Par Maître Jean-Philippe Carpentier - Avocat au barreau de Paris et consul honoraire du Luxembourg avec juridiction sur la Normandie.
De nombreux philosophes, à commencer par Platon, ont plaidé pour l’instauration d’une langue universelle.
Cet idéal universaliste se retrouve aussi dans l’Ancien Testament qui, dans la Genèse, reprend l’idée qu’à l’origine « Tout le monde se servait d’une même langue et des mêmes mots ».
La réalité contemporaine est pourtant bien éloignée de cet idéal de langue universelle commune.
Peut-être, n’est-ce pas si grave, tant le langage est important, tant l’existence de différentes langues n’est pas nécessairement un handicap, mais plutôt une richesse, favorisant l’épanouissement des autres cultures.
En effet, la langue joue un rôle essentiel pour la transmission des idées et de la culture.
Plus encore, elle a des conséquences, par exemple juridiques.
Certes, la langue n’est pas qu’orale, elle est aussi écrite, même si, comme le rappelait le Professeur Charles Ramond, « dans l’imaginaire collectif de nos civilisations, l’antériorité de la parole orale sur la parole écrite est une idée profondément enracinée ».
Aujourd’hui encore, la parole suffit à conclure un contrat de travail à durée indéterminée et l’écrit n’est pas obligatoire.
Le simple fait de parler revient à agir. Le langage devient alors performatif, pour reprendre l’expression introduite dans la philosophie contemporaine par J.L. Austin.
Par ailleurs, on ne soulignera jamais assez le lien entre le langage et l’esprit.
La langue, tant écrite que parlée, est le véhicule des idées, de toutes les idées, et son usage, s’il a la plupart du temps des vertus, peut aussi, parfois, asservir ou manipuler.
S’agissant, par exemple, des foules, cette manipulation est parfaitement mise en exergue dans l’ouvrage de Gustave Le Bon, « Psychologie des foules ».
Gustave Le Bon rapportait, évoquant les personnes composant certaines foules : « La première suggestion formulée qui surgit s’impose immédiatement par contagion à tous les cerveaux, et aussitôt l’orientation s’établit. Comme chez tous les êtres suggestionnés, l’idée qui a envahi le cerveau tend à se transformer en acte. »
Et le français dans tout cela ?
Le français comme toute langue, quelle qu’elle soit, n’échappe pas à ce contexte philosophico-linguistique.
Langue indo-européenne, le français a aujourd’hui un socle important de locuteurs, puisqu’il est parlé par 321 millions de personnes, sur tous les continents.
Pour cette simple raison, chacun de ses locuteurs peut être fier.
Le français s’enrichit, évolue, mais il doit beaucoup à François Iᵉʳ qui en a imposé l’usage par l’ordonnance de Villers Cotterêts du 25 août 1539 dont l’article 111 est encore en vigueur et dispose : « Et pour ce que telles choses sont souvent advenues sur l’intelligence des mots latins contenus esdits arrests, nous voulons d’oresnavant que tous arrests, ensemble toutes autres procédures, soient de nos cours souveraines et autres subalternes et inférieures, soient de registres, enquestes, contrats, commissions, sentences testaments, et autres quelconques, actes et exploicts de justice, ou qui en dépendent, soient prononcés, enregistrés et délivrés aux parties en langage maternel françois et non autrement. »
C’est ainsi que, sous l’impulsion d’un homme le français s’est imposé dans le pays.
En 1635, l’Académie Française est créée, sous la direction et la protection de Richelieu.
On peut lire dans ses statuts : « il sera composé un dictionnaire, une grammaire, une rhétorique et une poétique », mais également « seront édictées pour l’orthographe des règles qui s’imposeront à tous ».
Le français s’est alors épanoui et a continué de s’épanouir avec sa littérature variée et abondante, dans de nombreux genres, sans cesse renouvelés.
Molière, Madame de la Fayette, Corneille, Hugo, Proust, Prévert, la littérature française s’égrène pour le plaisir et constitue une base commune aujourd’hui facilement accessibles pour les locuteurs de notre langue.
Le piège serait de l’appauvrir, de la niveler par le bas.
Lorsque les émeutes récentes battaient leur plein, je rappelais le rôle central de l’éducation.
Voici où elle a pleinement sa place.
Plutôt que de s’apitoyer sur les difficultés du français qui créeraient des barrières sociales, aujourd’hui renforcées par l’usage d’une écriture alléguée comme inclusive, inaccessible au plus grand nombre, mieux vaudrait former à notre langue et permettre à tous d’y accéder, d’en maîtriser les subtilités et l’orthographe.
Plutôt que de s’effrayer sur une apparente complexité, c’est par une éducation efficace et centrée sur les apprentissages fondamentaux que le français pourra prendre la place centrale qui lui est naturellement dévolue.
Cette place, c’est celle d’une langue riche, qui permet d’exprimer une palette d’idées, une myriade d’émotions et qui, par sa richesse, a rendu possible l’épanouissement des nombreuses sciences et arts et fait rayonner la France.
Dans notre monde contemporain, où plus que jamais nous devons nous unir pour faire face à notre destin commun, le français a sa place, aussi bien comme ciment national, que comme outil de rayonnement international.
Le français est l’essence même de la francophonie et, au moment où l’Afrique francophone souffre dans certains pays d’une instabilité politique, elle peut encore retrouver une unité par la langue qu’elle partage.
Mais surtout, le français est un des éléments les plus structurants de notre patrimoine et il nous appartient de nous emparer de ce bien commun, par l’éducation, pour mieux nous comprendre, enrichir nos échanges et progresser, tous ensemble.
Alors la question posée par le titre de cet article, « La langue française : notre patrimoine linguistique peut-il encore nous unir ? », a une réponse, simple, limpide, nette : Oui.
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