L’immigration, le défi du siècle ?

 Migrants en mer sauvés par les moyens d’EUNAVFOR MED EUNAVFOR MED)

Les images ont fait le tour du monde. Ces derniers jours, plusieurs milliers de migrants originaires d’Afrique noire ont traversé la Méditerranée pour atteindre l’îlot italien de Lampedusa, à quelques kilomètres de la Botte. Des scènes de misère qui émeuvent et qui alertent. En France, la question de l’immigration ne cesse d’être reposée sur la table chaque année. À l’heure où le projet de loi immigration du gouvernement est en débat, Le Contemporain vous propose une mise en perspective par l’un de ses experts, Yves Montenay. L’immigration est-elle le défi majeur pour la France, l’Europe et le monde ? Analyse.

Par Yves Montenay - Centralien, Sciences Po, docteur en démographie politique. Il a eu une double carrière de chef d’entreprise et d’enseignant en grandes écoles. Il est l’auteur d’ouvrages de démographie et de géopolitique et tient le blog de géopolitique yvesmontenay.fr.

Pour répondre à cette question il faut d’abord faire un tour d’horizon très sommaire de la démographie mondiale.

I. La situation démographique mondiale

En dehors de l’Afrique, la plupart des États ont une population dont les générations ne se renouvellent pas.

Lorsque cette situation est ancienne, le nombre de parents diminue au fur et à mesure que le temps passe, et la population du pays diminue également tout en ayant une proportion croissante de personnes âgées qui reflète la situation des 3 ou 4 générations précédentes.

Lorsque cette situation est récente, comme c’est le cas de l’Inde, pays le plus peuplé du monde, le nombre de parents continue à augmenter un certain temps, ainsi que l’ensemble de la population. Cela avant l’arrivée des classes creuses aux âges de procréation. On retombe alors dans le cas précédent et la population commence à décroître.

Reste l’Afrique, qui comprend une partie « blanche» au nord du Sahara où la population est relativement stable au Maroc et en Tunisie et en croissance moyennement rapide en Algérie et en Égypte. Le niveau de vie est nettement plus bas que dans L’Europe voisine.

Et la partie principale du continent, l’Afrique subsaharienne ou « Afrique noire » où la population est jeune et en croissance rapide, et où le niveau de vie est encore plus bas qu’en Afrique du Nord, voire extrêmement bas dans certains pays, notamment au Sahel.

Ce déséquilibre entre populations décroissantes (actuellement ou bientôt) hors de l’Afrique et cette dernière, se double donc d’un profond déséquilibre entre niveaux de vie, ce qui génère une forte pression migratoire.

II. De la pression migratoire à l’immigration

Et la masse des populations en jeu est telle qu’il s’agit peut-être du plus important problème mondial : ce sont des centaines de millions de personnes, peut-être un milliard qui manquent au Nord et qui sont disponibles au Sud. J’utilise les mots « Nord » et « Sud « au sens du développement et non au sens géographique. Par exemple l’Australie et la Nouvelle-Zélande sont au « Nord » et sont des pays « occidentaux », bien que géographiquement au sud et à l’est par rapport à l’Europe

En Afrique, c’est le mouvement migratoire interne qui est le plus important, bien que l’Europe ne s’en soucie pas. Les guerres civiles et la faiblesse de la productivité agricole poussent une partie de la population vers les villes, comme cela se fait en Europe depuis des siècles et au Maghreb depuis quelques décennies.

Une fois en ville, et mieux scolarisés, les intéressés sont au courant du niveau de vie des pays du Nord, et rejoignent les enfants de la bourgeoisie locale eux aussi candidats à l’émigration. De manière si possible légale en tant qu’étudiants ou embauchables qualifiés pour ces derniers, notamment comme informaticiens ou soignants, ou, pour les premiers, par regroupement familial.

À défaut, restent les filières clandestines. Les passeurs se livrent à une publicité insistante du genre : «vendez vos bien, empruntez à votre famille, donnez-moi cet argent et je vous emmène au paradis ». Une partie de l’opinion publique locale n’est plus dupe, mais que faire d’autre ?

Ce ne sont donc pas les plus pauvres qui tentent leur chance clandestinement, ni les moins entreprenants : une fois arrivés, ces clandestins cherchent à travailler (contrairement à ce que pense l’opinion majoritaire), officiellement ou non, pour rembourser leurs dettes.

Mais certains, n’ayant pas le droit de travailler tant qu’il n’y a pas de réponse à leur dossier, profitent également de notre État providence sur le conseil des ONG charitables. Ce qui ne les empêche pas de travailler simultanément « au noir », par exemple avec l’identité d’un proche (c’est courant dans les agences d’intérim, comme je l’ai constaté personnellement). Il y a donc moins « d’assistés paresseux » que ne le disent les statistiques !

III. Avantages et inconvénients de l’immigration

D’un point de vue quantitatif, démographique et économique, les avantages de l’immigration sont évidents. Mais pour la plupart des opinions publiques ces avantages sont soit ignorés, soit contrebalancés et au-delà par des questions identitaires au sens le plus large du terme.

A. Les points de vue quantitatif et économique

D’un point de vue strictement quantitatif, la situation mondiale est plutôt bonne puisqu’il y a un déficit démographique dans les pays du Nord et un excédent dans les pays du Sud, et que les populations du Sud sont prêtes à migrer vers le nord pour bénéficier d’un meilleur niveau de vie.

De plus, ils équilibrent la pyramide des âges en fournissant de jeunes travailleurs qui non seulement cotiseront, mais aussi et surtout s’occuperont des vieux. Sans eux les EHPAD, déjà très mal en point, s’effondreraient.

