Protestation sociale en France, le Pendule de Newton

 Manifestation du 19 janvier à Besançon. (Wikimedia Commons)

Par François Petitjean - Consultant et analyste de la communication politique, auteur de Adworld sur la publicité, Toxic sur les médias et Sine capita sur le numérique et l’IA aux éditions du Panthéon.

I. Principe

Les décisions et les prises de parole politiques en France (comme sans doute ailleurs) agissent comme les billes du Pendule de Newton. Le principe de ce pendule est de transmettre l’énergie cinétique de la première bille lancée aux autres billes pour que la dernière en récupère l’effet de balancier. En retombant, le schéma s’inverse et recommence de façon quasi éternelle, les frottements mettant fin au mouvement après un temps si long qu’on pourrait croire au mouvement perpétuel. Dans cette allégorie, la bille lancée représente la décision politique de l’Etat, les billes du milieu les médias, et celle qui récupère l’effet cinétique les oppositions et la protestation populaire.


Le pendule de Newton.

II. Application : Réforme des retraites et effets.


La récente réforme des retraites, portée par Elisabeth Borne, a poussé à son paroxysme le principe de Newton. Le Gouvernement a choisi d’éviter le vote au Parlement par l’article 49.3 de la Constitution qui autorise d’enjamber le vote par une promulgation directe. C’est légal et autorisé. Toutefois, la première bille lancée brutalement (le 49.3) a automatiquement généré un effet cinétique de protestation populaire et parlementaire (mouvement social d’ampleur, grèves, casserolades et protestations parlementaires violentes). Cet état de fait constaté, et peu surprenant, méritait un calcul préalable pour diminuer la brutalité de la décision, soit par un vote assumé au Parlement, soit par un simple rallongement des trimestres laissant le choix aux citoyens de partir plus ou moins tôt à la retraite, avec ou sans décote des versements.


Pour que les billes s’agitent moins haut et moins longtemps, laisser le choix aux français aurait été la décision sage, tout en restant dans un principe d’allongement de la durée de carrière. Après constat des âges réels de départ, on aurait pu légiférer à nouveau sur un « âge légal » un peu plus tard, et sans choc historique.


Plus le premier message est fort, inédit, mal compris ou contraignant, plus l’effet cinétique de la réaction opposée est bruyante et puissante. L’exemple plus ancien fut l’appel, légitime, à la vaccination par E. Macron en juillet 2021, avec mesures d’obligations vaccinales. Il a généré un effet retour équivalent en puissance des oppositions. Au fond, les français ne sont pas mauvais joueurs mais ils détestent les obligations « venues d’en haut », sans aucun appel à leur choix, individuellement.


Cela peut fonctionner dans l’autre sens également. Le célèbre mouvement des gilets jaunes, a été la bille lancée avec violence en direction d’ Emanuel Macron et du Gouvernement du premier quinquennat. La bille retour fut à la hauteur du choc envoyé avec une facture pour l’Etat de 17Mds d’Euros due aux « mesures gilets jaunes ». Les exemples sont nombreux..


II. Les accélérateurs : Chaînes d’information et oppositions


Dans le cas de décisions ou de messages politiques médiatisés, on peut se demander si le mouvement perpétuel n’existerait pas, finalement. Il y a la lancinante diffusion des chaînes d’information en France, renforcée par une forme de répétition des messages qui amplifie les effets sur l’opinion, comme un accélérateur des effets « Newton ». C’est une forme à la fois répétitive, hypnotique et souvent creuse de la politique. Nous ne sommes pas loin des techniques publicitaires, basées sur la répétition et la réaction. Fort heureusement, beaucoup de citoyens prennent le temps de la digestion, du recul et du retour à la lucidité, mais une certaine volonté est nécessaire.


Le social média n’est pas exempt de reproches dans ces effets d’accélération aux conséquences parfois mortifères (black blocs). Le social média renvoie très souvent au terrain, à l’action, ce qui expose les manifestations populaires aux risques de dérives.


III. L’outil : vers un modèle de prévision des stratégies politiques ?


La gouvernance politique n’est pas une science mais une approche philosophique doublée d’un appareil exécutif. Toutefois, si une décision politique implique la nation entière pour produire un effort collectif, utiliser un modèle de prévision type « pendule de Newton » pour évaluer les probabilités de retours, de puissance de durée de ces retours ne serait pas inutile. Car ces retours ont un coût, également financier : vendredi 29 avril 2023, l’agence Fitch a abaissé la note de solvabilité de l’Etat français de AA à AA- en lien avec l’instabilité globale, ce qui relève les taux d’emprunt de l’Etat.


La France est un pays réactif, dans le bon sens comme dans la protestation (ce qui n’est pas toujours le « mauvais sens »), mais il arrive un moment où les effets des réformes ne compensent pas les coûts de ces retours. Ils sont financiers et politiques. On voit bien aujourd’hui en France l’ascension inédite de partis exclus historiquement du pouvoir, les uns jouant le bruit (NUPES) et les autres le silence (RN) comme de simples stratégies électorales à moyen terme. Plus les billes envoyées par le gouvernement montent haut et longtemps, plus leur influence grandit. Cette influence entre dans le panier des « retours » négatifs, et donc dans le coût global provenant de l’instabilité de l’opinion.


IV. Pour résumer : toutes les conséquences ont une cause.


Addendum : Le CEVIPOF (Sciences Po) donne une lecture globale et précise des fractures françaises au travers de deux documents, 2021, 2022 (lien ci-dessous). Cette étude aurait permis d’évaluer l’impact populaire de décisions récentes, et leur potentiel danger politique :


https://www.sciencespo.fr/cevipof/fr/content/les-fractures-francaises.html

Note de l’auteur

Cet article ne représente pas une critique sur le fond des personnes publiques , mais une analyse des choses perçues, des risques liés aux communications du monde politique et des enjeux de celles-ci. Les noms cités ne le sont que pour comprendre leur impact au travers de décisions, de déclarations ou de comportements médiatisés.

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