■ Xi Jinping et Mohammed Ben Salmane le 8 décembre 2022 à Riyad
Gérard Vespierre - Analyste géopolitique, chercheur associé à la FEMO, Fondation d’Études pour le Moyen-Orient, fondateur du Média web Le Monde Décrypté.
Propos recueillis par Elias LEMRANI
Le Contemporain - Quelle est votre analyse de la reprise des relations diplomatiques entre l’Iran et l’Arabie Saoudite et quel est son potentiel impact à long terme ?
Gérard Vespierre - C’est une excellente question à laquelle on a très mal répondu pour l’instant. Car pourquoi cette reprise de relations s’est faite à Pékin ? On en a simplement fait un acte politique, mais pourquoi cet événement a-t-il pu avoir lieu ? Tout simplement, les États-Unis sont devenus en 2018 le premier pays producteur mondial de pétrole. Mais ils ne sont pas encore autosuffisants. Ils continuent d’en importer, mais beaucoup moins. Les États-Unis ont donc diminué de manière très significative leurs achats à l’Arabie. Il y a dix ou quinze ans, ils achetaient 2 millions de barils par jour à l’Arabie saoudite. Maintenant, ils n’achètent plus que 15 à 20% de ce volume. Le solde devient disponible sur le marché et c’est la Chine, premier importateur mondial de pétrole, qui a pris leur succession. La Chine est ainsi devenue le premier pays acheteur de pétrole saoudien.
De plus, en 2018, les États-Unis, en sortant de l’accord nucléaire (JCPOA) avec l’Iran, ont décidé d’interdire, ou pour le moins, limiter, l’exportation de pétrole iranien. La Chine est également devenue le premier pays acheteur de pétrole iranien. Donc, la Chine réunissant Iran et Arabie saoudite à Pékin, crée moins un acte politique qu’un acte économique. Le fait que les États-Unis aient, économiquement disparus des échanges qui les liaient aux Saoudiens et aux Iraniens a ouvert la porte à Pékin. C’est donc comme cela qu’il faut lire cette situation, mais l’économie n’est qu’une composante.
L’Arabie saoudite continue d’acheter 75 % de son matériel militaire aux États-Unis, car il n’y a que l’armée américaine qui puisse assurer la sécurité globale de la région. Maintenant, l’Arabie se dirige vers une diplomatie multipolaire, elle est obligée de regarder vers Pékin pour son économie, mais vers Washington pour sa sécurité.
Le Contemporain - Cette reprise représente-t-elle une menace pour Israël ?
Non, puisque ce ne sont que des discussions. Il y a une différence fondamentale entre discussions et accord. La France et l’Allemagne nazie avaient des échanges diplomatiques et des ambassadeurs en place, mais il y a eu une guerre en 1940. Ne confondons pas le tuyau et le contenu du tuyau. Il y a une rivalité idéologique, religieuse, entre la principale représentation du monde musulman chiite qu’est Téhéran et le principal pays sunnite, symbolique, grâce à la Mecque, qu’est l’Arabie. L’influence régionale construite par le pouvoir religieux de Téhéran, de Kaboul à Beyrouth, crée des frictions stratégiques entre l’Iran et l’Arabie. On le voit avec le Yémen, qui est un foyer de tensions bâti par l’Iran, pour créer une zone de déstabilisation au sud de son rival saoudien. À l’évidence, il peut y avoir une accalmie des armes. Cela va dans la bonne direction, vers une cessation des hostilités au Yémen. Mais il faut savoir qu’historiquement, les populations minoritaires chiites au Yémen ont été depuis mille ans des opposants aux autres tribus du pays. Il est nécessaire dans la résolution de ce conflit de prendre en compte cette mosaïque ethno-historique, que Téhéran a su habilement utiliser à son avantage pour mettre de l’huile sur le feu.
Le Contemporain - Croyez-vous qu’Israël pourrait intervenir militairement sans prévenir les Américains contre l’Iran ?