Les plus qualifiés sont directement utiles, ceux qui le sont moins remplacent les Français dans les métiers dont ces derniers ne veulent plus.

Dans les deux cas, ils vont directement là où l’économie les demande, alors qu’un Français va tâtonner et passera par des périodes de chômage avant de se réorienter.

Les États-Unis, l’Australie et le Canada sont des exemples de pays issus de l’immigration, européenne jadis, asiatique, «latino» et africaine aujourd’hui. Certes une minorité de la population de ces pays s’inquiète, comme elle le fait depuis au moins 150 ans en visant successivement les Italiens mafieux, les Irlandais «papistes» et misérables, les Russes orthodoxes et incultes, les Chinois et Japonais potentiellement espions ou traîtres, et aujourd’hui les latino-américains. Néanmoins le poids des industriels manquant de main d’oeuvre a été jusqu’à présent suffisant pour équilibrer les mouvements anti-immigrants.

Le succès économique et géopolitique de ces pays a justifié à posteriori ce choix de l’immigration.

Cependant, les opinions publiques de tous les pays, africains compris, sont majoritairement hostiles à l’immigration

B. Pourquoi cette hostilité à l’immigration ?

Il y a de bonnes et de mauvaises raisons.

Les mauvaises sont la méconnaissance des situations démographiques et économiques.

Une partie de l’opinion pense par exemple que le manque de bras et de cerveaux peut être résolu par «plus de moyens financiers», alors qu’ il s’ agit d’un manque de personnes d’âge actif. Donc même si on «créait» (financièrement) des postes ou si on «augmentait les salaires» cela ne génèrerait pas les «jeunes» qui manquent, ou en priverait d’autres branches («déshabiller Pierre pour habiller Paul»).

De même pour la formule «il n’y a qu’à donner du travail aux chômeurs». Or ces derniers ne sont pas tous employables (cf. mon expérience de chef d’entreprise), n’habitent pas dans la même région, sont liés géographiquement au travail de leurs conjoints ou ne veulent pas de ces postes.

Les «bonnes» raisons sont subjectives, donc difficiles à approuver comme à contredire : « ils nous volent nos emplois », »on n’est plus chez soi», «voyez tous ces délinquants», «ils n’ont pas la même culture», voire «ils sont musulmans», «ils sont assistés et c’est nous qui payons», «ils ne s’assimilent pas », «ils nous dirigeront un jour». Selon la formulation, on va de cas particuliers exacts au racisme le plus cru.

Il faudrait tout un ouvrage pour peser chacune de ces affirmations et je vais me contenter de quelques réflexions très globales :

  • La plus importante est qu’il s’agit «d’individus» extrêmement variés par leur langues, leurs cultures, les variantes de chaque religion, leur histoire familiale, leur vie professionnelle … et non d’une «masse» uniforme et organisée, qui prendrait un jour le pouvoir, et qui, de plus, est impossible à évaluer. Pour parler brutalement «l’immigration» est un terme qui n’a pas de signification précise et qu’on ne devrait pas employer dans une conversation sérieuse. Ces points sont argumentés de manière détaillée dans le milieu et la fin de mon article : https://www.yvesmontenay.fr/2023/07/14/des-emeutes-aux-delires-sur-limmigration/

  • La deuxième est que l’on confond très souvent intégration et assimilation, qui, en pratique, ne vise pas les mêmes personnes. En effet, si un migrant peut s’insérer rapidement, par exemple par le travail, il ne s’assimile pas (passé 15 ans, on garde ses habitudes culturelles). Ensuite l’assimilation est néanmoins quasi générale à la 3è génération. C’est impossible à prouver pour la première ou la deuxième génération d’aujourd’hui, mais l’expérience historique le vérifie dans tous les pays où le multiculturalisme n’est pas institutionnalisé, d’où l’importance de combattre ce courant.

  • Par contre, la « prise de pouvoir » par des étrangers, ou plus vraisemblablement la minorisation de la population « de souche », est d’autant plus vraisemblable que la population locale aura diminué et vieilli. Autrement dit, l’immigration doit avoir lieu maintenant qu’il y a suffisamment d’adultes pour l’encadrer et assimiler les enfants, alors que tout retard mettra le pays culturellement en péril. Cela ne vise pas principalement la France où les promotions sont encore assez nombreuses, mais plutôt l’Allemagne, l’Italie et les pays des Balkans où la fécondité est faible depuis longtemps. C’est le problème que j’ai exposé au colloque de géopolitique de Grenoble. Un remède serait une diversification de l’immigration pour éviter que cette dernière ne « fasse masse».

IV. En conclusion

D’un point de vue purement quantitatif et économique l’immigration pourrait mettre en jeu des masses considérables, et donc influer sur la situation de chaque pays. Cela à priori plutôt dans le bon sens d’un point de vue strictement économique.

Par contre les risques identitaires, d’une part sont difficiles à mesurer objectivement, et d’autre part dépendent de la politique intérieure de chaque pays.

Mon opinion est qu’il faut prioritairement veiller à ce que tout le monde soit au travail, ce qui est nécessaire à l’intégration, alors qu’actuellement c’est officiellement interdit pour plusieurs catégories.

Il faut aussi rejeter tout multiculturalisme : l’assimilation n’est pas une violence envers les cultures d’origine, mais une évolution dans l’intérêt de tous, migrants et locaux. Inversement un multiculturalisme institutionnel, non seulement nourrirait une hostilité réciproque, mais également priverait la masse des migrants, et notamment les femmes, de libertés élémentaires.

Dans ce domaine, une amélioration des performances de l’éducation nationale, de toute façon nécessaire pour notre propre développement économique, devrait jouer un rôle clé !

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