■ Tout est une question de caractère par le Docteur Émile Guibert (Éditions Favre).
Nombreux sont ceux à donner une dimension mystique au hasard, transformant ce concept que Cournot définissait comme « la rencontre de deux séries causales indépendantes » en Providence. Ainsi n’est-il pas rare d’entendre des affirmations telles que « le hasard fait bien les choses » en guise d’aveu de faibless e face à la précipitation que prend parfois le cours des événements. Aristote distinguait le hasard dit fortune (du grec ancien tuché) du hasard autonome (automaton) ; le premier étant réservé aux interactions humaines, le second tentant d’expliquer l’inexplicable. Ce désir intemporel de résoudre des énigmes qui repoussent les limites de la compréhension humaine n’a cessé de débrider les consciences, offrant une matière considérable aux philosophes et aux auteurs.
La psychologie, science qui étudie les phénomènes de l’esprit, tend à donner un ton rationnel au « fatum », ce destin aux formes nébuleuses, derrière lequel on tend à se ranger. En levant le voile sur le psychisme des individus, on parvient intrinsèquement à mieux comprendre le comportement d’autrui. La caractérologie, sous-classe de la psychologie qui se base sur la catégorisation des caractères, s’oppose ainsi directement à la dimension philosophique de l’existence humaine.
Et si ce hasard auquel on se réfère quand on est à court d’idées logiques était le fruit de la caractérologie, versant méconnu de la psychologie ? Et si nos relations avec les autres et avec nous-mêmes s’avéraient être la somme d’une équation de caractères, compatibles ou non, confrontés à des situations données ? Telles sont les questions que soulève la lecture de « Tout est une question de caractère ! », ouvrage écrit par le docteur en psychologie Émile Guibert paru aux éditions Favre. Bouleversant nos idées reçues sur le destin, modifiant notre rapport au monde, ce livre nous propose une initiation des plus accessibles à la caractérologie qui, après l’avoir achevée, remettra en question notre conception de ce que nous appelons fatalité.
I – Une approche accessible de la caractérologie
Psychologue clinicien puis chargé de cours à la faculté d’Aix/Marseille où il a lui-même étudié, le docteur Émile Guibert propose dans « Tout est une question de caractère ! », sorti en avril 2025, une introduction à la caractérologie, un pendant de la psychologie qui s’intéresse aux types de caractères humains. Sous forme de guide pratique en vue d’une amélioration de la connaissance de soi et de ses relations interpersonnelles, l’ouvrage propose d’identifier les profils psychologiques de façon détaillée et ludique par des exemples concrets.
Comme nous l’apprenons dans le préambule de l’ouvrage, la caractérologie prend racine dès l’Antiquité, notamment chez Hippocrate qui distinguait quatre humeurs corporelles : le sang, la bile, l’atrabile et le flegme, qui deviendront des tempéraments distincts : sanguin, colérique, mélancolique et flegmatique. Cette typologie a influencé les travaux de l’université de Groningue menés par le psychologue Heymans et le médecin Wiersma durant les années 1930. Plus tard, le philosophe et psychologue René Le Senne en a repris les bases pour y adjoindre des problématiques contemporaines, fondant ainsi la caractérologie moderne. Émile Guibert s’inscrit dans cette filiation tacite en renouvelant l’approche par une relecture comportementale et culturelle. Les huit types de caractères : le nerveux, le sentimental, le colérique, le sanguin, l’apathique, le passionné, l’amorphe et le flegmatique, sont finement détaillés dans une suite de chapitres qui leur est consacrée. Le Dr Guibert démontre combien nos jugements intuitifs sur les autres reposent sur des bases psychologiques solides. À cela s’ajoutent trois dimensions fondamentales : l’émotivité, l’activité et le retentissement, qui jouent sur nos perceptions et nos affinités.
