« Les chroniques de l’Empire » - Louis-Etienne Saint-Denis, dit « Ali », le Mamelouk de l’Empereur

 Louis-Etienne Saint-Denis (1788-1856).

Par Werner Legrand-Montigny - Chroniqueur du Contemporain.

Valet de chambre, serviteur de Bonaparte, Louis-Etienne Saint-Denis, dit « Ali », est à porter au nombre du carré de fidèles lors des derniers instants de l’Aigle. Il sera des bons comme des mauvais moments, toujours aux côtés de l’Empereur. Témoin de scènes familiales touchantes, il devient, par la force des choses, un intime de Napoléon. Son ouvrage, « Souvenirs sur l’Empereur Napoléon », reste un document précieux.

Louis-Etienne voit le jour en septembre 1788, issu d’une famille versaillaise, son père Etienne, est piqueur aux écuries royales et quant à sa mère, Marie-Louise Notté, elle est fille d’officier. Doté d’une éducation convenable, il est petit-clerc en l’étude de Maître Colin, notaire à Paris. Peut-être s’ennuyait-il dans ses fonctions, car son père, qui connaissait le Grand-Ecuyer et général de l’Empire, Armand-Augustin de Caulaincourt, parvint à le faire entrer aux équipages de la Maison de l’Empereur en mai 1806. Il est des voyages de Bonaparte en Espagne, en Allemagne ou encore en Hollande

Mais avant d’évoquer plus précisément le rôle de Louis-Etienne Saint-Denis fin 1811, il convient d’effectuer un point sur le nombre de mamelouks qui ont été au service de Bonaparte.

C’est en 1799 que Napoléon ramène de sa campagne d’Egypte, deux authentiques mamelouks, dignes de l’appellation. Il s’agit de Roustam et Ali, (cet Ali n’est pas Louis-Etienne). Ce dernier est un agité, doté d’un caractère porté à la querelle. Napoléon s’en sépare promptement, et l’exile en Belgique où il se fera oublier.

Quant au mamelouk Roustam, c’est une figure inséparable de l’Empereur. Il est de tous les triomphes de l’Empire, et reçoit sa part d’honneur et de dotations.

Bonaparte en est bien mal récompensé. En effet, Roustam l’abandonne suite à l’abdication de Fontainebleau en avril 1814. Il en sera de même pour Constant, son premier valet de chambre, qui trahit également son maître et bienfaiteur, tout en dérobant de l’argent et quelques bijoux dans sa fuite.

Lui aussi n’avait pourtant pas à se plaindre, l’Empereur s’étant toujours montré large avec lui durant ses quatorze années de service.

La fidélité des hommes est souvent idéalisée, et en a déçu beaucoup. Bonaparte n’a pas échappé à cet effroyable sentiment d’abandon, de trahison.

Laissons-là ces traîtres et revenons à Louis-Etienne Saint-Denis et son entrée en scène.

Avant les piteux épisodes de ces fuyards de 1814, Constant et Roustam sont au service de l’Empereur. Un jour, Roustam tombe malade et doit être remplacé. Etienne-Louis Saint-Denis est présenté à Napoléon lors d’une journée de chasse en décembre 1811. Après quelques questions d’usages, disant savoir lire et écrire, il passe dès lors au service intérieur, revêtant l’habit mamelouk. C’est là qu’il reçoit le surnom d’Ali, qu’avait porté avant lui, le tempétueux compagnon de Roustam.

Son travail consiste à seconder son maître à la toilette, lui servir ses repas, veiller à ses affaires personnelles et son intérieur. Même si cela demande un certain temps, ce nouvel Ali connait de longues heures d’inactivité, mais dès que l’Empereur parait, tout le monde se met en ordre de marche.

Durant la campagne de Russie, Saint-Denis fait état dans ses mémoires avoir pénétré avec l’Empereur dans un Kremlin vide. Il écrit : « Quelle dut être la pensée de l’Empereur en considérant le spectacle sublime, mais bien triste, de cet océan de feu qui l’enveloppait et qui faisait une île du Kremlin ? »

Plus loin dans ses écrits, il évoque toutes les désolations occasionnées par les flammes sur la cité moscovite.

