Politique française : Intérêt Général et Individualisme

 Palais Bourbon.

La période de crise(s) que nous traversons est significative. Elle crée, par la force des choses, de nouvelles politiques de contraintes collectives pour garantir l’avenir (retraites, santé publique), la sécurité (loi de programmation militaire), l’équilibre socio-démographique (future loi sur l’immigration), la cohésion européenne (inflation dans un contexte de solidarité internationale), le progrès (France 2030 numérique) et les lois climat. La liste n’est pas exhaustive.

Par François Petitjean - Consultant et analyste de la communication politique, auteur de Adworld sur la publicité, Toxic sur les médias et Sine capita sur le numérique et l’IA aux éditions du Panthéon.

I. La défiance


Ces exemples font ou feront appel à une forme de compréhension collective de la réalité nationale ou mondiale, mais risquent de se heurter au refus des citoyens dans la phase d’exécution. C’est la confrontation directe de l’intérêt général avec le particulier, sur fond de défiance des citoyens vis-à-vis du politique et de l’autorité en général.



La perte de confiance qui en est la cause dépasse aujourd’hui la seule sphère politique pour toucher également les structures économiques :


II. L’intérêt général pour affronter le présent


Depuis ces crises (sanitaire, conflit, inflation..), donc depuis peu, l’approche politique de solidarité est ressassée sans relâche par l’Etat, mais aussi par l’ensemble des personnes en charge de ces sujets, souvent régaliens. Peu importe que l’on soit pour ou contre. Des lois sont votées ou promulguées et le champ de choix se réduit pour tous et chacun. L’intérêt général est compris par la majorité d’entre nous mais les contraintes qui en découlent le sont de moins en moins, voire pas du tout. L’Assemblée Nationale se voit ainsi bousculée dans ses rôles, dans une perpétuelle recherche de majorité pour l’Etat et une posture de défense des libertés individuelles pour les oppositions. On renvoie face à face le bien commun contre la liberté, comme si les fantasmes soviétiques ranimés par V. Poutine trouvaient un chemin pervers jusqu’à nous. Un comble.


Cette frontière entre l’idée acceptée et l’action à entreprendre refusée ne tient pas seulement à quelques idéologues plus ou moins protectionnistes. Cette tendance est aussi le cadre stratégique qui a été choisi par la politique depuis 2017, rendant concrète une direction plus ancienne de mise en valeur de l’individu plus que du groupe. Naturellement, on s’insurge assez collectivement contre les absurdités complotistes de type Trump ou Zemmour mais n’y a-t-il pas aussi une part importante d’évolution des sociétés vers un individualisme au sens quasi-politique. Comme dans tous mouvements excessifs, il y a une part de participants moins extrême. Cette « majorité silencieuse », un peu suiveuse mais plus réfléchie et probablement assez vaste, s’étonne de voir d’un seul coup pleuvoir des contraintes « venues d’en haut », alors qu’on lui avait vendu l’accomplissement personnel comme valeur essentielle. Le mode de vie moderne et le sens politique avaient en effet, depuis l’après-guerre, tourné le volant vers la liberté individuelle, comme axe principal de développement national, et avec succès dans de nombreux domaines. (Les 30 glorieuses de 1946 à 1973 interrompues par le choc pétrolier de 1973).


III. Politique individualiste en 2017, retour au groupe en 2023


L’éclatement des partis, voulu et partiellement réussi par E. Macron, partait du principe que l’avènement des technologies de pointe associé à la recherche d’efficacité politique tous azimuts ne pouvait s’appuyer que sur une majorité d’initiatives individuelles et de réussites personnelles. En terme d’image c’était assez réussi puisqu’E. Macron était lui-même l’exemple de la réussite de la jeunesse au plus haut niveau de l’Etat. Dans cette perspective, un dogmatisme, qu’il soit de droite ou de gauche, n’a plus sa place puisque c’est l’action menée par des individus qui remplace les valeurs d’un groupe. Le pari d’E. Macron était donc une addition de productions et non une production collective, pour ne parler que de l’aspect économique. Cela ne signifie en aucun cas que chacun de nous n’a plus le sens des valeurs, mais que la démarche devient plus personnelle que communautaire, plus orientée sur l’ego, moins sacrificielle, en quelque sorte.


