Démocratie Participative : Mirages et Technologies

 Discours de Périclès par Philipp von Foltz. (Wikimedia Commons)

Le concept de Démocratie Participative est né à la fin des années 1960 en France pour faire face aux lacunes de la Démocratie Représentative et au professionnalisme politique. L’idée était, et reste toujours, de modérer, par l’appel à une participation des citoyens, l’aspect vertical de la Constitution qui confère en France une somme exceptionnelle de pouvoirs au Président de la République. La période que nous traversons ranime cette idée, parfois utilisée, mais qui ne bénéficie d’aucune structure prévue et organisée définitivement. L’autre objectif, plus positif, est d’en tirer quelques idées innovantes au travers d’échanges avec des groupes de personnes représentatifs de la population.


Par François Petitjean - Consultant et analyste de la communication politique, auteur de Adworld sur la publicité, Toxic sur les médias et Sine capita sur le numérique et l’IA aux éditions du Panthéon.


I. Les Mirages


Il y a deux mondes dans le concept de participation politique : celui du partage de la décision sur un mode social entre un pouvoir et les citoyens, et celui de l’application stricte du concept. Le plus connu, et appliqué par le passé, des systèmes de consultation, est le référendum, mais il ne peut techniquement s’appliquer qu’à une question avec réponse « oui-non » dans la plupart des cas.


Cela ne peut donc concerner qu’un thème, universel et simple à définir, permettant de recueillir une réponse nette des citoyens sur un sujet. Toutefois cela ne garantit pas son exécution, comme l’a montré le référendum sur le Traité européen il y a une dizaine d’années.


Pour toutes les décisions complexes (climat, sécurité, immigration, économie, santé, etc…), la participation par un groupe de citoyens peut être un élément de communication pour un effet d’annonce. Elle reste cependant risquée sur le plan de la mise en œuvre car les structures de décision constitutionnelles reprennent immanquablement le relais, les bases de la consultation restant souvent faiblement représentatives. E. Borne, championne de la « concertation », n’a finalement fait que ce que tous les autres premiers ministre et Présidents ont fait : un essai de forme sans modification de fond.


Sur un plan plus philosophique, nos démocraties occidentales génèrent un paradoxe particulier sur la participation : le vote populaire, destiné à désigner un Président est en soi une manœuvre anti-participative puisqu’à son issue, la décision politique est confiée à une personne qui décide seule de qui sera en charge et pour quoi (gouvernement). En creusant encore un peu, on s’aperçoit que les votes réellement représentatifs sont ceux des premiers tours des élections nationales. Ils dépassent rarement le quart ou le tiers des suffrages pour les meilleurs, le second tour étant constitué d’un partage entre un vrai choix et un refus de l’autre. Au fond, la participation est réduite au système technique qui traite l’exécution des choix.


Ce constat de la « mécanique contre le concept » est étendu à toutes les formes de construction d’une communauté économique, les entreprises étant sur un modèle plus directement vertical, mais qui tient de la même logique. La question de la forme reste, on échange, on prend des avis, on consulte mais le « final cut » reste celui du chef d’entreprise, avec un comité de direction acquis par avance la plupart du temps. Ce n’est pas une hypocrisie, mais une question d’exécution et de responsabilité donnée. Le premier, répondant aux actionnaires dans le privé ou au ministre dans le public, est le responsable de l’entreprise. Il est donc logique que la part de décision personnelle dans le choix et la mise en œuvre d’un plan soit la plus vaste. C’est ainsi depuis la nuit des temps, avec des variantes sociales parfois en progrès, mais qui ne changent pas le principe.


II. Les Fausses Solutions


Qu’est-il imaginable alors pour créer une démocratie tout ou partiellement participative, influant réellement sur les décisions, leur communication et leur application dans un climat social apaisé ?