Il mentionne également les souffrances endurées par les soldats lors de la retraite. « On avait froid, on avait faim, la marche était pénible ; à chaque couchée, le nombre des hommes, des chevaux, des canons, des caissons et voitures était moindre qu’à la couchée précédente. » (…) « Celui qui s’arrêtait, n’ayant plus la force de marcher, était un homme perdu, la mort le saisissait promptement. Combien de soldats restés sur la route ! » Comme tant d’autres avec lui, Saint-Denis revient profondément marqué psychologiquement et physiquement.

 Napoléon dans Moscou en feu, par Adam Albrecht

Une fois revenu à Fontainebleau, Saint-Denis, évoque l’abandon de la plupart des officiers qui, naguère, s’empressaient autour de l’Empereur. Comme évoqué plus haut, « Constant et Roustam, à qui il avait donné toute sa confiance et dont il avait fait la fortune, crurent eux aussi faire un acte méritoire en imitant les grands qui avaient déserté sa cause. »

Seules quelques poignées de soldats, bien moins couverts d’honneurs et de richesses, restent fidèles.

En exil sur l’île d’Elbe avec son maître, Saint-Denis évoque, entres autres arrivées successives, celles de Madame-Mère, la princesse Pauline, Marie Walewska et son fils, né de ses amours avec Napoléon.

Les officiers suivent également : « Le Grand-Maréchal, le général Drouot et le général Cambronne. » Un certain nombre de personnes attachées au service de la maison impériale de France est aussi du voyage et s’active sur cette l’île. Pour maître d’hôtel, Bonaparte prend Cipriani, corse comme lui, qui a toute sa confiance et celle de la famille impériale.

Tout ce monde s’accommode des conditions qui ne sont pas si mauvaises au fond. L’Empereur entreprend par ailleurs, plusieurs travaux d’aménagements des bâtiments où il loge avec les siens. La vie quotidienne s’installe, au rythme de l’étiquette, toujours en vigueur.

Saint-Denis conserve des souvenirs étonnamment précis, sans concessions, des traits physiques et des caractères de certains membres de la famille impériale.

« Madame-Mère, dans son jeune âge, devait être une beauté de premier ordre. Sa figure était bien coupée : les traits d’une grande régularité ; la bouche ni trop grande, ni trop petite ; les lèvres minces ; le nez presque droit ; les yeux bruns, bien fendus, brillants et fort expressifs ; dans son regard, il y avait quelque hauteur de sévérité. Mais la beauté de tous ses traits perdait une partie de son effet par l’épaisse couche de fard qu’elle avait sur les joues ; ce qui ne s’harmonisait pas avec son âge, lequel eût demandé plus de naturel dans la teinte de la peau. Trop de rouge ne va pas avec les rides. »

Plus loin dans le texte, Saint-Denis ajoute « qu’elle était dévote et qu’elle passait pour être très avare. »

Quant à la princesse Pauline, il écrit : « Sa personne, suivant ce qui était apparent, avait toutes les belles proportions de la Vénus de Médicis. Il ne lui manquait alors qu’un peu de jeunesse, car la peau de sa figure commençait à rider ; mais les quelques défectuosités résultant de l’âge disparaissaient sous une légère teinte de fard qui donnait plus de d’animation à sa jolie physionomie. Elle avait des yeux charmants et fort éveillés ; la bouche était des mieux meublées, et les mains et les pieds du plus parfait modèle. » (…) « Elle se disait toujours souffrante, malade ; quand il fallait qu’elle montât ou descendît un escalier, elle se faisait porter sur un carré de velours garni des deux côtés de rouleaux à poignées ; et cependant, si elle était au bal, elle dansait comme une femme qui jouit d’une très bonne santé. Tous les jours elle dînait avec l’Empereur qui, de temps à en temps, se plaisait à l’asticoter, à la plaisanter. Un soir, elle fut si dépitée de ce que l’Empereur venait de lui dire, qu’elle se leva de table et s’en alla chez elle les larmes aux yeux. Du reste, la bouderie ne durait jamais bien longtemps ; car l’Empereur montait la voir le soir ou le lendemain matin, et toute petite rancune disparaissait promptement. »

Il arrivait fréquemment lors de repas champêtres, que les choses se déroulent avec simplicité et bonne humeur. Assis sur des nappes ou debout, tout un chacun devisait avec son voisin et l’Empereur servait les dames, tandis que les hommes se servaient eux-mêmes. Cette parenthèse, cette vie de famille, quasiment bourgeoise, prit fin lors du retour en France de Bonaparte. Les Cent-Jours étaient là, et nous savons tous ce qui en est advenu.