C’est à travers le prisme de notre caractère et des réactions comportementales qui en découlent que nous évoluons et interagissons avec autrui, puisque celui-ci forme « le squelette de la personnalité, stable et congénital, alors que la personnalité se développe à travers les expériences de vie et les choix personnels. » Compte tenu de cela, l’existence du hasard dans les relations interpersonnelles peut être remise en cause attendu que nos affinités ainsi que nos rejets incombent aux caractéristiques de nos caractères.
II – De Ghostface à René : des exemples pluriels
Afin de faciliter la compréhension du lecteur, Émile Guibert illustre ses propos en s’appuyant sur des exemples culturels, notamment issus de la littérature ou encore du cinéma international. Ceux-ci permettent au lecteur de mieux saisir les nuances des différents types de caractères. La pluralité des exemples ainsi que leur diversité permet non seulement d’apporter une touche ludique à l’explication didactique, mais aussi de capter l’attention d’un large public. Aussi retrouve-t-on une analyse des plus rigoureuses sur un plan littéraire de René de Chateaubriand lors du chapitre consacré au sentimental, laquelle nous emmène à envisager qu’une grande part des héros romantiques du début du XIXᵉ siècle appartient à ce caractère. Aussi, la question de l’archétype littéraire se pose. On peut donc se demander si le mouvement romantique n’incarne pas une mise en abîme d’un sentimentalisme encouragé par les instabilités politiques ou s’il n’est qu’un engouement amorcé par le succès d’Adolphe de Benjamin Constant. Une des forces de l’ouvrage étant d’étendre la réflexion et de nous emmener à poursuivre de nouveaux angles de vue.
L’éclectisme des exemples permet également de retrouver des personnages mythiques du cinéma international, offrant des intermèdes récréatifs entre les passages explicatifs et les références plus doctes.
L’analyse du personnage de Ghostface dans la partie consacrée aux nerveux se révèle des plus intéressantes. Tueur emblématique du premier opus de la saga « Scream » de Wes Craven, Billy Loomis, dissimulé sous un masque blanc fantomatique, n’est pas qu’un adolescent aux pulsions psychopathiques. Il sert également, dans le cas présent, à mettre en abyme le caractère nerveux. Émile Guibert définit le nerveux comme une personnalité pour qui « le présent est une scène vivante » dont « l’instabilité émotionnelle peut être une source de souffrance » et dont l’inconstance engendre un continuel besoin de changement. Cette versatilité veut que le nerveux, en quête de constantes stimulations, soit particulièrement en proie aux addictions et aux extravagances. La volonté de plaire s’avère des plus pressantes pour ce type de caractère qui trouve dans le badinage une satisfaction momentanée.
Dans « Scream », Billy Loomis est doté d’un attrait pour la séduction. Pendant l’enquête, il parvient aisément à mettre en confiance les policiers lors d’une interpellation d’où il ressortira libre. L’adolescent n’est pas seulement un impulsif, puisqu’il est à la fois dominé par sa colère vis-à-vis de Sidney Prescott qu’il tient responsable du départ de sa mère, et par la vulnérabilité qu’engendre sa propension à la mélancolie. Loomis cite notamment « Psychose » dans la réplique qui précède la révélation de son identité : « Nous sommes tous un peu fous à notre manière », illustrant pleinement son admiration pour Norman Bates dont il partage le même complexe d’Œdipe et dont il imite la démence. Loomis est donc, selon la catégorisation d’Émile Guibert, un nerveux qui a mal tourné, puisque sa psychopathie l’a empêché de développer « ce pouvoir » d’allier force et vulnérabilité pour se concentrer sur l’insurrection, la vanité et le mensonge.
Catherine Tramell (Basic Instinct) illustre, de son côté, le flegmatique, froid et calculateur, tandis que Michael Corleone (Le Parrain) représente le passionné, autoritaire et ambitieux. Ally McBeal, héroïne de la série éponyme, incarne, quant à elle, le sentimental, avec son incapacité à s’inscrire dans le moment présent et sa propension à la rumination. Nous nous souvenons notamment des rebondissements autour de son histoire d’amour impossible qui a marqué les trois premières saisons.
