Laïcité et civilisation de l’image

 Laïcité et civilisation de l’image.

Par François Petitjean - Consultant et analyste de la communication politique, auteur de Adworld sur la publicité, Toxic sur les médias et Sine capita sur le numérique et l’IA aux éditions du Panthéon.

Faire un rapprochement entre les questions de laïcité qui animent les débats politiques et l’évolution de l’informatique peut paraître une analyse curieuse. Mais les jeunes vivent dans un univers numérisé où l’image a pris le dessus sur le sens. Cette évolution n’est pas obligatoirement négative mais elle appelle à une communication plus moderne de l’Etat sur des sujets sensibles. Les systèmes de communication sont passés de l’informatique « bureautique » des années 80 à l’informatique « ubiquitaire » des années 2000 (multifonctions) puis à celle d’aujourd’hui, l’informatique « ambiante » (quotidienne) pour se diriger demain vers l’informatique « pervasive » (à tout instant et pour tout).

Rapportés aux images, en évitant les chiffres astronomiques de l’évolution de la puissance de calcul disponible sur terre, on peut juste citer les chargements quotidiens de 600 000 heures de vidéos sur YouTube, et plus de trois milliards d’images échangées sur Internet chaque jour. On peut aussi imprimer sa maison en 3D, mais restons-en à ce qui est accessible à tous : l’Image, dont le futur exponentiel est déjà écrit.


La laïcité d’aujourd’hui est la même que celle d’hier, à savoir la séparation de l’État des religions, dans le fonctionnement administratif, de service public et de toutes les fonctions et décisions régaliennes. À ce titre, sont exclus les signes religieux ostentatoires de l’espace éducatif dont l’école fait partie. De même, les agents des services publics, dans leurs fonctions, sont tenus à la neutralité. Mais l’Image, au sens de ses volumes, de ses transmissions, de ses modes, et de ses utilisateurs, vient troubler les débats, avec la complicité des microprocesseurs atteignant désormais la taille de deux atomes et garantissant un avenir florissant aux échanges visuels entre les personnes.

Le lien entre les deux sujets est ici : la liberté d’image, les outils pour les fabriquer et les diffuser en masse, et l’adoption universelle par les générations de ces moyens, face à une loi de comportement, la laïcité. L’évolution du monde réel est face à celle du monde virtuel.

Il y a des cibles privilégiées de l’Image. Les femmes, les jeunes filles, sont principalement visées au travers des thèmes de mode susceptibles d’influencer les façons de s’habiller dans des directions que la laïcité interdit. Les hommes ne sont pas exclus mais cela se retrouve plus souvent dans les vêtements de stars du rap ou autre art vidéo-musical. L’Islam est un champ visuel fort au travers des foulards ou de l’abaya mais la croix chrétienne n’est pas absente de ces influences par l’image. De nombreux exemples existent de récupération de la tendance « vêtements religieux » par l’univers du luxe, et donc l’univers du rêve. L’influence est ici une simple voie marketing, dans des marchés internationaux sur lesquels les marques haut de gamme surfent. Cela génère de la diffusion d’images, banalisant l’aspect religieux au profit d’une simple apparence, et surtout d’un chiffre d’affaires.

On peut s’acharner sur les « Crop tops » mais dans les esprits de jeunes adolescentes, l’addiction au smartphone doublée d’une accumulation quotidienne de visuels sur la mode conduit à mélanger les styles comme les significations. Il faut aussi se souvenir de ce qu’est être adolescent(e), c’est-à-dire prêt(e) à transgresser les interdits non ou mal expliqués, en particulier sur l’aspect physique et donc vestimentaire. Nike s’est approprié le foulard islamique qu’on peut trouver orné de leur fameuse virgule, les t-shirts et tenues sponsorisés par la croix chrétienne sont légions et l’offre « tendance » s’élargit pour séduire des publics non obligatoirement marqués religieusement. D’une certaine façon, la multiplicité des actes de séduction commerciale désintègre le sens des symboles, rendant les règles de laïcité encore plus difficiles à faire respecter par les institutions.

Du côté des ados, les occasions de révolte sont souvent bonnes à prendre et il suffit parfois d’interdire pour que fleurissent les contrevenants. On en viendrait presque à souhaiter le retour des blouses, histoire d’en finir. Mais pour cela, il faudrait que Jean-Paul Gaultier sorte une collection de blouses pour l’école, massivement diffusée sur les réseaux sociaux en surfant sur une tendance « school » qui reste à inventer !

La civilisation de l’image est une chance d’ouverture à condition de s’y intégrer honnêtement si on veut faire passer un message d’État de protection ou d’équilibre social. Le manque de clarté, de simplicité, le « trop de mots », les positions mal assumées, la ringardise, la carotte et le bâton, sont autant de repoussoirs pour les jeunes générations qui se nourrissent d’images chaque jour, et de façon massive.

Les règles pour appliquer la laïcité dans les espaces publics sont claires. Mais il pourrait être intéressant d’aider les jeunes en utilisant l’évolution de ce monde d’images.

Il ne s’agit pas de faire comprendre, car tout le monde a compris, mais plutôt de faire adopter.

Note l’auteur

Cet article ne représente pas une critique sur le fond des personnes publiques, mais une analyse des choses perçues, des risques liés aux communications du monde politique et des enjeux de celles-ci. Les noms cités ne le sont que pour comprendre leur impact au travers de décisions, de déclarations ou de comportements médiatisés.

2 Commentaires

  1. Il n'y a jamais eu de vraie religiosité. Les gens se contentaient à frôler les institutions religieuses sans dire autant qu'ils croyaient vraiment à une religion authentique, Alors à quoi bon de tenter de séparer quelque chose marginalisé d'une institution qui refuse d'y croire...

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    1. Ce que vous dites n'engage que vous. Les croyants, quelle que soit la religion ou le niveau de pratique sont 25 millions en France. Cette séparation a donc du sens. Ce sont juste les chiffres qui le disent.

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