
■ Benjamin Nétanyahou et Vladimir Poutine, en 2019, en Russie (© Amos Ben Gershom, GPO).
Trois ans plus tard le bilan de cette guerre est catastrophique pour Poutine et son pays: Volodymyr Zelensky est toujours en place à Kiev avec un fort soutien de sa population, l’Ukraine s’est considérablement rapprochée de l’Europe de l’Ouest, et la Russie a uniquement gagné quelques milliers de kilomètres carrés de territoire qui sont réduits à l’état de champs de ruines. Par ailleurs l’économie russe ne tient que dans le cadre d’une (dés)organisation d’économie de guerre et une dépendance accrue à la Chine. Et puis, plus important encore, il faut mentionner le terrible bilan humain: on parle de plus de 100 000 morts et plusieurs centaines de milliers de blessés côté russe. Des gains ridicules, des pertes colossales, Poutine a durement et durablement affaibli son pays d’un point de vue démographique, politique, symbolique, moral et économique.
Dans ce contexte un cessez-le feu ou une vraie paix sont impossibles à envisager pour Poutine ; en effet un arrêt des combats, a fortiori sur la durée, en figeant la situation et donc en actant l’échec patent de cette guerre puisqu’aucun des objectifs initiaux n’a été atteint, affaiblirait fortement l’image et la position du dirigeant du Kremlin. Même sous une dictature, même avec une population soumise à une propagande effrénée, les citoyens russes se rendraient bien compte que l’Ukraine n’a pas basculé dans le giron russe, que leur pays n’est pas plus fort, et que l’avenir n’a rien de radieux. Poutine a désormais besoin de la guerre pour continuer à entretenir la fiction d’une possible victoire, et par ricochet il a besoin de la guerre pour rester solidement au pouvoir. Arrêter la guerre c’est reconnaître son échec personnel et en souligner la totale absurdité. Ici c’est la question de la survie politique de Poutine qui est en jeu.
Dès lors continuer à penser qu’il va s’asseoir à une table de négociations relève du fantasme, d’une approche presque naïve, et les incessants revirements russes dans leurs échanges avec les Américains ou d’autres médiateurs en témoignent au quotidien. L’objectif de Poutine est de gagner du temps, encore et encore. SI la guerre doit durer encore 5 ou 10 ans, quelle que soit son intensité, quelles que soient les pertes, il la poursuivra. Poutine négociera uniquement s’il a un intérêt personnel à le faire, c’est-à-dire si la situation russe sur le front devient tellement difficile, intolérable, qu’elle ne peut plus lui garantir la fidélité de ses troupes ou si les sanctions économiques – réellement appliquées – mettent son économie et son pays à genoux. Poutine ne négociera que sous la contrainte extrême.
Malheureusement cette extension indéfinie de la guerre comme méthode de maintien au pouvoir n’est pas propre à Poutine et la situation en Israël avec Benyamin Néthanyaou en est un exemple terrible. Bien sûr il faut rappeler que c’est le Hamas qui a déclenché la guerre à Gaza suite aux tragiques massacres du 7 octobre qu’on peine encore à qualifier (pogrom ? actes d’extermination ? razzia ?), et qu’Israël est l’agressé. Mais la riposte déclenchée en représailles a basculé depuis longtemps dans l’indéfendable. Là aussi aucun des objectifs initiaux de Néthanyaou n’a été atteint : le Hamas existe toujours, plusieurs dizaines d’otages sont morts ou sont encore retenus à Gaza, l’image d’Israël est dégradée comme jamais, et surtout la population palestinienne paye un tribut inouï à cette guerre, avec des dizaines de milliers de victimes, des centaines de milliers de déplacés et de réfugiés. Et alors que Nétanyahou pourrait arrêter cette guerre qui ne mènera à aucune victoire il la poursuit et semble l’intensifier, au mépris de toutes les vies humaines, y compris celles de ses concitoyens.
Là encore il le fait pour survivre politiquement. L’arrêt de la guerre signifierait pour le Premier Ministre israélien un examen terrible de son bilan avec le fiasco sécuritaire du 7 octobre, un examen terrible de ses résultats avec cette guerre. En outre cela réactiverait les multiples poursuites judiciaires dont il fait l’objet et qui sont passées au second plan avec le conflit. La guerre pour Néthanyaou est la condition nécessaire à son maintien au pouvoir et il s’en accommode avec un cynisme absolu.
Cette situation pose en outre des questions lancinantes dans un le cadre démocratique qu’est celui d’Israël : comment un homme peut-il l également prendre des décisions aussi nuisibles à son pays ? comment les institutions, le pouvoir législatif et judiciaire, peuvent laisser commettre des actes qualifiés de « crimes de guerre » par la CPI ? L’absence de réponse est vertigineuse.
Mais contrairement à la guerre en Ukraine cette guerre est beaucoup plus simple à arrêter car Israël reste un pays avec des structures démocratiques : si les Etats-Unis cessent leurs livraisons d’armes à Israël, si l’Union Européenne remet en cause immédiatement ses accords économiques, Néthanyaou n’aura pas d’autre choix que de stopper la guerre à Gaza, sous la pression des ses concitoyens et des représentants politiques. Ici une issue rapide est donc possible et il faut la faire advenir. C’est aussi notre responsabilité de citoyens d’états démocratiques.
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