E. Macron et la stratégie intraverse

 Emmanuel Macron, président de la République depuis 2017.

Par François Petitjean - Consultant et analyste de la communication politique, auteur de Adworld sur la publicité, Toxic sur les médias et Sine capita sur le numérique et l’IA aux éditions du Panthéon.

I. Emmanuel Macron et la stratégie intraverse

On peut définir « l’intraverse » comme quelque chose qui n’existe que dans un endroit, que ce soit dans l’esprit comme une idée, ou physiquement « hors de l’extérieur », donc inaccessible aux éléments perturbateurs ou tempêtueux. Ce mot n’existe pas en français, mais il est utile malgré tout. Il est un emprunt détourné aux univers numériques en extension comme le « multiverse » (univers multiples) ou le récent « metaverse » (univers intégral), et représente une forme de modernité macronienne, pour planter le décor de cet article.

II. Face à l’opinion


L’opinion française est prompte à détester ses dirigeants, et ces derniers font parfois tout ce qu’il faut pour cela. De Mitterrand à Giscard d’Estaing en passant par Sarkozy ou Hollande les rejets ont été légions. Qu’on soit d’accord ou non avec la politique menée par E. Macron on ne peut que constater la permanence de cette règle propre à la sociologie de notre pays. Face à cela, ou plutôt « loin de cela », E. Macron pratique une stratégie intraverse. On ignore s’il s’agit d’une stratégie consciente de sa part, mais c’est le souhait d’une recherche d’efficacité implacable, et hors de l’opinion. Cela pourrait représenter le « faire » face au « dire », avec la couverture média habituelle d’un Président en exercice : une sorte de « quoiqu’il en coûte » en terme d’image et donc potentiellement de confiance vis-à-vis de l’opinion. Les « 100 jours » sont l’expression directe et la suite logique de cette posture. Mais ensuite, il faut livrer.


III. La boite à outils constitutionnels


L’intraverse présidentiel, pour conserver cette approche, s’exprime au travers d’outils propres à devenir des faits, des acquis, des réformes. C’est le recours aux instances européennes (les 140 Mds d’euros de la COVID19), le fait du prince (les 2,5Mds d’euros pour les gilets jaunes), le vote clair de l’Assemblée Nationale (réforme de l’assurance chômage 2022), ou le fameux 49.3 (multiples utilisations pour le PLF, Projet de Loi de Finance). La réforme des retraites entre dans ce cadre, d’où sa promulgation sans vote par un 49.3, pour éviter un rejet par le vote de l’Assemblée Nationale. Naturellement, rien de ce qui est, ou a été, décidé à l’Elysée ne s’écarte des droits fondamentaux accordés par la Constitution aux dirigeants français, ainsi qu’à leur gouvernement. Le Conseil Constitutionnel est là pour valider ce point.


IV. L’émotion oblitérée


Ainsi, l’action gouvernementale peut suivre un chemin que les opposants qualifieront de royal ou d’autres de dictatorial, tirant leurs références des effets sur l’opinion associées aux historiques de carrière du Président français. L’aspect « hors champ » n’est que le reflet d’une approche présidentielle de programmatique simple, avec des outils simples, mais l’opinion a besoin d’images émotionnelles, et on doit bien avouer qu’elles ne sont pas aujourd’hui dans le haut du panier, concernant le Président. C’est l’inconvénient majeur d’une stratégie intraverse mais elle ne s’avère pas bloquante dans la poursuite d’un quinquennat, et ceci d’autant plus lorsque celui-ci ne débouche sur aucun enjeu électoral personnel. Un Président en France ne peut se faire élire que deux fois de suite. Mais les effets politiques à moyen et long terme peuvent être désastreux lorsque les forces en présence se mettent à jouer sur l’émotion, moteur favori des extrêmes, de droite ou de gauche. C’est malheureusement là qu’E. Macron leur offre un boulevard : l’intraverse est anti-émotionnel. Et les extrêmes grimpent.


V. L’enjeu électoral


La démocratie française n’est pas en danger aujourd’hui, ni pour les quatre années à venir. Elle fonctionne sous garantie constitutionnelle, mais l’attribution des pouvoirs au Président, quasiment unique dans le monde démocratique, ne peut se satisfaire du présent. Les quatre années qui viennent, malgré l’intraverse, devront être l’occasion politique de réarmer l’opinion d’espoirs, de respect, et au fond, de confiance, pour avoir une chance d’éloigner les spectres lors de la prochaine élection.


Note de l’auteur

Cet article ne représente pas une critique sur le fond des personnes publiques, mais une analyse des choses perçues, des risques liés aux communications du monde politique et des enjeux de celles-ci. Les noms cités ne le sont que pour comprendre leur impact au travers de décisions, de déclarations ou de comportements médiatisés.

2 Commentaires

  1. Parfaitement en ligne avec cette analyse de Mr Petitjean, qui remet l’église au milieu du village. C’est très pertinent et bien écrit !

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