Non, il faut, pour s’en persuader, regarder les dossiers. Historiquement, depuis vingt ans, il y a toujours eu une coopération pleine et entière entre les États-Unis et Israël, contre le développement du programme nucléaire iranien. Dès que Washington a été alerté par la résistance iranienne des recherches secrètes que menait Téhéran dans ses installations, il y a eu des efforts conjoints entre Israël et les États-Unis pour déstabiliser ces recherches. N’oublions pas les virus mis en place par les Américains et les Israéliens dans la centrale nucléaire de Natanz. Le fonctionnement des centrifugeuses, entre 2008 et 2010, a été entièrement perturbé par cette opération. Et quand le virus a été découvert, on est passé, entre 2010 et 2012, à l’élimination physique de quatre hautes personnalités scientifiques iraniennes dans le domaine du nucléaire : le fondateur de la société des savants atomistes iranien a été tué à Téhéran et cela a abouti à la déclaration en 2013 de Rohani, nouvellement élu, déclarant qu’il avait décidé de façon unilatéral de commencer des négociations avec les États-Unis sur le nucléaire. Ce n’était pas, vous vous en doutez, une décision magnanime de l’État iranien. Téhéran a été obligé de venir autour du tapis vert parce qu’Israël et les États-Unis lui avaient tordu le bras. C’est le monde scientifique iranien qui a dit aux politiques d’arrêter au risque de nouveaux morts. Et quand on voit les récents attentats dans les centres de recherche en Iran, et l’élimination de Moshen Fakhrizadeh, haut responsable des recherches balistiques et atomiques en novembre dernier, pilotée par les services spéciaux israéliens, on constate que le lien entre Israël et les États-Unis est toujours aussi étroit. Rien ne se fera contre Téhéran, par aucune des parties israélienne ou américaine, sans une étroite coopération bilatérale.
Le Contemporain - D’aucuns parlent d’une réduction de l’influence américaine au Moyen-Orient suite au pivot vers l’Asie de 2011...
Il faut se méfier des idées reçues. Le pivot vers l’Asie ne signifie pas que les États-Unis se dégagent du Moyen-Orient. Ce n’est pas parce qu’ils ont une priorité numéro 1, qu’ils n’en ont pas une deuxième ou une troisième. Les documents du Pentagone listent cinq priorités des États-Unis : la Chine, la Russie, l’Iran, la Corée du Nord et les mouvements djihadistes.
Une priorité donnée à l’Asie ne signifie nullement une réduction de présence militaire ailleurs. C’est une erreur absolue de dire que les États-Unis se sont retirés du Moyen-Orient. Combien d’ambassades ont-ils fermées ? de consulats ? de bases militaires ? ils n’en ont pas supprimé, au contraire, ils en ont créé, à Djibouti, face au Moyen-Orient. Ils ont conforté leur position à Abu-Dhabi, et au Qatar, ils ont même maintenant des membres de leurs forces spéciales – près de 1000 – en Syrie. Ils ont créé dans ce pays cinq bases – ou microbases – de support de leur personnel militaire. Jamais il n’y avait eu de soldats américains en Syrie. Les États-Unis ont, donc, au contraire, une présence accrue dans la région.
C’est la même chose quand l’on entend dire que les Américains se désengagent de l’Europe. Cela fait pratiquement une quinzaine d’années que les États-Unis ont augmenté leurs effectifs militaires en Europe. Le point le plus base était 65.000 hommes sous Obama, mais Obama lui-même a augmenté la présence militaire sur le Vieux Continent, après la pénétration russe en ...Géorgie....
Je considère comme effrayant de se limiter à des déclarations d’idées sans regarder la réalité des faits et sans regarder la réalité des chiffres. On ne peut pas asséner des idées si elles ne reposent sur rien, sinon il faut assumer faire de l’influence politique. Mais si on regarde la réalité des choses, oui les États unis musclent leur présence militaire en Asie, mais ils n’ont, en aucun cas, diminué sur le long terme, cette présence au Moyen-Orient et en Europe.
Le Contemporain - Et la Chine ?
La Chine est plus présente économiquement, l’économie est en effet une source d’influence, mais ce n’est qu’une source parmi d’autres. Militairement, mis à part Djibouti, où la Chine compte entre 2.500 et 3.500 soldats, il n’y a pas de bases chinoises à l’extérieur du territoire chinois, alors qu’il y en a 105 bases militaires américaines sur le globe.