IV. Individualisme et Start up nation


Il y a eu, et il y a encore, beaucoup d’éléments de preuve pour abonder cette réflexion politique (ici résumée) et la mener à bien : la médiatisation de startups mettant en perspective le nouveau versus l’ancien avec des résultats visibles et attribuables aux personnes nominativement. Les stars de la réussite 3.0 sont encore au cœur des assemblées politico-économiques (Elon Musk à Versailles pour le « Choose France » 2023). Le nombre de jeunes cadres en mal-être dans les entreprises qui ont muté vers des métiers différents, parfois numériques, parfois artisanaux, souvent dans la tendance écologique, est aussi un indice de la recherche d’accomplissement individuel. Les responsables d’entreprise (DG, RH etc..) savent aujourd’hui à quel point il est difficile de convaincre des candidats de valeur sur des thèmes autres que la perspective, si possible dans un terme court. La communauté n’est pas refusée en tant que telle, elle doit simplement être choisie, ne pas être un passage obligé. Il en va de même pour l’effort au travail. Un travail « alimentaire » ne sera l’objet que de questions sur les avantages, alors qu’une micro-entreprise créée par la même personne lui vaudra des semaines de 60 heures et plus, et dans la joie. Les exemples sont nombreux, et l’approche stratégique d’ E. Macron avant 2017 et après ne s’inspirait finalement que d’un réel en cours, fort en rêves avec le risque de déception qui va avec.


Une autre preuve, sur un plan plus politique mais tenant de la même logique, a été l’adhésion très rapide à cette stratégie, de responsables de haut niveau dans des partis autrefois adversaires. Il s’en est suivi de nombreux recrutements par l’ex LREM (aujourd’hui Renaissance) à Gauche, à Droite et au Centre ( G. Darmanin, B. Lemaire, E. Wurtz, G. Collomb, F. Bayrou entre autres..). A l’époque, on se serait cru chez Google en train de recruter chez Microsoft. Malheureusement (ou pas), la vie n’est pas un tableau Excel, même avec le sel et le poivre des réseaux sociaux. L’état d’urgence sanitaire de 2020, suivi de la guerre en Ukraine, ont rappelé aux politiques que l’urgence nationale et internationale n’a que faire des évolutions culturelles. Quand on est un virus, ou un despote sanguinaire, l’individualisme de la cible est une aubaine.


V. L’intérêt général au service de l’individu


La France, comme d’autres pays occidentaux, est donc à la croisée des chemins en cette mi-2023. Il est clair que les démocraties, face aux dangers, doivent consolider de nombreux aspects laissés de côté au siècle dernier et en début de 21e. L’impact de ces nécessités, sur un plan politique, est immense car il conduit à inverser les schémas auxquels les citoyens se sont habitués sur plusieurs générations. La construction économique reste un élément majeur mais ne suffit plus à engendrer une cohésion nationale car les efforts à produire ne seront pas seulement d’ordre financiers à l’avenir.


Dans une société où l’individu prime, la gageure politique est donc de retrouver l’esprit de communauté et de solidarité sans proposer de retour en arrière. Ce ne sera pas aisé, mais jamais dans nos pays démocratiques, l’idée de privilégier l’intérêt général n’a empêché ou freiné l’expression individuelle.


C’est ce qui protège face à ce qui détruit, depuis toujours.


Note de l’auteur


Cet article ne représente pas une critique sur le fond des personnes publiques , mais une analyse des choses perçues, des risques liés aux communications du monde politique et des enjeux de celles-ci. Les noms cités ne le sont que pour comprendre leur impact au travers de décisions, de déclarations ou de comportements médiatisés.


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