Quant à Saint-Denis, il n’a dès lors plus quitté Napoléon, jusqu’à la fin, sur cet affreux rocher de Sainte-Hélène.

En compagnie de Louis Marchand, premier valet de chambre attaché au service de l’Empereur, il a tout fait pour adoucir, autant que faire se peut, les conditions d’existence de son maître à Longwood House. Durant les six années qu’il vécut à Sainte-Hélène, jusqu’au trépas de Bonaparte, Saint-Denis devint son bibliothécaire et second copiste, d’après Montholon.

Il recopie, en compagnie du fils de Las Cases, de nombreux textes du célèbre « Mémorial ».

« C’est ainsi que le fils de Las Cases et Ali servirent de « machines » à recopier et à intégrer les incessantes corrections qui sortaient du cabinet de travail ou de la salle de billard de Longwood. » Le quotidien est rythmé par ce travail de mémoire et d’écriture. L’existence maussade et pesante n’a évidemment guère de reliefs pour Napoléon. Il ne trouve qu’un dérivatif principal à cela, se plonger dans ses souvenirs et l’œuvre d’écriture.

D’autre part, Gourgaud rapporte qu’Ali apportait les journaux à Bonaparte, s’occupant également de sa précieuse bibliothèque de 3000 volumes.

Sur les derniers temps, et sentant que sa vie lui échappait, l’Empereur fit rédiger son testament. Bertrand écrit : « Soucieux de ne plus mettre ses domestiques en état de ne plus servir personne, il laisse 100.000 francs à Ali. »

Saint-Denis veille sur l’Empereur jusqu’à la fin. Bertrand déclare encore : « Chacun redoublait de zèle, de persévérance, voulant donner une dernière marque de dévouement. »

C’est encore Saint-Denis et Bertrand qui procèdent à l’ultime habillement de Bonaparte, le revêtant de son « uniforme complet des chasseurs à cheval de la Garde impériale. »

 Louis-Etienne Saint-Denis à Sainte-Hélène (désigné par une flèche). A ses côtés se trouve son ami le valet de chambre Louis Marchand.

A son retour en France en 1821, il s’occupe de ses trois filles qu’il aura de Mary Hall, épousée en octobre 1819 à Ste Hélène. La famille se fixe en Bourgogne à Sens et c’est à compter de ce moment que Saint-Denis commence à rédiger ses mémoires.

Il écrira : « Mes filles doivent toujours se rappeler que l’Empereur était mon bienfaiteur et, par conséquent, le leur ; la plus grande partie de ce que je possède, je le dois à sa bonté. »

En février 1854, il est fait chevalier de la Légion d’Honneur par Napoléon III et quelques années auparavant, Louis-Etienne Saint-Denis participe au voyage de Retour des Cendres de l’Empereur en 1840.

Par la suite, Saint-Denis lègue au musée de Sens plusieurs objets, dont un habit de chasseur porté à Ste-Hélène et des livres annotés de la main de l’Empereur.

Au terme de ce récit, posons-nous la question suivante. Napoléon et Louis-Etienne ont-ils noué des liens autres que ceux de maître à serviteur ? Il n’y a pas de certitude sur ce point, mais nous aimons à penser que oui.

Le récit minutieux et le travail d’écriture de Saint-Denis fourmille d’anecdotes au regard de l’Empereur et de ses compagnons d’exil. Certaines sont tout à fait étonnantes et mettent en lumière bien des aspects ignorés de son caractère. Mais ceci est une autre histoire.

Références de l’auteur

  • Souvenirs sur l’Empereur Napoléon, de Louis-Etienne Saint-Denis.
  • Napoléon à Sainte-Hélène, de Las Cases, Montholon, Gourgaud, Bertrand.
  • Dictionnaire Napoléon, de Jean Tulard, universitaire et historien, membre de l’Institut de France.
  • Connaissez-vous les (vrais) Mémoires de Napoléon ?, de Thierry Lentz, universitaire et historien, directeur de la fondation Napoléon. (Article paru sur LinkedIn, le 11 octobre 2023)
  • Louis-Etienne Saint-Denis, le Mamelouk Ali, de Napoléon, de Gérard Daguin, journaliste et écrivain. (Article paru sur le site : Histoire de Sens ville d’Yonne, le 02 juillet 2021)

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