La première réponse pourrait venir de la « volonté politique de le faire » des dirigeants, la Constitution française laissant au Président toute décision. A la suite de l’essai « demi-succès et donc demi-échec » de la fameuse convention sur le climat de 2019, il semble que la volonté ne soit pas de la partie. La seconde réponse vient de la stratégie et du mode de participation. Nous sommes habitués, par culture et aussi praticité historique, à des calendriers, des dates, des échéances décisives, alors que la formule de la participation est un principe linéaire nourri d’un flux permanent. Il ne peut y avoir de participation que dans la possibilité d’exprimer une évolution d’opinion, et non une « dead-line » qui dénature la réflexion par inscription dans le marbre. Les politiques aujourd’hui , le gouvernement en tête, ont dépensé des sommes importantes en sondages avec un rythme qui se rapproche d’une mesure de type « flux » de l’opinion. L’inconvénient est que le sondage en lui-même puisse être interprété, ou que son groupe miroir (échantillon) ne soit pas représentatif. Cela réduit la donnée à une estimation, et non une vérité.


III. La Technologie Participative en perspective


Pourtant, la technologie permet aujourd’hui de se libérer des interprétations et variations méthodologiques par la mesure directe des opinions individuelles. La connexion des citoyens au numérique est suffisante pour imaginer un système volontaire d’expression permanente, sans dénaturer des résultats qui viendraient nourrir des bases de données de manière quotidienne. En effet, comme le montre cette projection de l’évolution du monde des données numériques (Statista 2020) , ces dernières seront multipliées par 3 entre 2020 et 2025. Cette évolution mondiale, dont la France prendra une part équivalente, permettrait à chaque pays démocratique de gérer une masse de réponses en flux quotidien d’opinion sur les 10 principaux sujets ou attentes politiques. Ce serait une sorte de GPS de l’opinion, en constant mouvement et dénué d’interprétation ou de biais méthodologique, dans le respect de l’anonymat : des millions de de réponses par simple clic, synthétisées chaque matin sur le social, la santé, les conflits, l’inflation, l’éducation, la fiscalité, l’Europe, la sécurité, les mouvements politiques etc...



Il y aurait donc la masse, c’est-à-dire le nombre suffisant de participants permettant de dire que les réponses sortent de la gravité d’un simple échantillon, et le flux, par la quotidienneté ou l’instantanéité. La masse et le flux sont les deux piliers de la technique de participation. La technologie, améliorée par la 5G, proposerait alors des solutions de démocratie participative, sécurisées et dans le respect des personnes répondantes. Les experts sauraient construire les thèmes et leur forme mais l’assurance d’une masse de réponses serait un atout indiscutable pour fabriquer une aide à la décision en possédant la connaissance quasi parfaite du sentiment national sur tel ou tel thème, à un instant donné, avec ses variations potentielles. Cela mettrait également l’Etat en responsabilité brute, le miroir en temps réel de l’opinion étant potentiellement partagé par tous.


Les erreurs de communication de l’Etat que nous avons tous observées que ce soit sur l’Ukraine, la réforme des retraites ou antérieurement la crise Covid ou celle des gilets jaunes ont engendré des retards et des mouvements inutiles, ainsi que des coûts, par une méconnaissance des responsables politiques de l’opinion dans sa réalité brute et non sa médiatisation. L’apport technologique ne remplacera jamais la décision d’un gouvernement mais doit pouvoir être un outil politique de vision globale permettant d’agréger les bons arguments et de finalement retrouver ce fameux contact avec les citoyens, aujourd’hui abîmé, voire absent.


La démocratie participative est une expression poétique.

La technologie participative en serait la version réaliste.


Note de l’auteur


Cet article ne représente pas une critique sur le fond des personnes publiques , mais une analyse des choses perçues, des risques liés aux communications du monde politique et des enjeux de celles-ci. Les noms cités ne le sont que pour comprendre leur impact au travers de décisions, de déclarations ou de comportements médiatisés.


2 Commentaires

  1. Et donc on quitte un système bordélique pour en mettre un autre en place tout aussi bordélique, et informatiquement très fragile et pénétrable par le premier crack informaticien venu !

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    1. Je doute que la sécurité informatique soit aussi faible que votre optimisme. Il y a des gens qui savent travailler. Les cracks informaticiens des années 80 n'existent plus depuis le quantique. Je confirme donc que ce système est possible.

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