. J’ai donc embarqué pour Oran le 28 avril 1960. J’avais comme devise en partant : « Souffre et tais-toi. »


Mais pour nous à l’époque, il n’y avait pas de guerre en Algérie, dans le sens d’une guerre telle que celle tranchée de 1914.


Le Contemporain - À quoi ressemblait une de vos journées types en Algérie ?


La Mitidja est une région très plate et très agricole. Le matin, nous faisions une patrouille pour protéger les colons, qui n’étaient pas de riches bourgeois, mais des fermiers et des propriétaires d’exploitations foncières. L’après-midi, nous patrouillions également, nous vérifions les identités, nous surveillions les populations et nous assurions leur sécurité au cours d’opérations contre les attentats menés par les fellaghas. Le soir, enfin, nous allions en embuscade, de la tombée de la nuit jusqu’au petit matin. 


Nous avions des permissions. J’ai été quatre ou cinq fois en permission à Alger, le samedi ou le samedi après-midi. Alger, la ville blanche, était une ville magnifique et bien équipée, plutôt cosmopolite contrairement à Oran, très française, et Constantine, très musulmane. Mon père, qui avait fait la guerre d’Indochine, était venu me voir en Algérie pendant une de mes permissions, le 1er novembre 1960. 


Le Contemporain - Comment se déroulaient les embuscades ?

Les embuscades représentaient toujours une fatigue importante parce qu’il fallait que l’on se repose. Pendant l’embuscade, on s’endormait, il y en a qui faisaient le guet et puis après une heure on le remplaçait et ainsi de suite. Mais on ne bougeait pas, on était planqués. Quand on voyait des hommes, on n’ouvrait pas le feu, parce que bien souvent c’étaient des troupes françaises qui allaient rejoindre dans la nuit un poste. On ouvrait le tire que quand on était sûrs que c’étaient des fellaghas et non des Français. J’ai eu des succès en embuscades, car je ne dormais pas et je surveillais bien, à l’inverse d’un de mes camarades de promotions, qui était sous-lieutenant comme moi, qui a été tué par les fellaghas.


Le Contemporain - Quelles étaient vos missions auprès des populations ?

On devait résoudre tous les soucis des populations et répondre à leurs questions. Mon régiment était le 4e régiment d’infanterie de marine, le 4e RIMa, en grande partie composé d’Africains subsahariens de l’A.O.F et de l’A.E.F, de certains pays devenus indépendants. Il y avait également des harkis, des soldats algériens qui marchaient avec nous, ils nous servaient surtout d’interprètes, pour parler dans leur langue aux locaux. Donc les harkis, c’était très bien avec eux.

On était en France donc on gardait l’Algérie et on protégeait les Algériens des douars [petits villages traditionnels, NDLR] où on était. On connaissait toutes les familles de notre douar, chaque maison et chaque famille était répertoriée et recensée par l’armée. Si on trouvait quelqu’un que l’on ne connaissait pas à l’intérieur du douar, on demandait aux habitants qui il était, s’il avait un lien de parenté ou d’amitié avec quelqu’un, et surtout qu’est ce qu’il faisait ici. On était là pour protéger et aider les Algériens, qu’ils soient kabyles ou pieds-noirs.

Le Contemporain - Comment étaient les locaux algériens avec vous ?


On était très bien accueillis par les Algériens. Quand nous venions faire le contrôle dans les maisons pour aider les femmes qui y étaient en cas de soucis, nous étions toujours très bien reçus. On apprenait même un peu l’arabe : « Arouah Mena Fissah » (Venez vite à côté de moi ! ), et quand j’en voyais quelques-uns qui passaient, je disais « Chkoun Hada » (qui va là, qui c’est ?). J’apprenais des mots en arabe pour pouvoir communiquer avec les locaux, mais souvent ils parlaient bien le français. Ils aimaient toutefois bien qu’on leur parle dans leur langue. Nous étions en tous cas très bien accueilli.


Le Contemporain - Comment s’est déroulé pour vous la fin de la guerre ?


Moi, je ne suis pas resté jusqu’à la fin de la guerre, je suis rentré en France en avril 1960 à Marseille, et je suis parti à Carcassonne pour y finir mon service militaire et y former de jeunes Français appelés, censés partir pour l’Algérie. Ils n’y partiront pourtant pas, à cause de l’indépendance en 1962. Dans mon régiment, nous étions des troupes coloniales, donc il y avait des Français, des Africains et des harkis. À l’indépendance, les Français retournèrent en France, les Africains dans leur pays et les harkis restèrent en Algérie. Quand je parlais de ce que j’ai vécu en Algérie, des gens me disaient : « Arrête de nous casser les pieds avec l’Algérie ! » Donc j’en parlais peu.


Le Contemporain - Quelle fut votre vie après l’Algérie ?


De retour en France, j’ai rendu visite à ma famille dans le Nord, où vivaient les Fournier, et à Paris où vivaient les Mars, du côté de ma mère. Et un jour, en lisant le journal de Paris, je pus lire : « La Compagnie Marseillaise de Madagascar embauche des jeunes qui ont fini leur service militaire. » La Compagnie Marseillaise de Madagascar était une compagnie commerciale qui avait vingt-quatre agences. J’ai donc choisi cette voie professionnelle, à Paris. Je suis ainsi arrivé à Marseille et j’ai demandé à être embauché. Il m’ont exigé l’accord de mon père et une garantie de célibat. Nous avons ensuite signé un contrat de trois ans à l’issue duquel j’ai eu le choix de me marier et de partir en France ou de rester à Madagascar. J’ai choisi de me marier et de rester à Madagascar, là où sont nés mes enfants. À Tananarive, Morondave, Majunga, Diego-Suares… 


Mais il y a eu une vague de malgachisation. On nous remplaçait, nous Français, par des cadres malgaches, je suis donc rentré en France à Marseille en 1975, où j’ai continué à travailler.


Par la suite, j’ai été engagé par la régie Renault à la SAVIEM, une entreprise de poids-lourds, j’y étais responsable de cinq pays d’Afrique francophone. Je travaillais en France et je faisais le tour de ces cinq pays pour visiter les agences Renault et m’occuper des appels d’offres. J’y ai travaillé jusqu’à la retraite. 


Je suis resté très militariste et suis ainsi devenu membre de l’U.N.C.


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