Le Contemporain - Quelle est votre analyse de la reprise des relations diplomatiques entre l’Iran et l’Arabie Saoudite et quel est son potentiel impact à long terme ?
Gérard Vespierre - C’est une excellente question à laquelle on a très mal répondu pour l’instant. Car pourquoi cette reprise de relations s’est faite à Pékin ? On en a simplement fait un acte politique, mais pourquoi cet événement a-t-il pu avoir lieu ? Tout simplement, les États-Unis sont devenus en 2018 le premier pays producteur mondial de pétrole. Mais ils ne sont pas encore autosuffisants. Ils continuent d’en importer, mais beaucoup moins. Les États-Unis ont donc diminué de manière très significative leurs achats à l’Arabie. Il y a dix ou quinze ans, ils achetaient 2 millions de barils par jour à l’Arabie saoudite. Maintenant, ils n’achètent plus que 15 à 20% de ce volume. Le solde devient disponible sur le marché et c’est la Chine, premier importateur mondial de pétrole, qui a pris leur succession. La Chine est ainsi devenue le premier pays acheteur de pétrole saoudien.
De plus, en 2018, les États-Unis, en sortant de l’accord nucléaire (JCPOA) avec l’Iran, ont décidé d’interdire, ou pour le moins, limiter, l’exportation de pétrole iranien. La Chine est également devenue le premier pays acheteur de pétrole iranien. Donc, la Chine réunissant Iran et Arabie saoudite à Pékin, crée moins un acte politique qu’un acte économique. Le fait que les États-Unis aient, économiquement disparus des échanges qui les liaient aux Saoudiens et aux Iraniens a ouvert la porte à Pékin. C’est donc comme cela qu’il faut lire cette situation, mais l’économie n’est qu’une composante.
L’Arabie saoudite continue d’acheter 75 % de son matériel militaire aux États-Unis, car il n’y a que l’armée américaine qui puisse assurer la sécurité globale de la région. Maintenant, l’Arabie se dirige vers une diplomatie multipolaire, elle est obligée de regarder vers Pékin pour son économie, mais vers Washington pour sa sécurité.
Le Contemporain - Cette reprise représente-t-elle une menace pour Israël ?
Non, puisque ce ne sont que des discussions. Il y a une différence fondamentale entre discussions et accord. La France et l’Allemagne nazie avaient des échanges diplomatiques et des ambassadeurs en place, mais il y a eu une guerre en 1940. Ne confondons pas le tuyau et le contenu du tuyau. Il y a une rivalité idéologique, religieuse, entre la principale représentation du monde musulman chiite qu’est Téhéran et le principal pays sunnite, symbolique, grâce à la Mecque, qu’est l’Arabie. L’influence régionale construite par le pouvoir religieux de Téhéran, de Kaboul à Beyrouth, crée des frictions stratégiques entre l’Iran et l’Arabie. On le voit avec le Yémen, qui est un foyer de tensions bâti par l’Iran, pour créer une zone de déstabilisation au sud de son rival saoudien. À l’évidence, il peut y avoir une accalmie des armes. Cela va dans la bonne direction, vers une cessation des hostilités au Yémen. Mais il faut savoir qu’historiquement, les populations minoritaires chiites au Yémen ont été depuis mille ans des opposants aux autres tribus du pays. Il est nécessaire dans la résolution de ce conflit de prendre en compte cette mosaïque ethno-historique, que Téhéran a su habilement utiliser à son avantage pour mettre de l’huile sur le feu.
Le Contemporain - Croyez-vous qu’Israël pourrait intervenir militairement sans prévenir les Américains contre l’Iran ?