En effet, Ally, jeune et jolie avocate, partage son quotidien entre ses dossiers et son amour impossible pour Billy, son premier amour désormais marié et en poste dans son cabinet. La jeune femme apprend dès son premier jour en tant que collaboratrice de Cage & Fish qu’elle sera amenée à travailler avec Georgia, sa rivale. Ally, tiraillée par la morale et bientôt son amitié pour cette dernière vivra une histoire d’amour fantasmée, principalement de l’ordre du fantasme. Incapable de passer à l’acte, elle sera freinée par ses ruminations et l’inactivité propre à son caractère. Amoureuse de l’amour plus qu’elle ne l’est de Billy, l’avocate se complaît dans son imagination où se réalisent toutes ses volontés. Personnage complexe et attachant, Ally incarne un romantisme moderne où le mal d’aimer, ce malaise induit par les pressions sociales autour du couple, prédomine au point de lui retirer tout discernement quant à son bien-être personnel.
Pour donner vie au sanguin, Émile Guibert met au premier plan un épisode mythique de Columbo, « Votez pour moi », où Peter McGoohan incarne Oscar Finch, avocat qui assassine son ancien associé pour ne pas être compromis. Incarnant pour la troisième fois un « méchant » au sein du célèbre feuilleton, McGoohan livre ici une performance marquante. Cynique, froid, calculateur, Finch représente l’archétype du sanguin dont l’empathie est limitée et l’introspection prépondérante. Ceux-ci appréciant particulièrement avoir l’ascendant sur des caractères qu’ils considèrent comme intellectuellement inférieurs, il est d’autant plus cocasse d’admirer les confrontations entre Columbo et Finch. La tactique du lieutenant étant de se faire passer pour plus sot qu’il ne l’est pour coincer ses suspects, le spectateur est témoin d’un rapport de force inversé des plus jouissifs. Finch se considérant - en bon sanguin - comme supérieur à quiconque et Columbo se jouant de sa vanité.
Ces différentes études de cas contribuent à rendre l’ouvrage agréable à lire. La diversité des personnages permet de satisfaire une grande part du lectorat attendu qu’ils répondent aux attentes d’un large panel. De plus, les brefs questionnaires qui ponctuent les chapitres parachèvent l’apprentissage du lecteur quant à son caractère. Aussi, une fois notre propre profil établi, pouvons-nous nous atteler à rechercher nos compatibilités ou, à défaut, comprendre l’essence de vieilles inimitiés jusqu’alors inexpliquées.
L’épigraphe de l’ouvrage, « Connais-toi toi-même », confirme la dimension philosophique de l’œuvre qui dépasse ses enjeux en matière de psychologie. La citation attribuée à Socrate renvoie à la tradition antique des oracles où l’on se tournait vers le ciel pour en apprendre davantage sur soi. La psychologie, et plus précisément la caractérologie, fait désormais office de Pythie, puisqu’elle permet un approfondissement de son propre système cognitif. Le hasard n’étant plus réservé qu’à des événements extérieurs, l’automaton aristocélien, puisque les interactions humaines relèvent des conséquences de nos caractères.
Avec un style d’écriture clair, Émile Guibert parvient à décortiquer le sujet sans tomber dans les pièges de la redondance. Les analyses en appellent aussi bien aux souvenirs qu’à des situations de la vie quotidienne, tant elles sont imagées et universelles. Si nous pourrions craindre – de prime abord – le possible côté rébarbatif de l’énumération des caractères, le fait que le livre soit ponctué d’exemples, de tests et de digressions élargit le regard du lecteur, l’empêchant de relâcher son attention.
« Tout est une question de caractère ! » est une œuvre accessible aux novices comme aux professionnels de la psychologie qui, dans sa volonté de démocratiser la caractérologie, instruit sans simplifier, éclaire sans caricaturer. En s’appuyant sur des concepts clairs, Émile Guibert lève le voile sur les comportements humains dans ce guide pratique qui réussit le double pari, celui d’améliorer les relations interpersonnelles et de transcender la connaissance de soi.
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