Guerre et paix au XXIème siècle

 Homme de Vitruve.

Par Michel Dray - Historien, ancien directeur-général du Comité de coopération inter-universitaire de Méditerranée, coordinateur du cercle de réflexion international Zone Libre. Auteur de trois pièces de théâtre : Mes désirs font désordre (1994) Répéter en Paix (2000) et Les hommes sont pas des anges (2010). Concepteur de deux expositions : lune sur Albert Memmi intitulée Memmi un homme dans le siècle et une autre sur le Capitaine Dreyfus à partir de documents inédits des archives d’outre-mer d’Aix-en-Provence.

D’évidence l’Histoire n’a rien d’une science fût-elle humaine : rendez-vous manqués, rencontres improbables, interrogation perpétuelle sur la question du pouvoir. Ce roman si singulier qui raconte nos pérégrinations depuis l’aube de l’humanité, devrait, en principe, nous aider à éviter les erreurs ; bref à être meilleurs. Mais au final, nous sommes des cancres qui n’ont rien appris ni rien oublié ; aussi l’homme d’aujourd’hui n’est-il pas loin de ressembler à l’homme d’hier. Car, si nous avons appris en moins d’un siècle beaucoup plus qu’en quarante, constatons que la nature humaine demeure identique, ses fantasmes demeurent inchangés, ses peurs toujours présentes, ses désirs toujours en attente. L’Homme n’est pas seulement neuronal pour reprendre l’expression du neurobiologiste Jean-Pierre Changeux (1) mais organique au sens où il ressent autant avec son corps qu’avec son cerveau. Animal fortement grégaire, il est par nature en recherche de domination : dominer pour ne pas périr, comme l’explique parfaitement le professeur Marianne Schmid-Mast de l’université de Neuchâtel en Suisse. (2) Chercheurs en neuroscience, philosophes, historiens, sociologues, sémiologues, anthropologues, médecins, économistes ou encore juristes planchent depuis plusieurs années sur les interactions entre stress, peur et agressivité.

I. Psychanalyser l’Homme ?

L’Histoire appréhende l’Homme dans sa globalité, analyse ses incohérences, observe sa sagesse, décrypte ses désirs comme ses envies, ses rêves comme ses craintes et son besoin de spiritualité comme ses dérives religieuses. L’humanité marche plus qu’elle n’avance. Alternant guerre et paix, elle a vécu ses siècles d’existence dans un état permanent de stress : la peur pour survivre. Face à ce désordre apparent, l’art joue comme antidote à un pouvoir boulimique et cannibale. L’artiste n’est soumis à aucune règle, ne suit aucun principe, voire aucune morale. C’est un électron libre. Un empêcheur de tourner en rond doté d’un regard portant loin, au-delà de l’horizon historique. Car, le tyran n’est pas l’ennemi de l’art ; il est l’ennemi de l’artiste.

II. L’Histoire : une histoire du Temps.

Le vainqueur n’est pas celui qui a écrasé son ennemi mais celui qui lui impose sa propre généalogie historique. Chronos dévorant ses enfant, c’est le pouvoir dévorant ses enfants. Le tyran domestique le Temps (3). En s’effondrant, il entraîne avec lui le Temps qu’il avait réinventé. Sur un autre plan, les calendriers hébraïque, chrétien et musulman sont également des visions ontologiques du Temps. En divinisant la généalogie des hommes Dieu fige dans le Ciel une éternité extra-humaine. Être l’allié de Dieu : voilà bien le désir le plus puissant de domination. En son nom on fait la guerre ; en son nom on fait la paix. Dans tous les cas de figures, Dieu n’est jamais loin ni de la guerre ni de la paix.

III. Ite missa est

Il n’existe pas de vraie disjonction entre idéologie et religion. Les dictatures ont besoin de liturgie. La grand-messe nazie à Nuremberg, les parades militaires soviétiques hier, celles de la Corée du Nord aujourd’hui, la Chine dont le Parlement est le pendant « civil » des messes militaires marxistes et néo-marxistes. Le marxisme s’est calqué dans une certaine manière sur la Bible. Le Capital étant l’Écriture sainte, Marx le prophète porteur de la Bonne Nouvelle, avec autour de lui, ses apôtres comme Engels dans les habits de Baptiste, Lénine dans celui de Pierre et Staline dans celui de Judas.

IV. Tout est dit.

Un siècle si court et si terrible !

Le XXᵉ siècle commence en 1914 et s’achève en 1991. En 1919 le partage du monde s’est complètement reconfiguré. L’attentat de Sarajevo avait consacré la faillite du Congrès de Vienne de 1815, 1919 cartographie un nouveau monde. Chute de l’Empire Russe, émergence des États-Unis comme nouvelle puissance économique, effondrement de l’Empire Ottoman dont l’Empire britannique saura grandement profiter. L’entre-deux guerres sera une période d’échauffement — qu’on me passe la trivialité du terme — mais aussi, elle sera le plus grand laboratoire idéologique de tous les temps. Nazisme, fascisme, communisme, trois idéologies qu’il serait bien imprudent de considérer comme semblables, mais qu’il importe d’appréhender comme trois façons de définir le totalitarisme (4) A l’ombre de ces hydres, on constate un recul du pouvoir religieux au bénéfice d’un pouvoir que je qualifie de païen dont s’inspire plus ou moins le nazisme (mythe guerrier du Walhalla) ou le fascisme (relecture de la romanité antique) et que l’écrivaine italienne Oriana Fallaci appelle judicieusement la déchirure du bouclier théologique européen (5).

V. Le XXIème siècle : un siècle 2.0

Notre XXIème siècle connaît une forte éruption d’intolérance religieuse. Mais avec la fin de la guerre froide, et contrairement à Francis Fukuyama qui la voit comme « une fin de l’Histoire » (6) qui va s’amorcer une géopolitique parfaitement inédite avec l’apparition de l’islamisme politique, pur produit de la mondialisation et des nouvelles technologies ; la Toile étant le plus grand champ d’entraînement du jihadisme.

VI. Conclusions

Longtemps on a cru que la Shoah était le marqueur absolu de l’horreur. Ce n’est plus le cas. Les mots génocide, religion, guerre ou paix sont sérieusement mis à mal. L’islamisme politique en s’attaquant à l’Occident a dynamité le langage et parasité la pensée. Les dangers de dérives religieuses, le wokisme (qui à lui seul mériterait un article fouillé), la mondialisation qui déshumanise, l’immigration incontrôlable générée précisément par cette mondialisation, le questionnement de Dieu ou tout simplement le besoin de spiritualité, le dérèglement climatique, tels sont les grands défis que nous devons affronter sous peine de perdre nos âmes.
 
Références de l’auteur

(1) L’Homme neuronal, Jean-Pierre Changeux, Fayard, 1985
(2) Marianne Schmid-Mast Gender and emotion : an interdisciplinary Perspective (2013, université de Lausanne, uniquement en anglais
(3) Calendrier révolutionnaire, Reich de mille ans sorti de l’esprit névrosé de Hitler, ne sont que des exemples parmi d’autres.
(4) Cf Hanna Arendt les Origines du Capitalisme
(5) Oriana Fallaci, Inchallah, édition française, Gallimard, 1990
(6) Francis Fukuyama, La fin de l’Histoire et le Dernier homme Flammarion, 1992

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