Non, il faut, pour s’en persuader, regarder les dossiers. Historiquement, depuis vingt ans, il y a toujours eu une coopération pleine et entière entre les États-Unis et Israël, contre le développement du programme nucléaire iranien. Dès que Washington a été alerté par la résistance iranienne des recherches secrètes que menait Téhéran dans ses installations, il y a eu des efforts conjoints entre Israël et les États-Unis pour déstabiliser ces recherches. N’oublions pas les virus mis en place par les Américains et les Israéliens dans la centrale nucléaire de Natanz. Le fonctionnement des centrifugeuses, entre 2008 et 2010, a été entièrement perturbé par cette opération. Et quand le virus a été découvert, on est passé, entre 2010 et 2012, à l’élimination physique de quatre hautes personnalités scientifiques iraniennes dans le domaine du nucléaire : le fondateur de la société des savants atomistes iranien a été tué à Téhéran et cela a abouti à la déclaration en 2013 de Rohani, nouvellement élu, déclarant qu’il avait décidé de façon unilatéral de commencer des négociations avec les États-Unis sur le nucléaire. Ce n’était pas, vous vous en doutez, une décision magnanime de l’État iranien. Téhéran a été obligé de venir autour du tapis vert parce qu’Israël et les États-Unis lui avaient tordu le bras. C’est le monde scientifique iranien qui a dit aux politiques d’arrêter au risque de nouveaux morts. Et quand on voit les récents attentats dans les centres de recherche en Iran, et l’élimination de Moshen Fakhrizadeh, haut responsable des recherches balistiques et atomiques en novembre dernier, pilotée par les services spéciaux israéliens, on constate que le lien entre Israël et les États-Unis est toujours aussi étroit. Rien ne se fera contre Téhéran, par aucune des parties israélienne ou américaine, sans une étroite coopération bilatérale.
Le Contemporain - D’aucuns parlent d’une réduction de l’influence américaine au Moyen-Orient suite au pivot vers l’Asie de 2011...
Il faut se méfier des idées reçues. Le pivot vers l’Asie ne signifie pas que les États-Unis se dégagent du Moyen-Orient. Ce n’est pas parce qu’ils ont une priorité numéro 1, qu’ils n’en ont pas une deuxième ou une troisième. Les documents du Pentagone listent cinq priorités des États-Unis : la Chine, la Russie, l’Iran, la Corée du Nord et les mouvements djihadistes.
Une priorité donnée à l’Asie ne signifie nullement une réduction de présence militaire ailleurs. C’est une erreur absolue de dire que les États-Unis se sont retirés du Moyen-Orient. Combien d’ambassades ont-ils fermées ? de consulats ? de bases militaires ? ils n’en ont pas supprimé, au contraire, ils en ont créé, à Djibouti, face au Moyen-Orient. Ils ont conforté leur position à Abu-Dhabi, et au Qatar, ils ont même maintenant des membres de leurs forces spéciales – près de 1000 – en Syrie. Ils ont créé dans ce pays cinq bases – ou microbases – de support de leur personnel militaire. Jamais il n’y avait eu de soldats américains en Syrie. Les États-Unis ont, donc, au contraire, une présence accrue dans la région.
C’est la même chose quand l’on entend dire que les Américains se désengagent de l’Europe. Cela fait pratiquement une quinzaine d’années que les États-Unis ont augmenté leurs effectifs militaires en Europe. Le point le plus base était 65.000 hommes sous Obama, mais Obama lui-même a augmenté la présence militaire sur le Vieux Continent, après la pénétration russe en ...Géorgie....
Je considère comme effrayant de se limiter à des déclarations d’idées sans regarder la réalité des faits et sans regarder la réalité des chiffres. On ne peut pas asséner des idées si elles ne reposent sur rien, sinon il faut assumer faire de l’influence politique. Mais si on regarde la réalité des choses, oui les États unis musclent leur présence militaire en Asie, mais ils n’ont, en aucun cas, diminué sur le long terme, cette présence au Moyen-Orient et en Europe.
Le Contemporain - Et la Chine ?
La Chine est plus présente économiquement, l’économie est en effet une source d’influence, mais ce n’est qu’une source parmi d’autres. Militairement, mis à part Djibouti, où la Chine compte entre 2.500 et 3.500 soldats, il n’y a pas de bases chinoises à l’extérieur du territoire chinois, alors qu’il y en a 105 bases militaires américaines sur le globe.
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